C’est un film sur les cuculs. D’abord, parce qu’il est cucul dans son scénario, son atmosphère bucolique niaise et ses gags essoufflés. Ensuite, parce qu’on y évoque les cuculs des trousse-pet ; oh, rien de scandaleux, ici, nous ne sommes pas chez l’inventif Marc Dutroux ni chez le chevaleresque Gilles de Rais. Ici, c’est du cucul naïf de garçonnet des années cinquante, qui est juste censé recevoir, dans le cadre d’une pédagogie cohérente, de généreuses fessées, les seules pratiques à le faire rosir.
Dans l’œuvre de référence, la fessée est d’ailleurs l’objet d’un véritable hymne pour une école élémentaire en promenade, sous la conduite d’un cucul de première classe : Bourvil. Ledit et son troupeau d’écoliers s’égosillent dans les jolis chemins de Normandie pour entonner : « Papa fait panpan cucul ». C’est beau comme Le Chant du départ, n’est-ce pas ?
Mais il y a aussi, heureusement, des cuculs de demoiselles a priori opérationnelles, dont celui de Brigitte Bardot. Elle avait dix-sept ans lors du tournage et s’épanouissait dans un rôle de garce. Sa diction était proche de la bouillie Blédina et son jeu se réduisait à une seule mimique dont elle ne se départirait jamais plus : sa célèbre moue boudeuse de fillette exaspérante. En revanche, expressif, frétillant et mutin sous des robes cintrées, son cucul avait déjà tout pour susciter l’émoi de chaque homme normalement constitué.
Dans Le Trou normand, le cucul de B.B. tient un rôle non négligeable car il est instrumentalisé par la mère de la péronnelle dans le cadre d’une histoire d’héritage farcesque avec un zeste de sordide (nous sommes en Normandie, chez Maupassant !).
Résumons : Auguste-Marie Lemoine, le riche propriétaire d’une auberge de charme, Le Trou normand, vient de décéder prématurément pour avoir bu trop de calva. Il a pour possibles héritiers un grand dadais de neveu, Hippolyte Lemoine, (Bourvil, bien sûr !), fils de son frère cadet, et Augustine Lemoine, sa belle-sœur, épouse de son frère aîné et maman de la Brigitte, prénommée Javotte dans le film. Augustine dirige de fait la taverne, « qui est une bonne affaire », où Hippolyte est employé comme bête de somme. Et la vieille peau se croit déjà propriétaire de l’établissement.
Mais, surprise, surprise, lors de la lecture du testament, c’est le quasi-analphabète Hippolyte qui se voit désigner comme héritier, à une condition toutefois : il devra obtenir dans l’année en cours son certificat d’études car « pour diriger une affaire, il faut un minimum de savoir » stipule l’oncle Auguste-Marie dans ses écrits posthumes. Le drame se noue alors farouchement.
D’un côté, le niguedouille retourne à l’école pour préparer son examen, en compagnie des momichons évoqués plus haut. La fille de l’instituteur, Madeleine, elle-même institutrice dévouée, vient aider le préparationnaire en lui donnant, le soir, des cours particuliers : elle est moche, rondouillarde et lunettée. De l’autre côté, Augustine s’emploie à faire échouer son neveu par tous les moyens. Ainsi, elle promet à Bourvil, qui en bave d’envie, l’amour et le cucul de Javotte à condition qu’il fasse exprès d’échouer au certificat. Le jobard accepte et débite n’importe quoi lors des épreuves. Par bonheur, il se trouve que ses réponses lancées en l’air tombent juste. « Il a répondu merveilleusement à toutes les questions » car « il y a un bon dieu pour les grands enfants », s’extasie Madeleine. Hippolyte Lemoine devient donc légitime propriétaire du Trou normand.
Il se console alors de l’indifférence de Javotte dans les bras de son auberge et de Madeleine qui l’a tant aidé (et qui paraît soudain moins moche). Pour continuer à profiter de ses cours du soir, il envisage de se présenter au Brevet Elémentaire, voire « à la licence, au doctorat, à l’agrégation » (aujourd’hui, il aurait toutes ses chances !). Quant à Brigitte Bardot, elle a rencontré, entre-temps, un imprésario libidineux (Roger Pierre) qui enlève son cucul, certainement vers Saint-Tropez.
Le Trou normand (France, 1952)
Réalisateur : Jean Boyer
Interprètes : Bourvil, Brigitte Bardot, Roger Pierre, Jane Marken, Noël Roquevert, Pierre Larquey…
Edité en DVD chez DVD Vidéo /Europa Corp