De ce magasin aux senteurs de vieux papier, éclairé par un filet de soleil automnal, on aurait pu penser qu’il aurait sa place pour toujours au patrimoine du Vieux Dijon. Eh, bien non ! Le 31 décembre prochain, la boutique enchanteresse de Christian et Françoise Le Meur, place du Théâtre, rejoindra le royaume des souvenirs et des nostalgies couleur sépia. Dans ce haut-lieu du livre ancien et des éditions rares, l’esprit à la Villon s’attarde d’un rayon à l’autre : « Dites-moi où, n’en quel pays est l’antre dijonnais si magique d’un des plus grands bouquinistes français ? Mais où sont les neiges d’antan ? » Ainsi va la ballade des belles enseignes des temps jadis…
L’endroit a toujours été dédié à sa majesté le Livre avec un « L » majuscule, depuis sa création par le libraire Nourry à la fin du XIXe. A peu de chose près, une fois la porte franchie, on se retrouve dans le jeu de rayonnages des boiseries jalousement conservées par le grand-père, puis par le père de l’actuel propriétaire. Quant à l’arrière-boutique et son minuscule atrium, c’est le monde du fonctionnel à l’envers. Bienvenue dans un univers poétique ! Quel pied-de-nez au numérique et à la pensée unique ! Imaginez des milliers d’éditions rares rangées par thématiques : ici livres d’ésotérisme, traités des religions ou de médecine, éditions rarissimes de Tite-Live, de Salluste, de Montaigne, revues d’archéologie qui cohabitent avec deux ou trois vieux crânes « acquis en même temps que de vieux fonds de bibliothèque », explique Christian Le Meur. Lequel, en émule des humanistes et du siècle des Lumières, cultive le goût des Vanités. Memento mori…
Au fait, vous a-t-on dit que ce grand bouquiniste, reconnu de toute la profession, possède l’extravagance, l’intelligence épique, la densité d’un personnage d’Alexandre Dumas ? Notre homme confesse d’ailleurs s’adonner à l’art d’être gourmet en tout : l’érudition au même titre que les bons vins… Au fil de la conversation, on découvrira sa passion pour la chasse. Ce savoir-vivre, il le partage avec sa femme Françoise. C’est elle qui se chargeait, jusqu’ici, de l’étalage toujours raffiné des vitrines : « Je suis venue au livre en rencontrant Christian », confie-t-elle en souriant.
Christian Le Meur, lui, est « né dans le livre ». Et de glisser : « Dès le plus jeune âge, j’ai fait de la boutique mon terrain de jeux, sous l’œil du grand-père et de mes parents ! C’est ça la vraie transmission entre les générations. Quand je pense que, tout gamin, je leur ai déchiré une édition en noir et blanc de Tintin chez les Soviets… A y repenser, je me dis que c’est le métier qui rentrait ! » Christian Le Meur a beau se montrer critique et un rien désabusé avec le XXIe siècle, il a bien été contraint d’y glisser un pied dedans. Numérique oblige ! Il s’en explique : « Aujourd’hui, chercheurs, universitaires, étudiants, érudits, presque tout le monde acquiert, consulte, télécharge les ouvrages en ligne. Le monde de l’édition-papier a été effacé par le virtuel. Lorsque je pense que j’ai eu pour clients des personnalités du monde universitaire japonais, américain, canadien, etc. Ils venaient régulièrement dans la boutique, avec de longues listes de publications à acheter. Une époque bien révolue ! Nous sommes dans une société qui a déifié le voyage, les loisirs aux Seychelle. J’ai ce privilège devenu rarissime de posséder un bureau-bibliothèque. N’empêche, tout mon stock-magasin est enregistré là-dedans », dit-il en montrant son ordinateur. Une fois le magasin fermé, et la semi-retraite entamée, Les Le Meur entendent poursuivre leur activité sur Internet.
Christian Le Meur aura finalement ce mot qui dit tout de l’atmosphère d’un métier: « Dans la profession, on n’a pas de concurrents. On n’a que des confrères ». Rassurez-vous ! L’amour des beaux textes ainsi que des ouvrages imprimés l’habiteront toujours. D’ailleurs, le voilà aujourd’hui inscrit à un club de latin dans Dijon…
Marie-France Poirier