Secrets et mystères de l’art : Le portrait du diable

 

Un cardinal qui détestait Le jugement dernier de Michel-Ange dut se repentir de ses observations acerbes car l'artiste fit son portrait en Lucifer. L'anecdote ne traduit pas seulement l'indépendance d'esprit d'un des plus grands artistes de la Renaissance, elle témoigne d'une révolution culturelle majeure : la disparition de la figure du diable dans la peinture.

En effet, la culture humaniste a rendu progressivement caduque la figure médiévale du diable qui avait connu un grand essor jusque-là dans le cadre des pratiques dévotionnelles où les images devaient être efficaces.

Relégué au rang de superstition, le diable n'est plus dès lors l'Autre de l'homme, il est en l'homme.

C'est au quattrocento que s'opère le passage d'une structure visuelle basée sur la « mémoria » à une autre basée sur « l'historia », deux concepts employés à la fin du Moyen-âge et à la Renaissance.

Le premier « mémoria » se rapporte à la mémoire artificielle, cultivée par les prédicateurs médiévaux qui pratiquent l'art de la mémoire, un art mnémonique qui structure l'imaginaire mais également les peintures de la fin du Moyen-âge.

Tout change quand, sous l'influence de l'humanisme, l'image acquiert une puissance rhétorique d'un nouvel ordre. Elle ne sert plus seulement d'aide-mémoire, mais vise à transmettre des émotions et à favoriser l'identification du spectateur au personnage représenté.

Comment les images du diable s'intègrent-elles dans cette évolution ? Aux XIVe et XVe siècle, le Diable est par son aspect monstrueux si effrayant que toute représentation de lui vise à en faire une image agissante dont la fonction est de s'ancrer aisément dans la mémoire si bien qu'associée au Jugement dernier et à l'iconographie de la tentation, elle permet de rappeler au fidèle ce qui l'attend en cas de renoncement à une vie chrétienne et vertueuse .

Rappelant alors tout ce qui est inhumain, la bête d'abord et aussi l'hybride, l'image du diable à la fin du Moyen-âge, montre l'inhumanité à l'assaut de l'humanité. Etre possédé par le démon, c'est se rapprocher de la bête et perdre toute ressemblance avec le Christ modèle de l'homme et image de Dieu.

L'image monstrueuse du démon possède une fonction supplémentaires : didactique. Instaurant une pédagogie efficace du mauvais exemple, l'Eglise avertit les fidèles des dangers qui les guettent .

En conséquence l'idée géniale de Michel-Ange fait entrer l'image du diable, renouvelée par l'influence de l'humanisme, dans une forme de « contre-culture » laïque, d'une sensibilité profane.

C'est l'histoire de cette époque de passage et de ses conséquences dans le domaine de la peinture que Pierre Pertus évoquera le Lundi 4 décembre à 18 h 30 à Sciences-Po Dijon.