Boualem Sansal construit, livre après livre, une œuvre romanesque vertigineuse et essentielle pour explorer et comprendre les méandres d’une époque en prise avec les crises migratoires et environnementales et menacée par les obscurantismes religieux et économiques.
Le train d’Erlingen ou la métamorphose de Dieu est la nouvelle fable futuriste (prophétique, risquons le mot) de l’auteur de 2084. La fin du monde.
Ute Von Ebert, riche héritière d’un empire financier dont les multiples ramifications couvrent les cinq continents, écrit régulièrement d’Erlingen en Allemagne, bourg prospère et coquet, à sa fille Hannah, 26 ans, partie s’installer à Londres, des lettres dans lesquelles elle évoque son quotidien comme les événements qui secouent sa ville natale assiégée par un ennemi qu’elle nomme « les Serviteurs » et dont les habitants doivent être évacués par un train qui n’arrive pas.
Dans cet univers qui rappelle Orwell, ainsi que le livre de Virgil Gheorghiu, Les immortels d’Agapia, la correspondance édifiante de Ute Von Ebert n’a aucune chance de parvenir à sa fille. Et l’auteure des lettres ne l’ignore pas. Elle témoigne. Et assiste impuissante au déclin d’une société prospère qui passe de « l’affolement à l’abattement », se délite à force d’inertie et de lâcheté et dont les citoyens ont renoncé à défendre leurs « convictions d’hommes libres ».
En 250 pages, aux chapitres courts et percutants, Boualem Sansal nous invite à nous interroger avec ce regard à l’acuité corrosive qui le caractérise, sur nos propres comportements face à la montée apparemment inexorable du sectarisme et de la violence.
Pour nommer les choses, car « la peur des mots rend muet » et mettre à nue des réalités glaçantes, Sansal, renouvelant la manière et la forme, puise dans le vocabulaire de l’anticipation et de l’onirisme, des mots et des formules qui « impressionnent et parlent à une partie de cerveau très sensible, intuitive, réactive, toujours disponible ».
Un maître livre à lire et à méditer d’urgence.
Pierre Pertus
Boualem Sansal
Le train d’Erlingen. Editions Gallimard. 20 euros
Chez Gibert Joseph Dijon.