La Poste s’était assise sur sa mission de service publique et avait eu le culot de faire l’impasse sur la distribution du courrier les lundis, mardis et samedis, tant que nous serions soumis à la dure réalité du Coronavirus. Le 2 avril, les protestations s’étant multipliées, le directeur de ce peu noble établissement a été contraint de présenter ses excuses publiquement et de rouvrir un millier de bureaux supplémentaires parmi les 17 000 «points de contact» que compte le groupe. Désormais, ce sont donc 2 700 bureaux de poste qui devraient être en capacité d’accueillir le public dans l’hexagone. De surcroit, il est demandé aux facteurs ainsi qu’à des intérimaires embauchés dans l’urgence d’effectuer quatre fois par semaine la distribution du courrier.
On ne peut que se réjouir de l’amélioration de la situation. Il n’empêche qu’il convient de s’interroger sur l’absence du sens des responsabilités de dirigeants planqués dans leurs bureaux ou de certains manitous syndicalistes qui décident que les personnels du terrain – les facteurs, les factrices ou les CDD – ont maintenant une tâche supplémentaire à remplir : prendre en charge les colis ou les plis recommandés des personnes qu’ils desservent au cours de leurs tournées. Rien ne change : la France compte toujours son lot de corvéables à merci… On l’a compris : le but est de délester les trop rares guichets qui sont principalement ouverts dans les villes – les petits bureaux de quartiers périphériques demeurant pour la plupart fermés. Ne parlons pas des vieilles gens, des artisans ainsi que des agriculteurs vivant dans les campagnes que la direction centrale de la Poste tient pour quantité négligeable : les ruraux demeurent plus que jamais les dindons de la farce, notamment dans des départements comme la Creuse, l’Allier, le Gard, la Lozère, l’Ardèche etc…!
Curieusement la direction de la Poste, depuis plus d’une décennie, s’adonne à cœur-joie à ses œuvres lucratives (ventes de smartphones, activités d’opérateur téléphonique, papeterie etc) ainsi qu’à des transactions bancaires plus que juteuses ; elle met plein gaz sur ces secteurs-là, continuant d’y accueillir le public ! Appelons ça de la désertion caractérisée. Appelons ça également un commerce qui évoque le triste marché noir BOF -bœuf, œufs, fromage – des années 39 /45, sous l’occupation allemande ! Ajoutons qu’à la suite du revirement opéré par la direction de la Poste le 2 avril et juste avant les journaux TV et radio de 13 heures, celle-ci achetait en toute hâte des espaces publicitaires pour faire la promotion de ses produits bancaires. De qui se fiche-t-on ?
D’autant que la réduction des distributions de courrier, une attente éhontée pour expédier des colis aux guichets ouverts au compte-goutte contribuent à enfoncer les trésoreries des PME, ainsi que de la totalité de la presse écrite, qu’elle soit nationale ou régionale. Quid des Français abonnés et attachés à leur publication ? Doivent-ils se satisfaire de lire des journaux datant de plusieurs jours ? Plus grave encore, en huit jours à peine l’ensemble du secteur a accusé une chute des ventes de plus de 15%. Jean-Michel Baylet qui dirige le groupe La Dépêche comprenant plusieurs titres brandit le drapeau de la révolte : « Nous envisageons des recours en justice parce que c’est totalement anormal », déclare-t-il avec sa fougue coutumière. Et de poursuivre, en avançant de solides arguments : « Nous sommes sous contrat avec La Poste. La Poste, qui est également sous contrat avec l’État pour le service universel et touche 100 millions de subventions par an ». Pour toutes ces raisons Jean-Michel Baylet dénonce une décision qui va à l’encontre « d’un discours de service public ». L’ancien ministre, sénateur et député qu’il fut, entre autres activités, interpelle le gouvernement sur cette carence de la Poste qui va encore une fois pénaliser « les plus fragiles ».
Au Figaro, même indignation… Tiens, le Figaro justement ! Le quotidien a pris pour devise la fameuse phrase de Beaumarchais : « Sans la liberté de blâmer, il n’est point d’éloge flatteur ». La Poste, qui a oublié l’éthique de son ex-cellule-souche PTT, serait fort avisée de réfléchir à ses actuels manquements à la mission de service public ! D’autant qu’en réduisant comme peau de chagrin la distribution des journaux, elle favorise de facto les réseaux sociaux et leurs fake news qui délivrent des informations mensongères dans le but de manipuler ou tromper.
Marie-France Poirier