La Caisse d’Epargne est le premier financeur privé des collectivités locales. Elle comptabilise en portefeuille 25 000 collectivités clientes et un stock de prêts supérieur à 50 milliards d’euros, ce qui représente près de 30 % de parts de marché. Un enjeu de taille puisque les collectivités locales représentent 70 % de l'investissement public civil. Le point sur la région avec Pierre-Yves Scheer, membre du directoire de la Caisse d’Epargne de Bourgogne – Franche-Comté.
Dijon l’Hebdo : La loi de décentralisation du 2 mars 1982 a libéralisé l’emprunt des collectivités en supprimant l’autorisation préfectorale préalable qu’elles devaient obtenir avant de solliciter un financement auprès d’un organisme privé. Cette liberté d’accès à l’emprunt a contribué à créer un véritable marché du financement local, ce qui s’est traduit par la diversification des financeurs et des produits financiers proposés aux collectivités. Comment la Caisse d'Epargne se situe-t-elle sur le marché régional ?
Pierre-Yves Scheer : « Les collectivités représentent une clientèle importante. L’an passé, en Bourgogne – Franche-Comté, nous avons débloqué un peu plus de 200 millions de nouveaux crédits. Au 12 novembre de cette année, on est à 181 millions. Ce qui nous positionne en 4e place de toutes les Caisses d’Epargne alors qu’on est sur un territoire qui pèse 4,2 % dans le PIB nationale et qui se situe sur la 11e, 12e place sur les 16 régions françaises. On pèse 7,7 % des nouveaux crédits aux collectivités consentis par les Caisses d’Epargne au 12 novembre. »
DLH : Depuis 2012, les collectivités locales et territoriales voient leur dotation baisser chaque année. La tendance pour 2018, c’est un arrêt de la baisse mais il est demandé à ces collectivités de réduire encore un peu plus leurs dépenses. D’une manière générale, la baisse de ces dotations signifie-t-elle une augmentation des prêts ?
P-Y. S : « Non. C’est un marché qui est en légère régression au niveau national. C’est un constat qui ne se vérifie pas sur notre région sur laquelle nous sommes en accélération. »
DLH : Comment expliquez-vous cette situation en Bourgogne – Franche-Comté qui vient à contre-courant de la tendance nationale ?
P-Y. S : « Il y a d’abord une prise de conscience de nos élus qu’ils ont rôle central comme le suggère la loi Notre. Un rôle central dans le développement de l’activité économique qu’ils tentent de stimuler. Ensuite, nous avons ici une culture du travail en propre régie à la différence d’autres régions qui voient un certain nombre d’actifs publics sortir dans des montages avec des fonds privés. »
DLH : Par exemple ?
P-Y. S : « Il y a des régions ou des départements qui ont confié des rénovations de collèges ou de lycées à des sociétés de projets à capitaux publics / privés. Ici, on est plutôt sur des projets purement publics. »
DLH : On sait qu’il y a des collectivités qui s'exposent à des risques de dérapages financiers dont elles n’ont pas toujours conscience. Du coup, quels sont les risques du financement des collectivités par le secteur bancaire privé et comment une banque comme la vôtre peut-elle les anticiper ?
P-Y. S : « Pour ce qui nous concerne, nous avons une lecture et une analyse annuelles des comptes des collectivités. En Bourgogne – Franche-Comté, on constate qu’il y a une vraie qualité de gestion des fonds publics. On n’a pas de traces de dérives graves et, à ma connaissance, il n’y a pas de collectivités dans la grande région qui soient placées sous la tutelle de l’État.
DLH : Afin de faciliter la réalisation du Débat d’Orientation Budgétaire des collectivités (DOB), la Caisse d’Epargne met à leur disposition, depuis maintenant presque 10 ans, un document unique, pédagogique et informatif. Mettre son expertise au service des collectivités est donc une priorité pour la Caisse d’Epargne avant même qu’il y ait une quelconque demande d’emprunts ?
P-Y. S : On a un échange à double flux en fournissant des informations, y compris des informations comparatives, aux élus pour qu’ils puissent situer leur commune par rapport à son passé, à leurs projets mais aussi par rapport à d’autres communes avec des moyennes de référence. C’est une documentation appréciée dans la mesure où on la met à disposition des élus de préférence l’année de prise d’effet des nouvelles mandatures. Ils manifestent un réel intérêt qui témoigne de leur volonté de bien gérer leur commune. Etant entendu, que pour nous, dans notre vision du monde, bien gérer ne consiste pas à avoir uniquement un raisonnement financier. Cela doit rester un éléments fort d’analyse mais l’envie de monter des projets, de bâtir des infrastructures, de réfléchir à la vie et à l’attractivité du territoire est aussi une composante importante. Si une équipe ne se focalise, à court terme, que sur l’amélioration des finances, elle va se retrouver avec des comptes annuels de meilleure qualité mais, par ailleurs, elle sera propriétaire d’infrastructures qui se dégradent et qui ne correspondent plus aux besoins des administrés. C’est aussi à nous de veiller au bon équilibre entre l’entretien des infrastructures pour les adapter aux besoins du moment et à la capacité d’endettement des communes. Et je dois dire que les maires de Côte-d’Or sont, dans l’ensemble, exemplaires dans leur gestion.
« Mesdames et Messieurs les élus, il vous reste trois ans pour réaliser vos politiques qui vous ont fait élire… Allez-y ! Venez consulter vos banques »
Dijon l’Hebdo : On peut noter aussi que vous êtes engagé depuis des années dans l’ouverture de données économiques, financières et sociales sur votre site diagnostic-socio-eco.com – disponible sur le site du Club Finances –. Les Caisses d’épargne ont ouvert la voie de la cartographie et du benchmark financier des territoires avec leur nouveau portail developpement-et-collectivités.com… Là aussi, les élus y trouvent leur compte ?
P-Y. S : « C’est effectivement l’idée de fournir un maximum d’informations aux élus qui vont ainsi soutenir leurs réflexions. Quelque soit la capacité que peut avoir un individu à imaginer un futur, cela lui sera toujours utile de regarder ce qui se passe à côté. Il y trouvera certainement de bonnes idées duplicables et des risques qui n’auront pas forcément été identifiés. Et puis, se comparer est toujours très utile… »
DLH : Y a-t-il encore des produits financiers à risque ?
P-Y. S : « D’abord faut-il dire : les produits les plus toxiques qui ont été vendus aux banques par les collectivités ou bien qui ont été achetés par les collectivités ? Je tiens à cette double lecture des choses. On n’est pas dans un territoire d’unique responsabilité des uns ou des autres. Dans une transaction commerciale, il y a un vendeur et un acheteur et les deux ont leur part de responsabilité. Je n’aime pas les positions manichéennes qui consistent à dire : « Il y a un gentil et un méchant, c’est de ma faute, c’est de ta faute...
Les produits les plus toxiques ont été réglés par le recours au fonds de soutien. Il s’est, en effet, créé, sur le plan national, un fonds de soutien auquel les banques ont cotisé. Ce fonds a analysé les situations par rapport à la charte dite « Gissler » qui classifie le degré de risque des différents crédits octroyés par les banques. Pour ce qui nous concerne, tout ce qui était hors charte a été traité à l’amiable avec les collectivités et en présentant des dossiers de recours en fonds de soutien.
Il nous reste aujourd’hui dans nos stocks, en très petite quantité, quelques produits dits structurés qui ne sont pas classés dans les segments de cette charte que je viens d’évoquer. Ils sont dans des segments intermédiaires de risques et on a toujours un suivi très rapproché de ces crédits et une discussion annuelle avec la collectivité. C’est l’occasion de poser la question de vérité : Voulez-vous continuer ou arrêter le produit ? Pour les quelques produits qui nous restent, les collectivités souhaitent les conserver en l’état. »
DLH : Une collectivité bénéficie-t-elle comme les entreprises et les particuliers de lignes de trésorerie ?
P-Y. S : « Oui. C’est une pratique assez courante quand on engage un budget dans une collectivité de financer, en début d’année, les dépenses d’investissement, en général des travaux, par la mise en place d’une ligne de trésorerie. Et, à partir du milieu de l’année ou au troisième trimestre, de lancer l’appel d’offres de consultation des banques pour rembourser cette ligne de trésorerie par la mise en place d’un crédit durable avant la souscription de la dette qui va financer l’actif. »
Dijon l’Hebdo : Comment définiriez-vous les devoirs s’imposant aux banques dans le cadre d’une négociation avec une collectivité locale ?
P-Y. S : Quand on est banquier, comme la Caisse d’Epargne, sur un territoire qui s’adresse à toutes les clientèles et donc, quelque part, à toute la vie économique de ce territoire, c’est d’abord, dans le conseil, de situer la collectivité dans l’éco-système. On ne va pas chercher à faire courir notre clientexclusivement après l’amélioration de ses ratios financiers. On sait très bien que s’il arrête brutalement d’investir, il va très vite améliorer ses ratios financiers mais il va dégrader la satisfaction de ses administrés. Et il va surtout mettre en difficulté les métiers qui vivent ou qui dépendent le plus de la commande publique. Je pense notamment aux Travaux publics et aux Bâtiment qui contribuent au cadre de vie. Une collectivité qui donnerait de trop grands coups de volant dans ses politiques pourrait aussi entamer ses recettes futures par la perte d’emplois.
Dijon l’Hebdo : Quel message souhaiteriez-vous adresser aux élus ?
P-Y. S : Un cri plus qu’un message. On est à mi-mandat. On sait que la trajectoire budgétaire est difficile à exécuter compte tenu des réductions successives des dotations de l’État. On sait que les budgets sont de plus compliqués à construire compte tenu de ces contraintes… Aussi je lance ce cri : « Vous êtes à mi-mandat, il vous reste trois ans pour réaliser vos politiques qui vous ont fait élire… Allez-y ! Venez consulter vos banques. Je pense qu’on est capable de trouver ensemble des solutions de financement qui permettent d’exécuter les politiques voulues tout en respectant la trajectoire budgétaire même si elle est complexe. »
Propos recueillis par Jean-Louis PIERRE