C’était avant hier : Au N°20 de la rue des Godrans, la pêche des voix !

 

La restructuration du stationnement et la démolition du rempart des Godrans au XIXe permettent un aménagement urbain avec la construction d’immeubles, de commerces ainsi que d’ateliers. Les Dijonnais, fervents catholiques, se constituent alors en comité afin de recueillir des fonds et faire ériger une sculpture de Saint-Bernard. Ils choisiront l’un des leurs, le sculpteur Jouffroy, Grand Prix de Rome. C’est l’architecte Léon Lacordaire qui dessinera le plan de la place baptisée du nom dudit saint ! Place dessinée  en forme de demi-cercle, avec des rues en étoile, dont l’actuel raccordement à la rue des Godrans. Trait d’humour ou d’humeur à l’endroit des habitants animés de l’esprit des Révolutions de 1789 et  de 1848, la statue, installée au centre de la place, braque son regard sur le centre de la cité !

Le quartier ne tarde pas à se développer jusqu’à l’occupation prussienne qui freine un temps l’essor, pour reprendre ensuite grâce au passage de la ligne ferroviaire reliant Champlitte et les Vosges aux nouvelles frontières allemandes.

Au N° 20 de la rue, l’immeuble, construit vers 1850, abrite une boutique au rez-de-chaussée ainsi que dans les étages supérieurs des appartements de rapport. Ce n’est qu’après la guerre de 39-45, que M. Douhaire en fera un magasin d’articles de pêche, tout en s’impliquant avec ferveur dans la vie locale. Si la chasse demeure encore un sport pour aristocrates aisés, la pêche en eau douce se veut délibérément populaire.

Le commerce est florissant, même si, à l’origine, un citadin n’a pas une vocation innée pour taquiner le goujon. Mais, les talents de vendeur du maître de céans opère des miracles, sinon… des pêches miraculeuses.  D’autant qu’il cultive grâce à son jardin l’art de se procurer des vers dont la qualité ne se démentira pas. Et la clientèle saura se montrer fidèle. D’ailleurs la boutique devient un lieu de rendez-vous incontournable, où l’information circule à la vitesse grand V. Et tout le monde de s’émerveiller des exploits des uns et des autres ; on apprend ainsi qu’untel a sorti un brochet de plus d’un mètre ou une truite de plus de 10 kilos. Si la carpe est muette, son pêcheur l’est moins ! Voilà qui alimente les colonnes du journal, car M. Douhaire a des accointances avec la presse locale qu’il alimente en photographies.

Bien entendu, l’innovation gagne le terrain de la pêche avec l’apparition du fil nylon et de nouveaux appâts dernier cri ou de leurres qui s’avèrent mirifiques, du moins selon le boutiquier dont la faconde est sans pareille, notamment quand il évoque la beauté olympienne du lancer de l’épervier.

On l’a compris le N° 20 de la rue des Godrans, prisé des aficionados de la Fario, devient souvent l’un des salons où l’on cause plus que l’on ne pêche !

Roger Loustaud