Particulièrement discret au cours de l’élection présidentielle, même s’il n’a jamais mis son étendard socialiste dans sa poche, François Rebsamen explique que le programme de Benoît Hamon n’a jamais correspondu à sa vision pragmatique et sociale-démocrate. Le maire de Dijon évoque aussi un sans faute du nouveau Président de la République sur le plan Régalien et international. Il souhaite qu’Emmanuel Macron, qui bénéficie aujourd’hui d’une « situation rêvée » par rapport à François Hollande en 2012, réussisse pour la France et les Français. En revanche, concernant les candidats de La République en Marche, notamment Didier Martin sur la 1re circonscription de Côte-d’Or, François Rebsamen ne mâche pas ses mots. Pour le président de la Métropole dijonnaise, le seul renouvellement est incarné par les candidats du Parti socialiste aux législatives : Sladana Zivkovic, Pierre Pribetich et Anne Dillenseger… !
Dijon l’Hebdo : Comment avez-vous perçu les premiers pas d’Emmanuel Macron à l’Elysée ?
François Rebsamen : « Au niveau du Régalien, de la représentation de la France, Emmanuel Macron fait un sans faute. Il a apporté incontestablement une bonne image de notre pays. C’est un Européen convaincu qui a le sens du rapport de force, qui sait résister, qui a compris le fonctionnement international. Il connaissait déjà nombre de chefs d’État étrangers et il s’est bien comporté avec Trump, face à qui il a parfaitement résisté… Au niveau extérieur, je pense qu’il va mettre ses pas dans ceux de François Hollande et poursuivre, avec sa jeunesse, sa fougue, son énergie, son intelligence et son talent, l’œuvre de son prédécesseur. Sa première visite au Mali a été, à cet égard, un signe tout à fait encourageant pour nous, dans la lutte contre le terrorisme. Il est pleinement investi dans sa fonction. Sur l’aspect Régalien et extérieur, c’est un sans faute ! »
DLH : En tant que Monsieur Sécurité du Parti socialiste, la remontée des Champs Elysées le 14 mai d’Emmanuel Macron à bord d’un Véhicule de Liaison, de reconnaissance et d’appui (CLRA) militaire a dû prendre tout son sens pour vous ?
F. R. : « Oui mais cela fait surtout plaisir aussi aux journalistes. Ceux-ci peuvent ainsi dire qu’il s’occupe du Régalien. Il l’a bien fait d’ailleurs et c’est une excellente chose. Je vois que, dans le domaine du ministère de l’Intérieur, il a repris ma proposition de contraventionnalisation de l’usage de Cannabis que j’avais avancée en 2011/2012. L’ancien président et Manuel Valls n’avaient pas eu le courage de la mettre en œuvre, ce qui a beaucoup pénalisé la présence des forces de police sur le terrain ».
DLH : Au ministère du Travail, vous avez été le seul à embaucher 200 agents supplémentaires à Pôle Emploi afin de contrôler l’efficience de la recherche de travail des demandeurs d’emploi. Emmanuel Macron défend la même position. Cela doit vous rapprocher également ?
F. R. : « Nous avons travaillé ensemble avec Emmanuel Macron pendant un an et demi. Je le connais bien. Il a une situation un peu rêvée, je pourrais même dire exceptionnelle, aujourd’hui. Nous aurions bien aimé trouvé en 2012 la France dans l’état dans lequel elle est actuellement. Le chômage est moins important que celui contre lequel a dû se battre François Hollande en arrivant : selon les chiffres du BIT (Bureau international du Travail) – la seule référence internationale –, il y avait à l’époque 9,7% de chômeurs contre 9,3% aujourd’hui en France métropolitaine. C’est toujours trop mais c’est un taux inférieur. Il y avait 2,9 millions de chômeurs en juin 2012 contre 2,75 millions aujourd’hui ».
DLH : Mais le nombre de demandeurs d’emploi enregistrés à Pôle Emploi a augmenté…
F. R. : « J’ai expliqué, dans un rapport sénatorial, qu’avaient été inscrits à Pôle Emploi des gens qui étaient des chômeurs mais qui n’avaient pas à l’être. Il s’agissait de seniors pour lesquels il n’existait aucune obligation de recherche d’emplois. Il a été mis fin à ce système qui engendrait des chiffres erronés. Ce sont, tout de même, près de 350 000 seniors qui sont venus s’ajouter aux chiffres de Pôle Emploi sans que Michel Sapin ne s’en aperçoive. Et ce, faute d’avoir assez travaillé les dossiers ! Contrairement à ce que peuvent dire certains, il faut toujours être bien informés et parfaitement connaître les sujets pour exercer des fonctions ministérielles ! »
DLH : Vous êtes en train de nous dire que François Hollande, qui avait conditionné sa candidature à l’inversion de la courbe du chômage, ne savait pas que celle-ci était au rendez-vous…
F. R. : « La courbe du chômage s’est inversée. Il le sentait, il le savait, il m’avait entendu. Lorsque j’ai quitté la rue de Grenelle en septembre 2015, les chiffres du chômage étaient, pour la première fois, en baisse. L’on m’avait reproché cette phrase : je m’en vais alors qu’on allait réussir ! Cela a mis un an mais nous avons réussi sur ce sujet capital. Si l’on n’avait pas fracassé la gauche en 2016 avec certaines dispositions de la loi Travail, nous n’en serions sûrement pas là… »
DLH : Pour vous, ainsi, les planètes continuent de s’aligner au-dessus de la tête d’Emmanuel Macron ?
F. R. : « Aujourd’hui, Emmanuel Macron bénéficie, en effet, d’une reprise des investissements étrangers dans notre pays, d’une réduction des déficit – l’on dit même que François Hollande est le président de la Ve République qui, structurellement, a le plus diminué les déficits. Et ce n’est pas tout : le nouveau Président bénéficie d’une reprise de la croissance, des annonces de créations d’emplois. Tant mieux pour lui et pour la France. Finalement, tous ceux qui étaient les oiseaux de mauvais augure, comme François Fillon, n’ont pas dépassé les 20%, soit un score bien inférieur à celui d’Emmanuel Macron, qui est, lui, tourné vers l’optimisme, comme nous, plutôt que vers le pessimisme, le défaitisme, le déclinisme et le nationalisme exacerbé ».
DLH : D’aucuns disent, maintenant : l’histoire jugera le bilan de François Hollande. Pour vous, l’heure est-elle déjà à l’inventaire ?
F. R. : « Oui. Le temps est venu de l’inventaire que l’on réalise toujours après. Lorsqu’on le fait pendant, c’est la liquidation ! Je me suis abstenu de toute volonté d’inventaire durant le quinquennat. J’ai beaucoup de reproches à formuler, comme tout le monde, mais je salue là la situation de la France qui permet à Emmanuel Macron d’arriver dans de meilleures conditions. Rappelons qu’en 2012, l’Euro allait exploser, la Grèce allait sortir… Il reste des difficultés mais l’Union européenne, avec un Européen convaincu comme Emmanuel Macron, a plus de chances de progresser aujourd’hui sur les bases dont il hérite ».
DLH : Vous avez parrainé Benoît Hamon et l’on a écrit que vous n’étiez pas du genre à mettre votre étendard socialiste dans la poche. Cependant, vous avez été assez discret lors de la campagne présidentielle. Pouvez-vous nous dire aujourd’hui comment vous avez jugé cette candidature ?
F. R. : « Ce n’est pas l’homme qui est en cause mais Benoît Hamon est le produit d’une Primaire qu’il a gagnée par hasard. Ou parce que les électeurs de la France Insoumise et de l’extrême gauche voulaient qu’ils s’imposent. Il a fait son programme après cette Primaire mais ce n’était pas celui du Parti socialiste. Le cœur du PS est social démocrate, européen, écologique et réformiste. Je ne me reconnaissais pas du tout dans son programme qui était irréaliste. Je suis un pragmatique. Lorsque l’on est maire, l’on est pragmatique. Le 49.3 citoyen et autres balivernes, je n’y crois absolument pas. C’est très bien d’avoir un Revenu universel pour tous, encore faut-il dire et savoir comment on le finance. Ce n’était pas le cas, donc comment être crédible ? Benoît Hamon s’est retrouvé à négocier avec Jean-Luc Mélenchon pendant quasiment un mois et demi, ce qui était une erreur stratégique majeure. Mélenchon ne voulait pas d’accord avec les socialistes, il veut les tuer. Il accuse tout de même l’ancien Premier ministre Bernard Cazeneuve d’avoir fait assassiner Rémi Fraisse. Mélenchon n’a plus le sens de la mesure ! »
DLH : Comment avez-vous réagi à la non prise de position entre les deux tours de l’élection présidentielle de Jean-Luc Mélenchon ?
F. R. : « C’était une position tout à fait contraire à l’histoire de la gauche mais je ne crois plus qu’il se reconnaisse dans la gauche. Il est plutôt dans une forme de populisme autoritaire. Franchement, le Venezuela et l’Alliance bolivarienne ne sont pas mes modèles. Et il faudra dire combien de personnes Maduro a fait tuer au Venezuela. Jean-Luc Mélenchon ne se comporte pas bien, je le regrette car l’homme a un talent oratoire. Il a, notamment, su convaincre des jeunes… »
DLH : Comment percevez-vous le gouvernement estampillé Emmanuel Macron ? L’ouverture est-elle en marche ?
F. R. : « Edouard Philippe, que je connais car il était maire d’une grande ville, n’a pas été un frondeur dans son camp. Il a voté toutes les dispositions les plus négatives de la droite par solidarité avec son parti. Il est, par exemple, contre l’égalité homme/femme si j’en crois son vote, etc. En réalité, il a, en permanence, respecté les consignes des Républicains, qui, pendant cinq ans, ont voté ce qu’il y avait de plus réactionnaire. Je suis tout de même inquiet de voir que l’Économie a été confiée à Bruno Lemaire et les Comptes publics à Gérald Darmanin. Je souhaite, tout de même, au bout du bout que ce gouvernement réussisse. Parce que ce sera bon pour la France ».
DLH : La Gauche existe-t-elle encore aujourd’hui ?
F. R. : « Je fais partie d’une gauche constructive. J’appartiens à une gauche qui soutient le gouvernement dans tous ses bonnes mesures – je pourrais notamment citer celles dans l’Education nationale –, qui propose un programme pragmatique – par exemple, doter tout jeune qui commence dans la vie active d’un capital de 10 000 € pour accéder, notamment, au logement. Mais aussi une gauche qui protège, qui est vigilante. Un exemple : je ne suis pas contre le fait que l’on légifère par ordonnance, moi même je l’ai fait pour l’Afpa. Mais, le minimum que l’on doit aux Françaises et aux Français avant des élections législatives, c’est de leur dire ce qu’il y aura dans les ordonnances. La transparence dont se prévaut Emmanuel Macron, au niveau international, doit valoir à l’échelle nationale. Va-t-on toucher aux 35 heures, quid des heures supplémentaires… ? Il doit le préciser. Ceux qui sont candidats pour La République en Marche disent qu’ils vont voter tout ce que propose le Président les yeux fermés. Nous n’avons pas besoin de députés godillots. Non ! La France a besoin d’élus qui apportent leur propre pierre à l’édifice ! »
DLH : Durant l’entre-deux tours de la Présidentielle, vous avez – et c’est suffisamment rare pour le noter – rendu hommage à la position de François Sauvadet…
F. R. : « A droite, nous le savons : ils sont contre tout. Ils sont dans l’opposition permanente. Localement, il n’y en a pas un, à part François Sauvadet, qui a appelé à voter clairement pour Emmanuel Macron contre Le Pen. Je ne sais pas quel a été le calcul des petits barons locaux, je veux parler de Dugourd, Erschens, Delatte, Caravel ! Ils veulent peut-être récupérer les voix du FN. Mais ne pas s’être exprimés entre les deux tours de la Présidentielle n’est pas bien. Ce n’est pas courageux ! »
DLH : Auriez vous préféré un gentlemen’s agreement avec Emmanuel Macron pour les candidats aux législatives sur Dijon ?
F. R. : « J’ai proposé l’avènement d’une coalition d’intelligence entre les élus de gauche, socialistes, et les candidats d’Emmanuel Macron, dans un article dans le Journal du Dimanche. Pour des raisons certainement liées à des questions de personnes, comme d’habitude, mais aussi à cause du soutien sans faille que leur apportait le sénateur de Côte-d’Or, François Patriat, cela n’a pas pu se faire. Je le regrette ».
DLH : Pourquoi avez-vous des regrets ?
F. R. : « Parce que les candidats de La République en Marche ne sont pas des candidats du renouvellement. Il suffit d’observer, par exemple, la 1re circonscription : le renouvellement est incarné par Sladana Zivkovic. Elle a 40 ans, est candidate pour la première fois et appartient à cette gauche sociale démocrate, européenne, constructive et qui est prête, il faut le dire, à soutenir l’action du président de la République. D’un autre côté, il y a quelqu’un qui est élu à mes côtés depuis 22 ans, et qui se présente comme un candidat de la Société civile. Je me dis que cela ne correspond pas à l’éthique portée par Emmanuel Macron. Finalement, ici, les candidats du renouvellement sont les candidats socialistes. Ce sont ceux qui se présentent aux suffrages des électeurs pour la première fois. Certes, Pierre Pribetich, qui est une pierre de taille dont on a besoin, solide, structuré, a de l’expérience mais elle est nécessaire car il affronte quelqu’un qui est là depuis très longtemps : Rémi Delatte ».
DLH : Qu’entendez-vous par éthique ?
F. R. : « Je parlais de l’éthique de la désignation. Comment peut-on être élu depuis 22 ans, soit 3 mandats d’adjoint, sans oublier les responsabilités au conseil régional, au Comité régional du Tourisme, à l’Office du Tourisme de Dijon… et dire : Je suis un candidat du renouvellement. Didier Martin devrait avoir de la décence ! »
DLH : Interrogé sur vos propos, il nous a confié que vous lui téléphoniez lorsque vous aviez besoin de lui…
F.R. : « Je crois me souvenir que, dans un passé très récent, il a su m’appeler plusieurs fois quand il a eu besoin de moi ».
DLH : Didier Martin vous a-t-il prévenu au mois de janvier de sa volonté de se positionner en vue de la candidature aux législatives pour En Marche ?
F.R. : « Non, il est venu me le dire seulement une dizaine de jours avant l’officialisation. Quand je lis qu’il était candidat depuis le mois de janvier, je vois que tout était préparé depuis longtemps ».
DLH : Les candidatures de La République en Marche ne fragilisent-elles pas votre majorité municipale ?
F.R. : « Je ne suis en aucun cas inquiet par rapport à la majorité municipale. Elle est solide, elle est autour de moi. Je suis le maire et les Dijonnais apprécient tout ce que l’on fait, au quotidien, afin d’améliorer leur cadre et leur qualité de vie. Ceux qui se différencient de la majorité municipale s’excluent mais l’on verra comment cela se passera après ! »
DLH : Arnaud Montebourg, après avoir pris une claque à la Primaire de la Gauche, sort de son silence pour soutenir Kheira Bouziane sur la 3e circonscription. Un mot sur cette sortie du désert…
F.R. : « Cela montre la déliquescence du comportement de certains socialistes. La dernière fois, Kheira Bouziane a été élue de quelques voix par les militants – car chez nous, ce sont les militants qui votent. Là, elle a été battue de quelques voix et elle ne respecte pas ce vote. Ce sont ces comportements qui nuisent à la politique. Comment voulez-vous construire des choses sans respecter les règles. C’est pour cela que le PS a été sanctionné. Nous avons eu les frondeurs. Il va falloir reconstruire une maison sociale-démocrate et tout nettoyer du sol au plafond ! »
DLH : Vous évoquez la reconstruction d’une maison sociale démocrate mais vous n’avez pas dit reconstruire le Parti socialiste…
F. R. : « C’est une forme de reconstruction du Parti socialiste mais chaque chose en son temps. Pour le moment, il faut se battre derrière nos candidats qui défendent cette ligne-là.
Franchement, lorsque l’on compare les candidats, je pense que l’on peut s’estimer. Les hommes et les femmes que je soutiens sont des élus qui sont présents, qui travaillent, qui font les astreintes lorsqu’il le faut… »
DLH : Ne pensez-vous pas, tout de même, que vos candidats peuvent être emportés par la vague macronienne ?
F.R. : « Mon prédécesseur, Robert Poujade, disait : lorsqu’il y a des vagues, même si l’on est accroché au rocher, l’on est emporté quand même ! Il l’avait été en 1981… Mais, je pense que, dans tous les cas, il faut se battre avec la fierté de ce que l’on a fait, du bilan qui a été le nôtre – avec des zones d’ombre et de la lumière aujourd’hui –, de ce que l’on défend, du programme que l’on a. Il faut, demain, avoir la capacité à défendre la justice sociale. Il faut rester un esprit critique. C’est très important dans les temps qui courent. Il ne faut pas être un godillot. Je n’ai, pour ma part, jamais pensé que c’était une belle chaussure. Lorsque l’on a cela chevillé au corps, l’on peut perdre mais l’on reviendra ! »
Propos recueillis par Xavier Grizot