Le bonheur des tables à Dijon, il est partout. Certaines, étoilées ou non, ont acquis leur renommée. Mais, en brassant plus large, toujours une bonne adresse à dénicher, d’un quartier à l’autre. Pas moins de 262 résultats affichés sur le site tripadvisor.fr qui donne tribune et crachoir aux internautes de tous poils, là où critiques gastronomiques et taupes des guides autopsiaient à l’envi le fond des poêles. Ainsi va la démocratisation du goût. Chacun y va de son Twitt, de son Like, de son blog, pour hâcher le commentaire sur les plats, en quelques formules tranchantes ou bribes d’une langue toujours plus maigre.
Au gré de mes balades gourmandes j’aime bien glaner des informations entre tous ces réseaux en ligne qui n’ont qu’une chose en bouche : la table et le bien manger. Comme tout le monde, j’affine mes recherches sur la ville, par prix, par thèmes, par secteurs. On le sait l’imaginaire de Dijon s’organise volontiers autour de lieux névralgiques : les Places. En matière de circulation, comme en termes de restauration. Place de la Liberté, de la République, du Marché, en un clic vous découvrez une myriade d’adresses sympas, passant par toutes les couleurs et les saveurs du tableau gastronomique pour répondre à vos envies et vos humeurs.
Parmi ces Places, il en est une, c’est assez rare pour être souligné, entièrement occupée par des enseignes de table : la Place Emile Zola. Nul doute, la figure du grand écrivain a libéré la créativité : Les Moules Zola, le Pizz’zola, l’Emile Brochettes. Pas loin l’Assommoir. En si bonne veine d’inspiration, il y a place encore pour mijoter de bons mots sur le dos de Zola. Pourquoi pas, Le Ventre de Dijon, La fortune des rognons, Au Bonheur des trams.
Autant vous le dire, j’ai toujours eu un peu de mal avec l’âme des lieux quand même habitée par les fantômes de tous ceux qui laissé sur place leur tête et leurs illusions en une justice vraiment humaine. Pendant des siècles, cette Place si riante et plaisante aujourd’hui, on la connaissait comme la Place du Morimond… Pas la peine de désosser longtemps le signifiant qui part de Morimond, en latin mori mundo, pour illustrer l’idéal de renoncement au monde des moines cisterciens, mais que bien des condamnés à mort ont vu d’un autre œil, sous les instruments du bourreau ou le couperet de la guillotine.
Rassurez-vous, je ne vais pas réveiller les morts, ni tremper dans le macabre. Mais quand même, j’ai toujours l’impression, sous les arbres de la Place, d’être vampirisé par ces images qui remontent à la surface. Je suis bien le seul, car dès que je m’en confie, on s’amuse ou s’inquiète de mon pleutre symptôme.
Tout cela est bien loin. Beau retournement de l’histoire, la Place est maintenant reconnue et appréciée comme l’un des lieux les plus accueillants et vivants de la ville. De table en table, la cuisine y reste fraîche et simple, elle monte en qualité. Sans mes digressions, j’aurais pu vous en parler davantage. Mais pas de quoi non plus se répandre sur une offre simplement et généreusement honnête, sans prétention de pousser en gamme et en prix.
L’Epicerie & Cie a la cote, c’est sûr. Pourtant, ce jour-là, j’ai choisi l’Emile Brochettes, histoire d’attaquer le bœuf non par la côte mais dans l’esprit maison, entre brochettes et potences (sic). Mise en broches et savamment grillée, la viande avait de toute évidence bien supporté la torture.