Il y a un peu plus de dix ans, j’avais eu l’idée étrange d’adresser à mon député (étiqueté UMP) une lettre longue de onze pages (excusez du peu !) dans laquelle je me permettais de lui rappeler qu’au fronton de toutes nos mairies on peut lire cette belle devise « LIBERTE, EGALITE, FRATERNITE » et où je dissertais sur ses dévoiements. Peut-être avait-il jugé qu’un citoyen lambda qui se fend de onze pages ça n’offre aucun intérêt (électoral), toujours est-il que je n’ai jamais reçu la moindre réponse… Mais je suis têtu et je reviens sur ces réflexions puisque ces colonnes m’en donnent la possibilité. Appelez ça lettre ouverte aux candidats du second tour si vous voulez.
Ces trois mots sont sacrés. Les deux premiers figurent dans la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, le troisième mot leur étant accolé très précisément le 14 juillet 1790 lors de la fête de la Fédération au Champ de Mars. En 1880, cette devise apparut sur tous les frontons des édifices publics et n’en bougea plus. J’ai lu et entendu beaucoup de contestataires, j’ai écouté leurs arguments, souvent outranciers quoique parfois intelligents, cependant pas un seul n’a osé remettre en cause la légitimité de ces trois mots. Hélas, les années passant, je les ai vus successivement (ou concomitamment) être bafoués, au fil de la montée en puissance de ce qu’il faut bien appeler le « saucissonnage » de notre société où, de plus en plus, la notion du bien collectif se délite dans l’addition sans fin des revendications catégorielles, pour ne pas dire égoïstes.
La LIBERTE ? Tout petit déjà, ma mère m’a expliqué qu’en France on a toutes les libertés possibles sauf quand celles-ci empiètent sur les libertés d’autrui. C’est pourtant simple à comprendre, n’est-ce pas ? Eh bien non puisque n’importe quel groupuscule de mécontents peut paralyser des pans entiers de l’économie en s’adonnant à ce « sport » si français que sont les grèves. Sous le couvert de la défense de leurs sacro-saintes libertés (traduisez privilèges), ces quelques personnes piétinent la liberté de tous. Des exemples ? Liberté de circuler (grèves SNCF), liberté d’apprendre (grèves des enseignants), liberté de travailler (piquets de grèves), liberté de s’exprimer (voir les méthodes du Syndicat CGT du Livre), etc… Toutes libertés qui sont pourtant clairement inscrites dans la Constitution française et dans la Déclaration des Droits de l’Homme (que j’ai pris la peine de relire) et qui sont régulièrement chahutées par des minoritaires que nulle puissance publique n’a la volonté de calmer.
L’EGALITE ? Allez, un seul exemple et parlons des retraites : pourquoi y aurait-il encore deux régimes de cotisations entre le public et le privé ? C’est toujours la même et triste histoire, à savoir celle des minorités qui dictent leurs volontés à la majorité, ce qui est l’exact contraire de la démocratie. La fonction publique ne représente « que » (si l’on peut dire !) 20 % environ de la population active et c’est elle qui reçoit des traitements spécifiques. Il s’agit quand même d’une distorsion de l’égalité à 37 milliards d’euros !
La FRATERNITE ? Juste une illustration avec la santé et notre chère Sécu : pourquoi nous ruine-t-elle ? Parce qu’on a mis dans la tête des gens que la santé n’a pas de prix, leur faisant oublier qu’elle a pourtant un coût. Ainsi, désormais, le malade présente sa carte Vitale à son médecin à son pharmacien, à son laboratoire d’analyses, signe des feuillets et ignore complètement combien coûte à la SS chaque acte, chaque prescription. Idem à l’hôpital ou en clinique privée conventionnée. Pas grave, ce sont d’autres qui payent… Oui, mais qui ? Quand la solidarité se noie dans les méandres du financement, les profiteurs sont légions, tout comme les cocus du système, et adieu la nécessaire fraternité.
Volontairement, d’abord parce que les lignes me sont comptées, ensuite pour ne pas perturber le paysage politique avant ce second tour, je suis resté au stade de quelques grandes thématiques nationales. Rassurez-vous, j’ai des dizaines d’exemples, locaux cette fois, qui démontrent que ces trois mots sacrés sont toujours bafoués et détournés au profit de telle ou telle catégorie. Puissent les candidats du sprint final méditer sur leur sens et s’engager à un peu mieux les respecter…
Jean-Pierre COLLARD