Cinéma : Le Monde est à toi

 

Le Monde est à toi, thriller comique français de Romain Gavras avec Karim Leklou, Isabelle Adjani, Vincent Cassel et Oulaya Armamra.

François (Karim Leklou), petit dealer, a un rêve : devenir le distributeur officiel de Mr Freeze au Maghreb. Cette vie, qu’il convoite tant, vole en éclat quand il apprend que Dany (Isabelle Adjani), sa mère, a dépensé toutes ses économies. Poutine (Sofian Khammes), le caïd lunatique de la cité propose à François un plan en Espagne pour se refaire. Mais quand tout son entourage : Lamya (la divine Oulaya Armamra) son amour de jeunesse, Henri (Vincent Cassel) un ancien beau-père à la ramasse tout juste sorti de prison, deux jeunes complotistes et sa mère chef d’un gang de femmes pickpockets, s’en mêle, rien ne va se passer comme prévu !

Romain Gavras est un ciné-fils et pas n’importe lequel : celui du grand Costa (Z,L’Aveu, Etat de siège) célébrissime réalisateur engagé dont France 24 a annoncé la mort par erreur fin août ! On connaissait Romain clippeur génial de Justice, MIA ou Jamie XX, on le découvre cinéaste de talent  pour son deuxième long-métrage après Notre Jour viendra. Ce surdoué de l’image aime jouer avec les codes du film de genre pour mieux les dynamiter. Nous ne sommes pas ici chez Melville. L’aura, le mystère et le glamour qui entourent les gangsters ne sont pas au rendez-vous : « L’univers de la petite voyoucratie appelle davantage à la comédie qu’au film noir, des petites frappes sensibles, des situations absurdes, mais finalement très humaines et incarnées. »

 

L’histoire d’un mec normal

Le Monde est à toi est l’histoire d’un mec, normal, dans un monde qui ne l’est pas : un mec fragile entouré de femmes fortes, sa mère et sa petite amie ; un mec qui essaie de se sortir d’un film de voyous. Ce film commence par une tonitruante chanson de Michel Sardou, sa soixante-neuvième écrite  en 1973 sur une musique de Jacques Revaux : « Hallyday, Le Phénix», hommage à son ami chanteur d’alors : Johnny ! Romain Gavras ne recule devant rien et connait la valeur évocatrice et sentimentale de la chanson populaire. Sa comédie pop et déjantée, Le Monde est à toi, se trouve dans le sillage de L’Aventure c’est l’aventure, même s’il est difficile de ne pas penser à Tarantino et au cinéma américain dont le titre s’inspire. Oui, « The World is Yours »  est bien une des répliques cultes de Tony Montana (Al Pacino) dans Scarface du grand Brian De Palma, dont Le Monde est à toi est l’antithèse. La référence américaine est plus à aller chercher du côté de John Landis, le père des Blues Brothers et du Thriller de Mickaël Jackson (le clip le plus célèbre de l’histoire du clip). Landis, déjà un habitué des films de Costa, réalise d’ailleurs un caméo, une apparition fugace, par amitié pour Romain Gavras dans ce thriller comique référencé.

Mais le véritable Phénix du Monde est à toi  est LA star Isabelle Adjani ! Elle a le pouvoir de renaître de ses cendres après s’être consumée dans les flammes de ses amours contrariés … et de ses quelques choix cinématographiques incertains. La puissance comique d’Adjani, s’exprimant tellement bien chez Rappeneau (Tout feu, tout flamme ou Bon voyage) est ici intacte. Elle est Danny, la mère encombrante et azimutée, escamoteuse et menteuse, castratrice et tranchante, danseuse et voleuse. Elle impose son aura de star dans ce film choral, au côté d’un extraordinaire Karim Leklou, mélancolique et poétique, qui trouve son deuxième premier rôle après Coup de chaud, drame chabrolien de Raphaël Jacoulot. Toute l’interprétation est magistrale : de Vincent Cassel, en beau-père éconduit et petite frappe au cerveau embrumé par les théories du complot Illuminati, à la révélation de Divines, Oulaya Armamra, dulcinée désirable mais peu recommandable.En guest stars, François Damiens et Philippe Katerine font entendre leur petite musique particulière qui n’appartient qu’à eux.

 

Difficile de ne pas penser à La Haine

A l’écriture de ce Monde déjanté, on retrouve au côté de Romain Gavras, ses comparses Karim Boukercha et Noël Debré, ce dernier connu pour les scénarios de La crème de la crème de Kim Chapiron, Les Cowboys de Thomas Bidegain et surtout Dheepan de Jacques Audiard. La jeune garde est aux manettes de cette cartographie par petites touches de notre drôle d’époque. La présence de Vincent Cassel, fidèle de Kourtrajmé (collectif d’artistes fondé il y a plus de vingt ans par Gavras et Chapiron), n’est pas un hasard. Difficile de ne pas penser à La Haine (1995) de Mathieu Kassovitz, film certes ancré dans une réalité politique forte mais qui avait su préserver sa part de poésie et de drôlerie.

Avant la sortie des Frères Sisters de Jacques Audiard le 19 septembre, ne manquez pas cette folle comédie ultra-référencée, rythmée et bien photographiée, à la B.O. éclatante et variée. C’est de la bombe, bébé !