Il est des parcours qui ne doivent pas rester dans l’ombre. Celui d’Alain Jacquier en est un car peu d’histoires ont un relief aussi singulier. Son histoire ne commence pas comme un conte et ne perdez pas de temps à chercher une éventuelle cuillère en argent avec laquelle il serait né… Tout est parti simplement de Dijon, place Grangier, dans un établissement qui s’appelait déjà « Le Central ».
Le monde est une cacophonie assourdissante d’opinions diverses, mais il est bien une chose sur laquelle chacun s’accorde : s’il existe une méthode Jacquier, elle peut se résumer en un mot. Persévérance ! C’est lui qui explique l’étourdissante réussite de cet homme insatiable, d’une inlassable énergie, dont les projets hôteliers qu’il aura mis en œuvre sont encore plus nombreux qu’une liste de courses ménagères pour famille nombreuse.
Jacquier. Son nom comme un emblème, comme une raison sociale, comme une marque déposée. Un nom qui ne disait rien à personne et qu’il a imposé, à partir de (presque) rien et pour tout le monde.
Alain Jacquier n’est pas un expansif. Quand il raconte sa vie, ce parcours exceptionnel, il parle posément. Sans grandes envolées lyriques ou introspections inutiles. Il a la voix grave et profonde, la taille imposante. Tout en lui dégage une détermination granitique, un patron obsessionnel qui n’a jamais laissé rien au hasard.
Refus des banques…
Alain Jacquier est né en 1936, l’année où le Front Populaire généralisa les congés payés. De quoi esquisser un sourire quand on sait que cet homme a passé le plus clair de son temps au travail…Trois ans plus tôt, ses grands-parents rachètent des parts de l’hôtel « Le Central » construit en 1928. Son père, qui a fait l’école hôtelière de Lausanne, se destine à reprendre cette affaire. « Malheureusement, il est mort dans un accident d’avion entre Dijon et Beaune.
Mon grand-père ne s’en est pas remis, laissant seule ma grand-mère à la gestion de l’hôtel avec environ 40 % des actions » raconte Alain Jacquier.
Face à cet homme d’affaires prospère et sûr de lui, il est difficile d’imaginer qu’il n’avait que 18 ans quand il reprit l’affaire à la sortie de l’école hôtelière de Strasbourg… C’est lui et lui seul qui s’occupe de l’hôtel et du restaurant qui s’appelait, à l’époque, le restaurant des Ducs de Bourgogne, un établissement gastronomique fréquenté par une clientèle dijonnaise aisée. « C’était passionnant mais difficile. La rentabilité de la restauration n’était pas évidente ». Au bout de 10 ans, les emprunts du restaurant sont remboursés et Alain Jacquier décide de mettre un terme à la dimension gastronomique pour lancer une rôtisserie-grill. Trois mois après, c’est un véritable succès…
Sa sœur lui cède ses parts et il se met en quête d’un prêt pour racheter les 60 % des actions qui feront de lui l’unique propriétaire. « J’ai été voir les banques mais elles ne m’ont pas fait confiance… » Ses interlocuteurs étaient bien loin d’imaginer que ce jeune plein de culot allait prendre la présidence de la Banque Populaire de Bourgogne de 1991 à 2004 et même d’être élu au conseil d’administration dans le collège des présidents de la Banque fédérale des Banques Populaires…
« C’est finalement un notaire qui a accepté de me financer. Tous les mois, j’allais rembourser les intérêts à l’étude et, petit à petit, j’ai racheté les 60 % restants du capital ». On comprend mieux pourquoi « Le Central » occupe une place essentielle dans son cœur. Tout est parti de là.
« Après, j’ai commencé à m’intéresser à autre chose sans jamais perdre de vue la gestion du Central ». A la fin des années 60, il prend une participation dans un restaurant sur l’autoroute à Beaune avec un groupement d’hôteliers locaux. Un premier investissement qui prend la forme d’un galop d’essai. Car la véritable aventure, elle débute un peu plus tard avec « trois copains », Christian Lameloise, Bernard Mignard et Michel Vincent et la création de la chaîne des hôtels Mercure. On en a ouvert 18. Le 1er à Saint-Witz, à côté de Roissy. Mais au bout d’un certain temps, il était difficile de se développer car on manquait de trésorerie. C’est là qu’on a rencontré deux personnes qui sont devenus des amis : Paul Dubrule et Gérard Pélisson, les co-fondateurs du groupe Accor, qui ont manifesté un réel intérêt pour racheter l’ensemble des hôtels ».
L’aventure Village Hôtel
La vente lui permet de créer l’actuel Ibis gare baptisé à l’époque Village Hôtel. C’est la première pierre d’un vaste ensemble qui va s’étendre sur l’agglomération dijonnaise mais aussi à Paris, Lyon, en Allemagne et même en Australie. Au total 75 hôtels de 70 à 110 chambres ! « En 2007, nous avons reçu la visite d’Eurazéo, une société d’investissement mondiale de premier plan qui venait de racheter la chaîne B&B Hôtels. Nos échanges se sont conclus par une proposition pour l’ensemble que nous avons refusée. L’année suivante, Eurazéo est revenu à la charge. Avec une nouvelle proposition qui, cette fois, méritait réflexion. J’ai accepté. »
La cession des Village Hôtel ne marquent pas pour autant le début d’une retraite dorée car le groupe Jacquier dispose toujours d’une douzaine d’établissements, totalisant plus de 1 000 chambres, parmi lesquels Le Central bien sûr, Le Mercure, l’Holliday Inn Express, un certain nombre d’Ibis à Dijon, sur l’agglomération, à Beaune, à Chalon-sur-Saône… et le Grand Hôtel La Cloche, au rang unique de 5 étoiles à Dijon, haut-lieu mythique de la capitale des Ducs qui porte une histoire de cinq siècles. « Je l’ai rachetée en 1983. J’ai pris des risques, je le concède, et j’avoue avoir eu quelques frissons pendant quelques temps et aussi des nuits avec un sommeil agité jusqu’au jour où l’on a vraiment trouvé le bon rythme de croisière. Ma grande fierté, c’est la Cloche, mais mon cœur c’est le Central. C’est mon bébé. J’y vais tous les jours. J’y prends la plupart de mes repas. J’y suis très attaché et quand on a tout cassé, j’avoue que ça m’a fait mal au cœur. Mon fils et mes petits enfants ont réussi à convaincre. Et les retours sont très positifs… C’est bien ça qui compte. »
Ouverture d’un Mercure à Paris
Alain Jacquier capable de passer la soirée à l’entrée de la cuisine du central pour surveiller le va-et-vient des plats.
Toujours sur le terrain. « C’est comme ça que j’ai commencé. »
Aujourd’hui, même s’il accuse le poids de ses 82 ans, même s’il affronte au quotidien les caprices d’une carcasse abîmée par l’arthrose, l’homme dégage toujours cette même impression d’autorité avec le regard pétillant et acéré.
« J’ai eu une vie passionnante. J’ai été entouré d’équipes formidables car dans ce métier on ne peut rien faire sans des gens performants. J’aimerais que Patrick, mon fils, Caroline et Anthony, mes petits-enfants réussissent ». Un vœu qui a toutes les chances d’être exaucé avec les belles valeurs qu’il lèguera le jour venu en guise de feuille de route.
En attendant le passage de témoin, le groupe Jacquier va prochainement ouvrir un hôtel Mercure (4 étoiles) de 134 chambres à Paris, rue de Tocqueville, dans le 17e…
Jean-Louis Pierre