Chers lecteurs cinéphiles de mauvais esprit, ne vous êtes-vous jamais trouvés dans la situation agaçante où vous ne savez trop si vous devez adorer ou abhorrer le film que vous venez de voir, et qui mêle des aspects passionnants et des ratés affligeants ? Le critique narquois peut se troubler alors devant un tel dilemme cornélien : traiter ce film comme un nanar ou y voir une rareté intéressante !?
J’avoue que j’éprouve cette hésitation embarrassante devant Tout spliques étaient les Borogoves, film, ou plutôt dramatoche télé de Daniel Le Comte, réalisée et diffusée en 1970. Le titre lui-même est emprunté à un poème de Lewis Carrol composé de mots-valises et de vocables inventés, aboutissant à un ovni littéraire, entre comptine enfantine et tsunami surréaliste. Le texte est inséré dans la version d’Alice au pays des merveilles que lit d’ailleurs la petite héroïne du film – lequel serait donc une invocation adressée aux puissances de l’imaginaire et une invitation à visiter l’ailleurs, à passer de l’autre côté du miroir, dans les mondes oniriques ou d’outre-espace, dans les replis du temps ou du cosmos.
En fait, ce titre a été d’abord celui d’une nouvelle de science-fiction, rédigée par Lewis Padgett (pseudonyme sous lequel signait le couple américain Catherine L. Moore et Henry Kuttner) que notre bonne vieille télévision nationale a cru bon d’adapter au temps heureux où, malgré des échecs, elle menait une vraie politique de création. Notons d’ailleurs que le texte d’origine a été scénarisé par François-Régis Bastide et que la dramatique fut présentée lors de sa première diffusion par Marcel Brion, de l’Académie française. C’est dire l’ambition de l’œuvre !…
Et pourtant, le résultat n’est peut-être pas à la hauteur des espérances que pourraient susciter en moi les références précitées et mon goût pour l’imagination subversive. Je vais donc, la larme à l’œil, traiter comme un navet Tout spliques étaient les Borogoves.
Ça commence dans un planétarium où, accompagnés par leur papa, un grand (enfin, disons onze ans) frère, Philippe, et sa sœurette, Sylvie, assistent à une conférence commentant la voûte céleste projetée sur écran panoramique. Contrairement à Pascal, le silence de ces espaces infinis n’effraie aucunement les deux moutards, d’autant plus que le conférencier s’exclame, lyrique : « Nous sommes au début de l’investigation de la pluralité des mondes ! Qui sait quelles découvertes nous y ferons ? »
En tout cas, cette séance au planétarium a fonctionné chez les deux enfants comme une révélation autrement plus sidérante que celle du Buisson Ardent pour Moïse. Ils en sont tout chamboulés. Et, coïncidence cosmique, en rentrant de son collège, Philippe trouve dans la neige, un artefact mystérieux qui tient du chauffe-eau et de la cocotte SEB. Philippe ouvre la cocotte et en extrait des merveilles : des fils de fer vaguement torsadés, des ressorts multicolores, des bouilloires en aluminium percées de trous, des trucs qui clignotent, et une poupée étrange qui fait clic-clac quand on la touche. Bon sang, mais c’est bien sûr, il s’agit de haute technologie extra-terrestre. Lesquels extra-terrestres ont, malgré les distances sidérales, repéré les deux petiots. Ils les ont trouvés bien sympathiques et souhaitent manifestement qu’ils s’installent chez eux.
Sylvie et Philippe en sont ravis. Car de surcroît ils seront ainsi débarrassés de leurs parents qui tiennent un hôtel de montagne (d’où la neige évoquée plus haut) et qui ne pensent, pour l’une, qu’à aller chez le coiffeur ou la couturière, pour l’autre, qu’à bétonner les cimes et à installer un snack à 2000m d’altitude. Alors, avec les objets insolites trouvés dans la capsule bizarroïde, les bambins installent dans leur chambre un réseau labyrinthique lequel va devenir un itinéraire vers un ailleurs qui finira par les aspirer.
Constatant leur disparition, le père s’écriera, désespéré : « Mes enfants où êtes-vous ? Répondez-moi, mes petits ! » Pas la peine de hurler, pingouin, si tu avais été moins con, ils seraient peut-être restés !
Alors, film délicatement subversif ou navet interplanétaire ? A vous de trancher, lecteurs émérites !
Michel Erre
Références : Tout spliques étaient les Borogoves
Interprètes : Eric Damain, Laurence Debia, Malka Ribowska, William Sabatier, Madeleine Ozeray, Jean-Roger Caussimon.
Edité en DVD chez INA éditions.