François Sauvadet : « 36 000 communes, c’est trop ? Je pense tout à fait le contraire ! »

Dijon l’Hebdo : Dans quel état d’esprit êtes-vous en ce début d’année ?

François Sauvadet : « Combatif mais aussi inquiet. On traverse une période qui est particulièrement difficile qui met en avant une expression de mécontentement que je comprends. Mécontentement lié au pouvoir d’achat évidemment mais pas que… Comment voit-on l’avenir de la France, du territoire rural… ? Des préoccupations vécues au quotidien. Comme l’augmentation du prix du gasoil, les 80 km/h. On veut sortir la voiture de la ville mais elle est indispensable aux déplacements dans les campagnes et notamment pour aller travailler, avoir accès aux services. Cette réalité-là a été ressentie très durement par bon nombre de nos compatriotes. Ajoutez à cela le mépris qu’ont ressenti les corps intermédiaires, les élus. Comment voulez-vous que les citoyens aient une vision de l’avenir quand leurs propres élus de proximité expriment leur ras-le-bol. »

 

DLH : Quel est le vœu que vous formulez en ces circonstances ?

F. S : « Si je dois formuler un vœu, c’est que cette période signe le grand retour de la proximité. La proximité, c’est une nouvelle chance qui doit être donnée à notre pays pour travailler au plus près avec les gens. Ce n’est ni un renoncement ni de la démagogie, c’est au contraire l’occasion de vivre ensemble mieux. »

 

DLH : Comment expliquez-vous la déconfiture de la droite et du centre qui, plus de 18 mois après la présidentielle, apparaissent avec difficulté sur les écrans radar des sondages nationaux ?

F. S : « On a vécu un vrai séisme politique qui n’a épargné personne. Pas plus la droite et le centre que le parti socialiste et tous les partis dits traditionnels. Un profond discrédit a été jeté sur l’ensemble des élus et c’est extrêmement préoccupant. On voit bien que certains voudraient profiter de ce malaise pour remettre en cause la démocratie représentative. Les partis doivent tirer la leçon de tout ça. Il faut repartir sur le terrain des idées et des projets. Qu’est-ce qu’on veut pour la France de demain ? C’est à cette question que la droite et le centre doivent répondre. Il ne s’agit pas simplement d’observer les préoccupations. Il faut y répondre. Poser les problèmes de l’immigration, des rapports sociaux, du fonctionnement de nos démocraties… et apporter des réponses. C’est notre responsabilité collective. Je le dis encore aujourd’hui sur le plan national : certains ont abandonné le terrain des idées pour se livrer à des guerres fratricides. Je propose aujourd’hui des états généraux de la droite et du centre. C’est à partir des expériences locales que l’on se mettra d’accord pour ce qui est bon et nécessaire pour la France. C’est ce qu’on fait sur la région Bourgogne – Franche-Comté où on a su dépasser nos querelles pour se consacrer à l’essentiel, c’est à dire la vision de la grande région. On a su le faire aussi ici-même dans le département de la Côte-d’Or après des tensions liées parfois à l’indécision de nos partis politiques au plan national. Je ne reviendrai pas sur les candidatures multiples dans certaines circonscriptions qui ont été dévastatrices. Aujourd’hui, nous avons dépassé ces querelles avec une vision partagée du département. Si la droite et le centre ne reprennent pas le chemin du dialogue, ils ne pourront pas incarner une alternative pour la France de demain. Il ne faut pas se radicaliser, il faut rassembler. C’est ça l’enjeu de la politique. »

 

DLH : Et en attendant ne pensez-vous pas que c’est le Rassemblement national de Marine Le Pen qui va finir par occuper l’espace qui était le vôtre jusqu’alors ?

F. S : « Je ne crois pas que c’est un espace politique qu’elle occupe. Ce n’est pas sur leurs propositions irréelle, déconnectées des réalités, que le Rassemblement national récolte des voix. mais sur le mécontentement général. Nous n’avons pas à courir derrière l’opinion. Nous avons vocation à gouverner. Il nous faut être dans une opposition responsable qui ne promet pas tout et n’importe quoi. Refaire un nouveau projet de large rassemblement dans lequel les actifs pourront bénéficier du fruit de leur travail, où on tendrala main, une main ferme, à ceux qui sont en dehors de la route pour les conduire sur le chemin de la responsabilité. Tous les sujets doivent être abordés. Et en premier lieu, l’Europe. On voit bien que tous ceux qui veulent la jeter aux orties font courir un grave risque avec la montée des nationalismes. »

 

DLH : Le Grand Débat national a débuté le 15 janvier. Comment jugez-vous cette initiative qui émane du Président de la République ?

F. S : « Je ne suis pas fan des grands débats. Le débat, il doit se faire au jour le jour entre les citoyens et les élus. On est dans une situation de crise, il faut en sortir. Personne ne peut souhaiter le chaos. A part les anarcho-libertaires qui veulent la fin de la démocratie représentative et qui s’emparent du mouvement des Gilets jaunes pour se livrer à des actes violents et d’agression à l’égard de nos forces de police et de gendarmerie, nos pompiers. C’est inacceptable et ils doivent être sanctionnés.

Personnellement, je n’organiserai pas de débat car il appartient aux citoyens de s’organiser comme ils le souhaitent. J’apporterai ma contribution avec une lettre au Président de la République pour lui faire part de mes réflexions sur l’organisation des pouvoirs publics et la politique en général.

Par contre, c’est une bonne choses que ces débats se déroulent dans les communes. »

 

DLH : S’il vous était donné la possibilité de faire un changement majeur dans ce pays, quel serait-il ?

F. S : « La réforme de l’État central. Faire en sorte que l’État revienne sur ses missions régaliennes que sont la justice, l’armée, l’éducation, la sécurité… et arrête de vouloir s’occuper de tout. Aujourd’hui, ce sont les préfets qui nous notifient nos budgets comme si l’État était en capacité de mieux gérer que nous. En ce moment, nous assistons au grand retour de l’État. Est-ce vraiment une vision moderne de la France ? Nous avons besoin d’un nouvel élan de décentralisation.

Pour baisser la dépense publique, il faut mettre un terme à la création des « machins » trop coûteux qui ne répondent pas aux objectifs. Tout un tas d’organismes qui ne servent à rien. Je pense notamment aux nombreuses agences qu’on est en train de créer. Par exemple, pour mettre en place de l’ingénierie en direction des communes alors que nous le faisons déjà. Peut-on continuer d’avoir des agences régionales de santé quand nous assumons l’essentiel des questions sur les personnes âgées ? L’État doit-il continuer à s’occuper de nos gestionnaires de collèges alors que c’est nous mêmes qui avons la compétence sur les collèges ? »

 

DLH : Chacun semble s’accorder sur la nécessité de réduire le nombre des parlementaires… Ne pensez-vous pas qu’il est urgent de diminuer le nombre de communes et d’encourager la fusion de bon nombre d’entre elles, en Côte-d’Or notamment ?

F. S : « Je vais aller à contre-courant. La baisse des parlementaires en France, ça veut dire moins de représentation des territoires. N’oublions pas que la moitié de la population vit sur les territoires ruraux. Mon vœu, c’est une dose de proportionnelle permettant le fonctionnement de l’institution en dégageant une majorité mais autorisant la représentation de chaque courant de pensée à l’Assemblée nationale.

36 000 communes, c’est trop ? Là encore, je pense tout à fait le contraire. Chaque commune est une chance. L’idée selon laquelle en faisant grand -régions, cantons, suppression des départements, intercommunalités, métropoles- on allait régler les problèmes, nous éloigne du vécu des Français. Chaque Français est de quelque part. Moi, je suis Français mais j’habite à Vitteaux. Ce quelque part, c’est le lieu de vie. La vraie réforme, c’est le toilettage des compétences. Et là, on ne va pas dans le bon sens.

 

DLH : Finalement, le mouvement des Gilets Jaunes ne serait-il pas le meilleur rempart pour défendre la décentralisation et l’ensemble des territoires en remettant les collectivités locales au coeur du Grand débat national ?

F. S : « L’enjeu, il est là. La vraie réponse, c’est le retour de la proximité. On nous a vendu les grandes régions comme sources d’économie, on voit ce que cela donne. Ca coûte plus cher. Les citoyens ont le sentiment de voir s’éloigner les pouvoirs. On a fondé l’avenir du pays sur les métropoles… Elles sont une chance, je l’ai toujours dit. La Métropole de Dijon est une chance pour la Côte-d’Or. Mais en même temps, on voit bien que les métropoles vivent sur elles-mêmes et qu’elles ne sont pas en mesure d’assurer la cohésion territoriale.

 

DLH : Cette proximité, elle est incarnée par les maires. Et les maires justement vous les avez sollicités pour construire votre politique départementale…

F. S : « Voilà des mois que je pressentais la situation difficile qui est la nôtre aujourd’hui. Les facteurs de tension sociale étaient là : croissance molle, plus de précarité. Quand j’ai vu qu’on allait nous imposer un plafonnement de nos dépenses -et par voie de conséquence de nos investissements- , j’ai souhaité que les choix budgétaires se fassent de manière de manière partagée. J’ai rencontré tous les maires, je leur ai fait part de nos intentions, de nos priorités. Je n’ai pas attendu cette crise pour lancer un vaste questionnaire en direction de tous les habitants de la Côte-d’Or. Dix mille réponses nous sont parvenues et j’en ai tenu compte dans l’élaboration de nos projets. »

 

DLH : Vous avez aussi interrogé les collégiens sur leur avenir. Qu’en est-il ressorti ?

F. S : « J’y tenais beaucoup. Ce sont les adultes de demain. Je les ai invités à réfléchir jusqu’aux vacances de février sur la Côte-d’Or qu’ils voulaient dans les 15 / 20 prochaines années. C’est une grande première que cette consultation. 10 % d’entre eux ont déjà apporté leur contribution. J’ai tout d’abord été frappé et touché par l’attachement qu’ils portent à leur département. Comme quoi le département n’est pas une idée ancienne contrairement à ce que pensent certains. Attachés aussi à leurs villages, leurs villes, elurs quartiers. Ils ont exprimé une formidable aspiration à la qualité de vie. Je ne suis donc pas sûr que la densification des villes correspondent à leurs souhaits. Il y aura une grande restitution d’ici la fin de l’année scolaire.

Je tiens à dire aussi que dans les transferts de compétences, j’ai refusé que les collèges urbains relèvent de la compétence de la Métropole. Je ne voulais pas qu’il y ait des collégiens des villes et des collégiens des campagnes. »

 

DLH : Vous avez voté le budget du Département en décembre dernier. Quelles sont les principales lignes qui en ressortent ?

F. S : « D’abord, la volonté d’assumer toutes nos missions de solidarité avec nos aînés, notamment le maintien à domicile, de lutte contre toutes les formes de précarité avec un esprit de responsabilité. Je continuerai à lutter contre la fraude qui est une menace pour la solidarité sociale. Je renoncerai pas, non plus, à notre mission d’équilibre territorial. C’est le fondement de mon engagement politique. C’est le coeur de l’action que je conduis. On est une seule et même Côte-d’Or, n’en déplaise à ceux qui voudraient nous cantonner dans une opposition stérile entre Métropole et restant du territoire. Nous travaillons beaucoup en faveur de tous les habitants de la Métropole, avec les maires, avec les corps sociaux, les associations, le mouvement sportif. Je veux redire qu’il n’y a pas deux Côte-d’Or. »

 

DLH : Avec Futurs 21, vous avez mis en place un programme d’innovation des modes de vie de demain que vous qualifiez de « véritable laboratoire de l’innovation sociale ». Où en êtes-vous ?

F. S : « C’est ensemble qu’il faut se donner les moyens d’entrer de plein pied dans le XXIe siècle. Partout. Dans chaque commune. Dans chaque territoire. Avec le déploiement massif du très haut débit et, en même temps, avec la volonté de devenir le laboratoire des modes de vie de demain. A Dijon, dans le quartier de la Fontaine d’Ouche, nous avons ouvert le premier appartement connecté qui permet le maintien à domicile. On pourra suivre les consommations d’eau de la personne âgée, l’ouverture des portes de frigo, avoir des chemins lumineux pour les personnes désorientées…

Cette initiative a suscité un vif intérêt auprès de grandes entreprises nationales. Bouygues, par exemple, est venu nous présenter ses expérimentations. L’enjeu, demain, ce sera de rendre accessible toutes ces technologies. Il faudra donc lutter avec une grande efficacité contre la fracture numérique en multipliant les points d’information, de formation, de sensibilisation pour faciliter les accès. »

 

DLH : Le fait que vous ayez choisi un quartier dijonnais pour ouvrir ce 1erappartement complètement connecté témoigne-t-il de la volonté du conseil départemental d’être présent sur la Métropole malgré le transfert obligatoire d’un certain nombre de vos compétences ?

F. S : « Bien sûr que c’est une volonté. Je le répète : il n’y a pas deux Côte-d’Or. Et dans ses compétences, le département restera très impliqué. Je voudrais signaler que, depuis juillet 2017, nous avons exploré avec la Métropole toutes les voies et moyens pour que les services publics puissent se faire dans les meilleurs conditions. Cela a été plus compliqué que je l’avais imaginé. La Métropole a pensé qu’elle récupérerait, sur son périmètre, la quasi totalité des services du département dans le domaine social notamment. Lorsque l’État, en octobre 2018, a livré son analyse des transferts possibles en matière sociale, à la demande d’ailleurs de la Métropole, il a dit deux choses : que le département reste chef de file des politiques de solidarité sur tout le territoire, y compris Dijon Métropole, et reste chef de file et opérateur des politiques sociales dans les secteurs du handicap, de l’enfance, des personnes âgées et de l’insertion… Ce que la Métropole a vocation à récupérer dans le secteur social, c’est bien précis, c’est la prévention spécialisée, la compétence de premier accueil des services sociaux, le fonds de solidarité logement… Je n’y vois aucun problème. On a jusqu’au 31 mars 2019 pour mettre en œuvre les transferts limités de compétences. Je forme le vœu qu’on y parvienne. Les choses sont claires dans mon esprit. »

 

DLH : 2019 sera la dernière année pleine avant les élections municipales de mars 2020. De quelle manière allez-vous vous impliquer dans ces consultations ? Serez-vous à la manœuvre pour qu’une seule liste de la droite et du centre affronte la majorité sortante ?

F. S : « Il y a un besoin de changement à Dijon. Je ne partage pas la vision de François Rebsamen de densification urbaine, de construction à tout va qui risque de recréer les mêmes problèmes qu’on a connus par le passé. Qu’est-ce que les Dijonnais souhaitent ? Une ville aérée, ouverte. Et la création d’espaces entre des tours qui sont, certes, moins hautes, ne me semble pas correspondre à cette aspiration. Il faut savoir raison garder et ne pas se comparer aux plus grandes villes de la planète.

Un autre enjeu important, c’est la relation avec son environnement. Dijon ne peut pas, à elle seule, imposer ses visions à l’ensemble de la Métropole. Quant aux grands projets, il faut des choix plus construits. Peut-on imaginer une cité de la gastronomie qui ignore le Département et Beaune ?

Comment créer les conditions de l’alternance ? Avec un large rassemblement de tous ceux qui veulent cette alternance, d’où qu’ils viennent. Avec un projet pour la ville. Et je suis prêt à y apporter ma contribution. L’avenir de Dijon, ce n’est pas simplement la question de la droite et du centre ou encore du parti socialiste. Je propose une méthode, un chemin, un projet, un très large rassemblement d’hommes et de femmes. Et celui qui incarnera le mieux ce projet deviendra la tête de liste. Sinon, on repartira dans les bagarres qu’on a trop connues et qui conduiront droit dans le mur. Il ne faut pas se polariser sur les personnes. Elles viendront après le projet. »

 

DLH : François Sauvadet candidat à Dijon… cela relève-t-il d’une fiction déplacée ?

F. S : « Dans la vie, jamais est un mot qui n’existe pas. Je travaille à Dijon. Le conseil départemental y a son siège. J’y suis tous les jours. J’aime profondément Dijon et, pour moi, Dijon est indissociable de la Côte-d’Or. Je mesure les difficultés que nous avons en terme de mobilité, pour entrer et sortir de Dijon…

Simplement, je le redis, une méthode, du travail, un projet qui prend en compte une conception de l’avenir très ouverte, et ensuite seulement on déterminera celui qui est le mieux placé. Et on peut avoir des surprises… »

 

DLH : Et l’année suivante, en 2021, ce seront les élections départementales. Vous y travaillez déjà ?

F S : « J’y travaille depuis les dernières élections. Par l’action. Je suis convaincu qu’elle est bien comprise cette action, y compris par les Dijonnais. Les élections départementales, elles se préparent au quotidien avec les habitants eux-mêmes. »

Propos recueillis par Jean-Louis Pierre