CRASH

Drame canadien de David Cronenberg d’après le roman de J. G. Ballard, avec James Spader, Deborah Kara Hunger, Holly Hunter, Elias Koteas et Rosanna Arquette chez Carlotta Éditeur.

Vingt-cinq ans après un scandale cannois, lié à sa projection sur la Croisette, qui place Crash (1996) aux côtés de La grande Bouffe (1973) de Marco Ferreri, L’empire des sens (1976) de Nagisa Oshima et plus tard Irréversible (2002) de Gaspar Noé, que reste-t-il de la force subversive du douzième long-métrage du « maître de l’horreur organique » ? La réédition de Crash, dans une copie restaurée enrichie de nombreux bonus, nous donne l’occasion de revenir sur le film, en tentant de répondre à cette question.

James Ballard (James Spader), producteur de films publicitaires, et sa femme Catherine (Deborah Kara Unger) mènent une vie sexuelle très débridée. Suite à une grave collision avec le docteur Helen Remington (Holly Hunter) ayant entraîné la mort de son mari, James se lance dans l’exploration des rapports étranges qui lient danger, sexe et mort. Grâce à leur rencontre avec Vaughan (Elias Koteas), un étrange photographe fasciné par les accidents de la route, le couple Ballard va finir par trouver un chemin nouveau mais tortueux pour exprimer leur amour.

David Cronenberg est responsable de quelques unes des images les plus dérangeantes du cinéma fantastique moderne, toujours en rapport avec la médecine et le corps humain. On pense notamment à son chef-d’œuvre Faux semblants (1988) avec Jeremy Irons et Geneviève Bujold. En 1994, Cronenberg envoie le script de Crash à son auteur James Graham Ballard. En effet, Crash est à l’origine un roman de science-fiction de J.G. Ballard publié en 1973, mettant en scène une communauté de personnes qui admirent les accidents de voitures et leurs conséquences sur le corps humain. Cette communauté va même jusqu’à reconstituer les accidents célèbres de James Dean ou Jayne Mansfield. A la lecture du script, l’écrivain est enthousiaste, jugeant le travail du cinéaste exceptionnel, comme un prolongement et un dépassement de son roman.

UN CASTING 5 ETOILES

Dans le film, le rôle de Ballard (double du romancier, puis du cinéaste) reviendra à James Spader. Révélé en 1989 dans Sexe, mensonges et vidéo (1989) de Steven Soderbergh, qui lui a valu le prix d’interprétation masculine au Festival de Cannes, Spader rejoint la liste des héros meurtris de Cronenberg qui partagent tous une certaine ressemblance physique avec le cinéaste. Son épouse est interprétée par Deborah Kara Unger, actrice à la blondeur hitchcokienne, qui débuta à la télévision dans la série australienne Bangkok Hilton (1989), aux côtés de Nicole Kidman.

L’immense Holly Hunter jouit de la grande notoriété que lui a apportée La leçon de Piano (1993) de Jane Campion, Palme d’Or à Cannes, pour lequel elle a remporté également l’Oscar de la meilleure actrice. Elle n’avait pas été retenue pour le rôle de Claire Niveau dans Faux semblants. Elle sera ici époustouflante en docteur Helen Remington.

C’est le chanteur australien Michael Hutchence, leader du groupe INXS, qui est d’abord pressenti pour interpréter Vaughan. Déjà dans Vidéodrome (1984) Cronenberg donne sa chance à une icône de la pop culture, Debbie Harry, chanteuse du groupe Blondie, pour jouer Nicki. Mais pour Crash, c’est finalement l’acteur canadien Elias Koteas, repéré dans Exotica (1994), qui s’emparera du rôle. Hutchence était déjà dans une période très difficile, qui le conduira malheureusement au suicide en 1997.

Enfin, ce quatuor d’acteurs est rejoint par Rosanna Arquette, égérie du cinéma indépendant américain, de Recherche Susan désespérément (1985) de Susan Seidelman à Pulp Fiction (1994) de Quentin Tarantino. Elle est également pour nous la Johanna du Grand bleu de Luc Besson. Sanglée dans un attirail de cuir noir et de métal, elle sera Gabrielle chez Cronenberg.

TRAVELLINGS INTIMES POUR UN RÊVE ÉVEILLÉ

Il suffit à Cronenberg de s’approprier un attirail médical, broches de métal, prothèses et corset, pour inventer un homme ou une femme-machine, induisant un nouveau rapport à son propre corps. Cronenberg nous plonge dans un monde où les humains sont minoritaires, petite communauté isolée dans un environnement urbain et industriel envahi par les machines, principalement les voitures. Le réalisateur n’a pas besoin d’effets spéciaux pour faire ressentir une présence technologique qui aliène l’homme et la femme. « Je voulais filmer les accidents de manière naturaliste : ils sont rapides, brutaux, terminés avant qu’on s’en aperçoive. » Sur le ton de la plaisanterie, Cronenberg répétera qu’il y avait plus de cascades automobiles dans Scanners (1981), thriller où s’affrontaient des mutants télépathes, que dans Crash, qui entend avant tout pénétrer dans l’intimité d’un couple.

Les lents travellings latéraux viennent caresser les surfaces des paysages industriels, parkings ou bretelles d’autoroute. Les tons dominants froids, bleu et gris, traduisent les impressions visuelles en émotion. A une esthétique de l’espace vide vient s’ajouter une utilisation particulière de la voix : Crash est un film murmuré, étonnamment calme, une des constantes du cinéma cronenbergien. Les personnages évoluent dans un état quasi hypnotique, entre rêve et réalité. La musique d’Howard Shore participe à cet état de rêve éveillé. « Dans Crash, je ne veux pas dire au spectateur ce qu’il doit ressentir, il faut donc une musique qui génère autre chose, qui soit dans le ton du film neutre. »

LE FILM DE LA RECONNAISSANCE

L’invitation de Crash à Cannes marque une étape décisive dans la reconnaissance critique de Cronenberg, qui n’est plus considéré simplement comme un réalisateur de films de genre. Mais dès sa projection le matin du 16 mai 1996, le film canadien suscite des réactions très violentes. Crash recevra cependant le prix spécial du jury, défendus par les cinéastes Atom Egoyan et Tran Anh Hung. Le président du jury, Francis Ford Coppola, lui, détestait le film ! C’est Secrets et mensonges du britannique Mike Leigh qui obtiendra la Palme d’Or et Breaking the waves du danois Lars von trier le Grand Prix du Jury. Un palmarès qui récompensera également les frères Coen, Jacques Audiard, Daniel Auteuil et Pascal Duquenne : une grande année de cinéma !

La presse britannique se déchainera contre le film de Cronenberg, qui sera exploité tardivement avec une interdiction aux mineurs. Il faudra attendre quelques années pour que le film apparaisse dans toutes les listes des œuvres cinématographiques les plus importantes des années 1990. La force subversive de Crash est toujours bien présente vingt-cinq ans après, et la magnifique parution chez l’éditeur Carlotta rend admirablement hommage à un cinéaste majeur d’une époque à la réalité augmentée.

Légende

Déborah Kara Hunger