BLOW OUT à l’Eldorado

Un soir, dans un parc, Jack Terry (John Travolta), ingénieur du son, enregistre des ambiances pour les besoins d’un film. Il perçoit soudain le bruit d’une voiture arrivant à vive allure. Un pneu éclate. Le véhicule fou défonce le parapet et chute dans la rivière. Jack plonge et arrache à la mort une jeune femme, Sally (Nancy Allen). Mais le conducteur est déjà mort…

Le cinéma Eldorado a l’excellente idée de programmer BLOW OUT, film réalisé au début des années quatre-vingt par Brian de Palma, metteur en scène de la citation, du dédoublement et de la mise en abyme. BLOW OUTapparaît chronologiquement entre le succès de PULSIONSavec Michael Caine, et la relecture du chef-d’œuvre d’Howard Hawks SCARFACEavec Al Pacino.

AprèsPULSIONS, De Palma rêve de tourner LE PRINCE DE NEW YORKavec John Travolta, mais le cinéaste est viré par la production. C’est finalement Sydney Lumet qui met en scène l’histoire vraie du policier des stups Danny Ciello, avec Treat Williams dans le rôle principal. De Palma entreprend alors de réaliser BLOW OUT, film hommage à deux films de réalisateurs qu’il admire :BLOW UP(1966) de Michelangelo Antonioni avec Jane Birkin, et CONVERSATIONS SECRETES(1974) de Francis Ford Coppola avec Gene Hackman.

Le metteur en scène américain s’inspire également de trois faits politiques majeurs de l’histoire des USA : l’assassinat de John Fitzgerald Kennedyle 22novembre1963à Dallas(et particulièrement les images d’Abraham Zapruder, qui a filmé en direct l’éclatement du crâne de JFK) ; l’accident de Chappaquiddickle 18juillet1969, au cours duquel la jeune spécialiste de campagne politique Mary Jo Kopechne trouve la mort dans une voiture conduite par le sénateurdémocrateTed Kennedy. Les circonstances de l’accident font scandale et ont d’importantes conséquences sur la carrière politique de Ted Kennedy, qui ne sera jamais président. Enfin, le scandale du Watergatequi entraina la démission du président Nixon le 9 août 1974.

De Palma, obsédé par l’idée d’un pouvoir politique corrompu, intègre ces trois évènements dans les influences de son BLOW OUT(en français « éclater », référence au pneu qui explose). Alors pourquoi revoir aujourd’hui un des fleurons du thriller eighties ultra-référencé, dont le réalisateur du futurMISSION IMPOSSIBLEa le secret ?

Pour John Travolta, double de Brian De Palma, qui porte d’ailleurs dans le film symboliquement la veste du réalisateur. Son lien avec la réalité passe exclusivement par une machinerie enregistreuse, magnétophone ou caméra. Le cinéma devient une façon singulière de regarder la vie, de l’entendre et de l’appréhender. Un cinéma qui se donne ici les moyens d’exister. En effet, de deux millions de dollars de budget, le film devient grâce à la star de SATURDAY NIGHT FERVER(1977) et GREASE(1978), une œuvre à dix millions de dollars. De quoi soigner la fin du long-métrage, une des plus réussies de l’histoire du cinéma … mais aussi une des plus traumatisantes !

Pour sa thématique obsessionnelle du triple voyeurisme : celui du cinéaste, du spectateur et des personnages eux-mêmes. En cela, BLOW OUTest davantage qu’une transposition de BLOW-UPd’Antonioni, film dans lequel un meurtre est élucidé à partir d’une photo. SiBLOW OUTest au son ce que BLOW UPest à l’image, il est également bien plus que le rapport d’un média à la perception de la réalité. Il se double d’un thriller hitchcockien d’une noirceur inattendue, ce qui sera en partie la cause de son échec au box-office. Cette originalité assumée ne correspondra pas aux attentes des fans de John Travolta.

Pour ses références hitchcockiennes et sa capacité à maintenir en permanence le suspense, l’imagination et la pensée.BLOW OUTest un thriller prenant, parce que Brian de Palma est passionné comme personne par la façon dont les appareils réécrivent le monde. Fascinant documentaire sur la prise de son et son montage, spécialement dans la magnifique scène nocturne d’enregistrement sonore avant l’accident, le film est une réflexion sur le pouvoir des images et leur capacité à mentir ou à exposer la vérité.

Pour le plaisir de revoir Nancy Allen, épouse de Brian de Palma et comédienne emblématique du Nouvel Hollywood. En 1975, elle joue la lycéenne qui provoque la colère finale de Sissy Spacek dans CARRIE AU BAL DU DIABLE. Elle enchaine avec CRAZY DAYde Robert Zemeckis et 1941de Steven Spielberg. Elle tourne ensuite trois films sous la direction de son mari. Elle a trente-et-un ans lorsqu’elle tourneBLOW OUT. Treize ans et quelques films de genre plus tard, on la retrouve dansLES PATRIOTESdu français Eric Rochant, grand film d’espionnage qui annonce la future série à succès du réalisateur : LE BUREAU DES LEGENDES. Elle est ici inoubliable dans le rôle de Sally.

Pour la photographie du chef opérateur hongrois Vilmos Zsigmond, qui aime désaturer les couleurs, particulièrement en utilisant la technique du « flashage » consistant à exposer le négatif à la lumière une première fois avant de filmer pour donner un aspect laiteux à l’image. De l’image à la réalisation en split screen (écran divisé), tout est extrêmement maîtrisé, faisant deBLOW OUTune œuvre majeure de son créateur et un des plus grands films des années quatre-vingt.

Raphaël MORETTO

BLOW OUT, le 7 février au cinéma ELDORADO.