Philippe Charuel : « Les lumières du passé pour éclairer l’avenir »

A la tête de la Grande Loge de France, Philippe Charuel a donné, au palais des Ducs de Bourgogne, une conférence intitulée : « Pourquoi être franc-maçon au XXIe siècle ». L’occasion d’une interview de ce Grand Maître, prônant la transparence et l’ouverture, qui n’a pas manqué de rappeler, entre les deux tours de la Présidentielle, que « la vigilance s’imposait face à la séduction trompeuse du populisme, lorsque les nationalismes refaisaient surface… »

Dijon l’Hebdo : Avec cette conférence, nous pouvons dire que l’ouverture est, elle aussi, en marche à la Grande Loge de France…

Philippe Charuel : « Bien entendu. C’était d’ailleurs l’axe majeur de mon projet de candidature à la Grande Maîtrise : l’ouverture vers les autres obédiences, vers les obédiences étrangères et, d’une façon plus générale, vers nos frères et sœurs en humanité, et notamment vers la jeunesse. Quant au secret, j’ai pour habitude de le décliner en trois temps : le secret d’appartenance, autrement dit ne pas révéler l’appartenance de l’un des nôtres, sachant qu’au travers des siècles les obédiences françaises ont été persécutées ; le secret du contenu, qui correspond au respect de l’autre – ne pas dévoiler ce que l’on y fait afin de laisser le plaisir de la découverte à ceux qui nous rejoindront ; le secret du vécu, car il fait partie de l’incommunicable, comme l’explique très bien Casanova dans ses mémoires. Ce secret est un plus, ce n’est pas un handicap ! »

DLH : Vous prônez l’amélioration de l’homme… et des hommes en général. Comment pouvez-vous y parvenir ?

P. C. : « Le dépassement de soi, trouver des réponses à la question du sens, ce sont les axes majeurs d’une démarche initiatique, donc maçonnique. En ce qui concerne l’amélioration de la société, il faut utiliser les lumières du passé afin d’éclairer le chemin de l’avenir. Les exemples sont nombreux pour montrer à quel point la Franc-Maçonnerie y a contribué : inspiration de la Déclaration des Droits de l’Homme, l’École gratuite et obligatoire, la Bourse du Travail, l’Assistance publique, le Droit de vote des femmes, la Sécurité sociale, le Planning familial, les lois sur l’avortement, etc. Et, aujourd’hui, la Franc-maçonnerie s’inscrit pleinement dans son siècle. La démarche initiatique, spirituelle n’a d’intérêt que si, derrière, il y a des concrétisations, des actions qui donnent toute la dimension à cette réflexion partagée ! Nous ne devons pas rester dans ce qui s’apparenterait à un enclos poussiéreux mais participer au devenir de notre monde »

DLH : Quelle a été votre position à la veille du 2e tour de l’élection présidentielle ?

P. C. : « Par ma voix, j’ai réalisé un appel entre les deux tours qui consistait à rappeler nos valeurs et plus particulièrement celle de la Grande Loge de France. Presque à l’unanimité, cet appel a été bien reçu par nos membres. Ce n’était pas un positionnement dans le débat politique mais un rappel des engagements qui ont toujours été les nôtres ! »

DLH : Pourquoi souhaitez-vous ouvrir et rajeunir la Grande Loge de France ?

P. C. : « Moi, j’ai été initié en 1984 et l’effectif de la Grande Loge de France était alors de 17 000 membres. Aujourd’hui, nous sommes 34 000. Nous avons une progression de 340 membres par trimestre, et ce, notamment, grâce à une politique d’ouverture. Nous avions constaté également, depuis une vingtaine d’années, que la moyenne d’âge augmentait. Celle-ci était de 59 ans. Au niveau des initiations, c’est à dire des nouveaux entrants, nous avons descendu, depuis 2 ans, la moyenne de 10 ans. Aujourd’hui, un tiers ont moins de 30 ans. C’est important… »

DLH : Les textes anciens sur lesquels s’appuie la Franc-Maçonnerie restent-ils toujours d’actualité, notamment pour les jeunes frères qui poussent les portes de vos temples ?

P. C. : « Anciens mais curieux dans leur modernité. Ce sont des textes qui sont d’actualité aujourd’hui. Ce qui est propre dans cette démarche initiatique est, en effet, l’intemporalité. Nous pouvons imaginer nos frères du début du XVIIIe siècle, Montesquieu ou encore Montgolfier, dans les loges d’aujourd’hui. Les sujets de fond, qu’ils soient d’ordre philosophique, humain… ne leur seraient pas du tout étrangers. Ce qui relie deux hommes, au-delà des siècles, c’est d’avoir participé au même projet à caractère sacré. Un exemple : la cathédrale de Strasbourg. Le premier architecte, celui qui a tracé l’épure, s’appelait Erwin de Steinbach et c’est Jean Hültz qui a, 120 ans plus tard, posé la flèche. Ils ne se sont pas connus et, pourtant, le lien entre eux est essentiel. Ces Francs-Maçons ont participé du même ouvrage ».

Propos recueillis par Xavier Grizot