Souriez, vous êtes filmés !

Depuis le lamentable épisode de Viry-Châtillon où, selon notre ministre de l’Intérieur, des « sauvageons » ont cherché à brûler vifs des policiers chargés de garder une caméra de surveillance, voici que reviennent sur le devant de la scène ces outils censés assurer notre tranquillité. N’étant pas ministre, j’appellerai ces gens des « assassins avec préméditation ».
L’article 221-3 du code pénal, modifié par la Loi n°2011-525 du 17 mai 2011, stipule : « Le meurtre commis avec préméditation ou guet-apens constitue un assassinat. Il est puni de la réclusion criminelle à perpétuité » ; on est là assez loin d’actes de « sauvageons » que le Larousse définit comme des « enfants farouches, qui ont grandi dans l’abandon et sans éducation, comme des sauvages ». Au vu des informations mises à la disposition des citoyens, il est clair que la sanction prévue est ce qui attend les auteurs de cette agression commise envers deux policiers. A condition, évidemment, qu’ils soient interpellés et formellement identifiés…
Comme le ministère de l’Intérieur ne procède pas à une évaluation globale et fiable du nombre de caméras de vidéosurveillance installées sur la voie publique, l’estimation du nombre de caméras installées reste vague. La Commission nationale de la vidéoprotection évaluait leur nombre à 50 000 en février 2014. D’autres estimations parlent de près de 100 000 en 2016. A Dijon, plus d’une centaine sont installées à des endroits stratégiques et sont placées sous la direction du bureau du service de la Tranquillité publique. Pour sa part, la police dijonnaise, récemment armée de Tasers, participe au maintien de l’ordre avec quatre axes majeurs : l’ilotage, la régulation, la prévention et la protection. Les caméras oeuvrent essentiellement dans la prévention. Sur le papier, c’est parfait, sauf qu’il n’y a pas en permanence un agent derrière chaque écran pour scruter en temps réel ce qui se passe ; et quand bien même serait-ce le cas qu’entre le moment de la signalisation et l’intervention effective de la police il y a forcément un laps de temps durant lequel les auteurs d’actes délictueux ont tout loisir de prendre la poudre d’escampette. Force est donc de reconnaître que l’axe « prévention » est quasi inexistant, sauf à s’imaginer que la seule vue d’une caméra soit de nature à dissuader les malfrats, ce dont on peut douter au vu des chiffres de la délinquance.
Selon les données d’InterStat relayées par le ministère de l’Intérieur, en 2015, il a été relevé 149 homicides de plus qu’en 2014, 213 000 crimes ou délits de coups et blessures volontaires sur personnes de 15 ans et plus en France métropolitaine, soit une hausse de 2%, plus de 10 000 vols avec armes à feu ou armes blanches, 690 000 vols sans violence, 234 000 cambriolages, 400 actes islamophobes (en hausse de 223% par rapport à 2015), 806 actes antisémites et 810 atteintes aux lieux de culte et cimetières chrétiens. Tous ces chiffres montrent bien que la multiplication des caméras de vidéo surveillance n’agit pas sur la prévention de tous ces crimes et délits.
Alors, à quoi servent ces caméras ? Tous les maires vous le diront, à rassurer la population, comme l’explique fort bien Tanguy Le Goff dans son livre Les maires, nouveaux patrons de la sécurité (ouvrage paru en 2008, collection Essais). On devrait plutôt s’interroger : à qui profitent ces caméras ? Réponse : à de grosses sociétés comme Thales, Orange ou Cofely Ineo (filiale d’Engie) ; pour la seule année 2013, le magazine spécialisé En toute sécurité estime le poids de ce business à 1,2 milliard d’euros, l’Etat et les collectivités comptant pour un gros quart de ce montant. Et ce n’est pas prêt de s’arrêter quand on sait que ce marché a connu une croissance de 43% en 5 ans.
Lorsque j’ai interrogé des intervenants comme des policiers ou des gendarmes, sous réserve d’anonymat, ils ont tous été formels, ces caméras permettent d’élucider nombre d’affaires sans lesquelles il aurait été impossible d’identifier les auteurs. Le cas de la ville de Nice est particulièrement intéressant à double titre : C’est la ville de France qui compte le plus de caméras (1257) qui n’ont pas pu empêcher l’attentat islamiste ayant causé 86 morts et des centaines de blessés. C’est – à ma connaissance – le seul cas où l’autorité publique a demandé l’effacement de toutes les vidéos de la nuit du 14 juillet. Pourquoi ? Que contenaient-elles ? Qui embarrassaient-elles ?
Je laisse à d’autres, plus experts que moi, le soin de répondre à ces questions… Cette surenchère de caméras laisse perplexe le sociologue Laurent Mucchielli, spécialiste des questions de sécurité, qui déclarait dans Le JDD : « Les caméras de rue ont un apport très limité à la répression pour un prix assez exorbitant. Par ailleurs, c’est dans l’humain et le social que réside l’origine des problèmes, c’est là également que se trouvent les solutions durables ». 
L’humain, justement, parlons-en ! Qu’y a-t ‘il d’humain à vouloir faire griller des policiers dans leurs voitures comme nous l’avons trop vu au cours de cette année ! Qu’y a-t-il d’humain à voir des pompiers accueillis à coups de projectiles divers ou de cocktails Molotov dans des cités où prolifèrent surtout les trafics de drogues !
On m’accordera qu’aucune caméra de surveillance ne saurait traiter ces délinquants et qu’il ne suffit pas de grandes déclarations toujours répétées pour venir à bout de cette plaie ; le Karcher est dépassé, la manière forte s’impose ! Un dernier conseil : amis lecteurs, vous qui êtes d’honnêtes gens, en vous promenant dans les rues de Dijon, n’oubliez pas de sourire car vous êtes filmés…