Il est des moments précieux dans l’existence ; une rencontre avec le peintre dijonnais Yan Pei-Ming, l’immense artiste aux formats non moins immenses, en fait partie. Il sera l’hôte exceptionnel du Musée des Beaux-Arts pour la réouverture, avec une exposition de plus d’une trentaine de créations – inédites pour la plupart.
Célèbre dans le monde, le peintre ne se départit jamais d’une grande retenue préservant ainsi l’intimité de ses espaces du « dedans » que constituent un travail et une création toujours en alerte. Armé de grosses brosses et déchirant de noir, de blanc, de gris, de rouge la surface gigantesque de ses tableaux – fauves, portraits, paysages urbains aussi improbables que ceux de l’écrivain américain Paul Auster… Ming se bat à coups de peinture sur le ring du « survivant », de la guerre ou de la mort. Son atelier de plusieurs centaines de m² est à la… démesure de son imaginaire : un des murs est bardé de grands traits de peinture, sortes de calligraphies que l’on peut interpréter comme autant de « signalements » d’angoissantes interrogations, ou de sens ou de contresens à donner à notre passage sur terre… Aussi les très récents portraits de son oncle ou de sa mère décédés envoient-ils un écho à l’adresse des générations actuelles ou à venir !
Même interrogation devant le portrait de son grand ami défunt, Xavier Douroux, l’un des deux fondateurs du Consortium… Cette série-là sera d’ailleurs exposée, dès le 17 mai au Musée des Beaux-Arts pour plusieurs mois, parmi bien d’autres visages en gros plan, de scènes de vie ou de souffrance anonymes – tels que ses tableaux sur le 11 Septembre ou sur l’un de ses amis dijonnais mort lors de l’attaque des islamistes au Bataclan.
Les visiteurs du Musée auront l’occasion de méditer sur un étonnant panoramique constitué de quatre autoportraits de l’artiste jalonnant les étapes de sa vie jusqu’à sa disparition future… Yan Pei-Ming est un portraitiste à la démarche sérielle qui s’intéresse également à l’actualité : les cassures de l’Histoire contemporaine, les bruits et fureurs du monde constituent ce qu’il nomme son « jardin d’œuvres »; il les peint sans relâche. L’ensemble des compositions de Ming transcende – grâce à une dynamique si essentielle et si esthétique – son empathie douloureuse avec les activités humaines : tous ses tableaux se veulent le témoin d’une réflexion, d’un regard interrogatif devant les « choses de la vie » qui heurtent inexorablement le gong des portes de la mort. Tour de force de ce géant : même la tristesse de sa « Jeune Fille en Rouge » est éclairante…
Marie-France Poirier
Ming vs Courbet
Parallèlement à sa présence (immense) au Musée des Beaux-Arts de Dijon et une exposition à l’automne en Italie du nord, Ming participera dès le 10 juin prochain à la célébration du bicentenaire de la naissance de Gustave Courbet. C’est ainsi que « le plus français des peintres chinois » se confrontera à une dizaine d’œuvres majeures du maître d’Ornans.
Par ailleurs, dans l’atelier de Courbet à Ornans, Yan Pei-Ming réalisera une série de tableaux qui viendra en face-à-face à l’œuvre d’un Courbet, magistral et éternel génie déchiré devant l’Eternel. L’exposition Yan Pei-Ming face à Courbet s’attachera à traduire les multiples connivences artistiques entre ces deux peintres à quelque six générations d’écart (jusqu’au 30 septembre).