A Dijon, quel grand plaisir d’avoir « patrimoiné » et exploré notre cité, de la regarder et de l’aimer sous un autre jour. C’est ainsi que mes pas m’ont conduite jusqu’au cloître des Cordeliers, puis à la Synagogue et enfin à l’ancienne chapelle du collège Saint-François de Sales. Cette 36e édition a été passionnante, grâce aux bénévoles érudits qui, sur place, nous ont narré la mémoire d’un grand nombre de lieux émaillée d’épisodes savoureux ou tragiques.
Ils nous ont expliqué la résurrection du bâti ancien, lorsque des hommes de bien permettent aux édifices de se remettre des cicatrices du temps, des blessures que leur ont fait subir la guerre, la bêtise ou le manque de respect à certaines époques. J’ajouterai que la sérénité de cette 36e édition fut au rendez-vous dans notre ville : pas de forces de l’ordre comme à Paris ou dans d’autres grosses villes plus remuantes ! Gilets Jaunes, casseurs, et Blacks Blocs y ont encore joué le rôle de perturbateurs de notre génome historique, architectural, ou culturel : pas un chef d’œuvre à Paris qui ne cachât un bataillon des forces de l’ordre et ne contraignît le grand public à une file d’attente digne de Roissy – un jour de grève des pilotes. Est-il interdit de se cultiver dans un climat de détente et de plaisir ? A Dijon, et félicitons-en nous, les journées du patrimoine ont été sympas, riches en découverte et bon enfant en diable !
Du coup, je me suis mise à méditer sur le « vivre ensemble » qui a pris racine dans une société numérique individualiste, hissant les selfies au rang d’œuvres d’art. Vous me direz qu’on se plaît à admirer les journaux intimes de Henri Beyle, de Frank Kafka, ou les autoportraits d’un van Gogh, d’un Courbet. Oui, mais eux, ils avaient du génie !
Tiens ! Pendant qu’on évoque le « vivre ensemble », je pose les coudes sur le zinc de la buvette Elysée-Matignon pour y aller de ma brève de comptoir. Dieu sait combien Edouard Philippe n’est pas du style « blanc-limé/troquet/estaminet ! » J’avoue que sa potion magique pour œuvrer au renouveau du café villageois – précisément au nom du fameux « vivre ensemble patrimonial » – m’a laissée pantoise.
Lors de la toute récente assemblée du congrès des maires ruraux, le chef du gouvernement a annoncé la création de licences d’un autre type – assorties de clauses spécifiques – permettant l’ouverture de bistrots dans les communes rurales. Là, je dis « bravo » : l’exécutif donne enfin dans la poésie d’un Bernard Dimey ou d’un Verlaine. Bien sûr, que le ballon de rouge fut partie prenante de notre grand roman national ! Mais, c’était il y a belle lurette…
Hélas, les mœurs ont changé, et on connaît la difficulté pour le bistrotier d’une petite bourgade de 2019 de faire vivre son commerce. Le prix à payer va parfois jusqu’à faire la nique à la bible européenne et à sa table des dix commandements. Je connais un de ces troquets rarissimes qui fait plutôt bien ses affaires. C’est dans un si minuscule village qu’il tiendrait dans un doigt d’eau-de-vie, en Occitanie profonde. La recette patrimoniale du « vivre ensemble » de ce café/presse/épicerie/point-butagaz rural ? On y fume sec entre quatre murs, au point de se croire en plein smog londonien. Et les gendarmes dans tout ça ? Ils permettent une telle atteinte à la loi ? Ben, oui, parce qu’il leur arrive, au cours de leur tournée dans la campagne, de venir tirer sur une petite clope. Vite fait-bien fait, à la sauvette, le temps d’avaler un expresso en échangeant trois mots avec l’autochtone… Au nom de ce sacro-saint patrimoine existentiel, que la maréchaussée reparte bénie, peuchère !
Marie France Poirier