Foire annulée trop tardivement… Florissimo 2021 reportée… Les nuages noirs s’amoncellent au dessus de Dijon Congrexpo. Jean Battault, son président, avec la franchise et l’ironie qu’il sait manier dans toutes les situations, ne mâche pas ses mots. Interview.
Dijon l’Hebdo : Le 9 octobre dernier, le préfet de région a annoncé l’annulation de la Foire de Dijon. Une nouvelle, sur le fond, qui n’a surpris personne mais qui n’a pas manqué, sur la forme, de vous agacer. Vous avez même dénoncé un « supplice chinois ». Expliquez-nous.
Jean Battault : « Je ne conteste évidemment pas la décision du préfet. Il est dans son rôle. Par contre, ce que je remets en question, c’est l’attente que l’on nous a imposée avec une décision repoussée de semaine en semaine. Il faut bien penser que nous ne travaillons pas la veille pour le lendemain. Une Foire, ça se prépare des mois à l’avance. Et nous mettre dans cette situation à quelques jours de l’ouverture de l’événement, c’est comme si on nous imposait de faire décoller un Boeing depuis un terrain de tennis… J’en veux pour preuve toute cette accumulation de frais incompressibles qu’il nous a fallu anticiper. Au total 90 000 €. Par exemple, notre campagne publicitaire avec son affiche, tous ses axes de communication… Sans oublier les mesures Covid. Nous avons mis au point un protocole sanitaire avec d’importants investissements comme l’achat de tapis de comptage pour mesurer précisément les gens qui entrent et qui sortent de l’enceinte de la Foire et les passages entre chaque hall. Des frais qu’il a fallu anticiper si on voulait avoir le matériel en temps et heure. Tout ça aurait pu ne pas être perdu si le préfet n’avait pas tergiversé. Cette absence de décision me choque énormément car nous n’avons jamais été concertés. C’est quand même effarant que des tiers puissent avoir une telle incidence sur notre gestion en faisant fi de nos pratiques et de ce que cela nous coûtait ».
DLH : Aviez-vous prévu d’investir également dans un système d’aération et de renouvellement de l’air ?
J. B : « Les investissements que vous évoquez, ils sont à la charge du propriétaire, c’est à dire la mairie qui nous doit le bâti et le couvert. Il fallait aérer le hall 1, vous savez « celui qui pue ». Et, en matière de Covid, cela relevait d’une impérieuse nécessité. Ces travaux n’ont pas été effectués, ce qui me fait dire que la mairie a tout fait pour empêcher la tenue de la Foire. C’est gravissime au regard de ce que la Foire rapporte à l’agglomération, aux exposants, et à toutes les entreprises locales qui travaillent pour cet événement. Cela affecte bien évidemment la Foire mais aussi de gros salons de professionnels du bâtiment que nous recevons. Nous ne pouvons pas répondre aux exigences sanitaires et, de ce fait, vous comprenez bien que toute activité nous est interdite ».
DLH : Et dans le même temps, le salon du mariage et ses 80 exposants sont épargnés et on vous demande d’organiser des concours professionnels rassemblant plus de 2 000 candidats le même jour sur un même lieu… Tout cela est-il bien cohérent ?
J. B : « Il n’y a aucune cohérence. Le salon du mariage est une manifestation que nous accueillons. Nous n’en sommes pas l’organisateur. La jauge des visiteurs a été évaluée à 800 et cela a été validé… par la Préfecture. Il n’y a pas si longtemps, j’avais attiré l’attention de l’ancien préfet sur le paradoxe qu’il m’était impossible de réunir 10 membres du personnel de Dijon Congrexpo alors que, dans le même temps, ses services me demandaient d’accueillir 90 candidats pour un concours administratif et 2 400 pour un concours de la fac de médecine. Je m’étais inquiété de savoir si le préfet avait pensé à prévenir le virus que les concours bénéficiaient d’un système dérogatoire… Voilà où nous en sommes : gérer l’aberration ».
DLH : Rappelez nous ce que représente la Foire de Dijon dans votre modèle économique…
J. B : « Si on prend notre exercice précédent, avec une belle augmentation de l’activité Palais des Congrès, la Foire ne représentait plus que 45 % de notre chiffre d’affaires. Historiquement, c’était plutôt 60 %. La Foire a tout de même représenté l’an passé 54 % de la marge globale.
On sait que partout, et de tout temps, un Palais des congrès est déficitaire ce qui explique pourquoi bon nombre d’entre eux fonctionnent en régie municipale et les mairies comblent le passif d’exploitation. Nous, on a réussi à rendre l’activité du Palais des congrès bénéficiaire. C’est un exploit. On est les seuls en France. Dijon a donc beaucoup de chance d’avoir ce type de gestion éclairée ».
DLH : … et sur l’économie locale ?
J. B : « Une Foire normale, c’est entre 600 et 640 stands. On compte en moyenne 4 personnes par stand. Chacune, en moyenne, dépense la même somme qu’un congressiste qui est évaluée par notre fédération à 170 euros par jour entre l’hôtel, le restaurant, les transports, les achats en ville. Ce qui représente pour la durée d’une Foire à 6 millions d’euros de retombées sur Dijon et son agglomération. Ce qui est loin d’être neutre. Hôteliers et restaurateurs souffriront d’autant plus qu’ils seront privés de cette manne. Et ces 6 millions s’intègrent dans les 21 millions générés par le total des activités congrès et manifestations accueillies ou organisées par nous. Et je ne compte pas répercussions sur les entreprises locales qui travaillent à nos côtés. Vous comprenez pourquoi l’annulation de l’édition 2020 de la Foire est une catastrophe économique. Ce qui ne semble pas troubler plus que ça nos élus et les représentants de l’Etat ».
DLH : Quels seront les impacts immédiats sur le fonctionnement de Dijon Congrexpo ?
J. B : « Nous sommes déjà en chômage partiel. Nous avons sollicité un prêt garanti. Tout cela ne génère pas de chiffres d’affaires et encore moins de marge. Malgré ces aides, on s’attend à un déficit d’exploitation de 3 millions sur l’exercice en cours que nous clôturons à fin décembre. L’absence de visibilité pour ces prochains mois nous condamne à cette situation de non activité. Dire que l’avenir est sombre est un euphémisme. Je me pose quand même cette question : le Covid n’est-il pas une aubaine pour certains ? »
DLH : Vous attendiez, comme chaque année, 600 exposants à cette Foire internationale et gastronomique. Allez-vous rembourser les acomptes que vous avez perçus ?
J. B : « Le principe d’un acompte, c’est qu’il est acquis. Nous sommes donc en capacité de pouvoir le conserver. Plusieurs de nos confrères en France l’ont gardé à valoir pour les manifestations suivantes. Moi, ce n’est pas ma vision des choses. Nous avons des relations privilégiées, souvent de longue date, avec nos exposants. Je les sais dans une situations inextricable. C’est pourquoi, exceptionnellement, j’ai pris la décision de rembourser les acomptes que nous avons perçus ».
DLH : Concrètement, et plus largement, à combien s’évaluent vos pertes financières depuis le début du confinement ?
J. B : « Le total cumulé s’élève à 3 millions d’euros. Pour ce qui concerne le chiffre d’affaires, la perte est de 85 %. C’est faramineux. Heureusement, notre gestion sage nous permet à l’instant T de tenir. Mais on ne tient pas longtemps sans ressources ».
DLH : Tous les spécialistes, et ils sont nombreux, s’accordent pour dire que ce virus va continuer à nous compliquer le quotidien. Dans six mois se profile Florissimo. Ne pensez-vous pas raisonnable de repousser cet autre temps fort, mais aussi le salon de l’Habitat qui, lui, ouvre votre calendrier 2021… sans attendre cette fois la décision des pouvoirs publics ?
J. B : « Nous avons pris Dijon la décision de reporter au printemps 2022 la 11e édition de Florissimo initialement programmée du 22 avril au 2 mai 2021.
L’incertitude totale quant à l’évolution de la pandémie dans les semaines et mois à venir conjuguée à l’absence de garantie que les travaux de mise en place d’équipements de traitement d’air -ventilation et renouvellement- dans le Grand Hall, indispensables au plan sanitaire, seront réalisés à temps constituent à nos yeux deux raisons évidentes pour justifier ce report. Il convient de rappeler que les 200 000 visiteurs de cette prestigieuse exposition florale viennent de toutes les régions de France et de l’étranger, pour une part très importante dans le cadre de déplacements organisés par les agences de voyage et les autocaristes, lesquels commercialisent leurs offres auprès de leur clientèle au moins 6 mois à l’avance.
Quant au salon de l’Habitat qui, lui, ne réclame pas la même anticipation et les mêmes engagements financiers, je le maintiens au moins dans mon esprit. Cela pourrait être la première manifestation de sortie supposée de la pandémie. Il y a tout un secteur d’activités conséquent qui attend ce temps fort d’une grande convivialité qui attire toutes les tailles d’entreprises et toutes les spécialités du bâtiment. C’est l’occasion d’exposer tous les savoir-faire et cela avec une pédagogie directe et efficace capable de convaincre des jeunes en quête d’orientation professionnelle. Je pense aussi aux familles qui visitent ce salon. Souvent elles portent un projet qui va prendre forme à ce moment-là. Je ne voudrais pas les priver de cette grand messe ».
Propos recueillis par Jean-Louis Pierre