À la fin des années 1980, Denis Vincenot prévoit de couler une retraite calme de fonctionnaire de police, mais tout ne s’est pas passé comme prévu… Trente ans plus tard, ni retraite, ni calme mais des voyages aux quatre coins du monde pour traquer les fausses oeuvres d’art.
Il ne reste que 5 ans de carrière à Denis Vincenot quand un dossier arrive sur son bureau de la place Suquet. Après avoir tiré un premier fil de ce qui semble être une affaire obscure d’anabolisants en Franche-Comté, il en tire un second et réussit, au bout de deux ans d’enquête qui le mène de Besançon aux Etats-Unis en passant par Londres, à mettre au jour le plus gros trafic d’art du XXe siècle : une fonderie de Haute-Saône, à une époque effectivement utilisée par Diego Giacometti, fabrique des faux et un réseau s’occupe de les disperser. Entre la mort de l’artiste en 1985 et la saisie du trafic en 1990, ce sont 180 millions de francs que les faussaires ont mis sur le marché. « J’avais accepté ce dossier en pensant qu’il terminerait tranquillement ma carrière, c’était en 1988, etbien je vis toujours au rythme des Giacometti… »
Car si le réseau est tombé, les fausses pièces se sont entre-temps dispersées partout dans le monde et Denis Vincenot décide de chasser ces faux, aujourd’hui estimés à 50 % des oeuvres signées Diego Giacometti. Il s’inscrit donc comme expert auprès des tribunaux, où il se retrouve régulièrement pour montrer, preuves scientifiques à l’appui, que tel meuble ne peut pas être un vrai, et poursuit sa tâche. Rapidement devenu un spécialiste reconnu et même surnommé « the Maigret of the bronzes » par la presse internationale spécialisée, il est contacté par des collectionneurs privés ou musées pour étudier des tables, consoles ou chaises. « J’ai rencontré des grands noms de la politique ou du show business, et d’autres personnes passionnées mais parmi lesquelles il y a beaucoup de snobs et quelques illuminés, car le marché de l’art est assez malsain même s’il commence à s’assainir aujourd’hui. Pendant longtemps, les commissaires priseurs comme les experts du commerce n’ont pas mis beaucoup d’ardeur à déceler les faux, le fait que les acteurs du marché touchent une commission sur les ventes y est peut-être pour quelque chose… Et puis la règlementation est assez vague, il serait bon qu’un comité Diego Giacometti voie le jour ».
Si l’art ne lui était pas étranger puisque le fils d’Henri Vincenot a toujours vécu entre sculpture et peinture, il est donc devenu expert et son travail s’articule selon une base de données qu’il a lui-même constituée, les photos qu’il prend sur place, et son oeil bleu avisé. Quant aux enquêtes elles-mêmes, l’ancien policier est bien placé pour les mener : « Je reconnais facilement les bobards des faussaires et revendeurs, d’ailleurs ce sont toujours les mêmes. Concernant Diego c’est systématiquement : « Monsieur je vous assure, c’est la concierge de Giacometti qui avait reçu ce meuble mais comme elle n’y connaissait rien, elle l’a donné à ma famille qui habitait juste au-dessus, voilà pourquoi j’ai ça chez moi… » ou bien : « Gardez-le pour vous mais ma grand-mère était très proche de Diego et il lui a secrètement offert plusieurs pièces… » Avec les années, c’est maintenant l’arrière-grand-mère qui était très proche…
Denis Vincenot se rend donc à Hong-Kong comme à Washington, aux Pays-Bas ou en Corse, à chaque nouvelle demande d’expertise. « Je suis maître de mon travail car je peux aussi refuser un déplacement mais c’est une activité passionnante pour moi et puis je fais oeuvre de salubrité publique donc tant que je pourrai marcher, je continuerai ».
Caroline Cauwe