La mayonnaise FN peut-elle prendre à Dijon ?

Marine Le Pen mise sur les élections municipales de mars prochain pour faire une percée dans les villes de taille moyenne. Dijon est dans la cible. Absent en 2008, le FN présentera une liste en 2014 dont les rênes ont été confiées à un jeune de 23 ans au cuir élégant mais pas assez épais.

Edouard Cavin. Un patronyme de bonne province, facile à retenir. Comme son programme. Une tête de liste complètement inconnue dans le paysage politique local mais pas le nom. Edouard Cavin est le fils de Charles, pilier du Front en Côte-d’Or. Le jeune homme, nourri au biberon lepéniste, est loin d’avoir la faconde de papa. Le verbe n’est pas clinquant, claquant et fringant mais le discours est dans le moule, calibré au millimètre, rédigé par les instances parisiennes pour faire savoir, aussi clairement que possible que le parti continue de creuser son sillon. La partition est prête ; la mise en musique nécessitera encore quelques répétitions.

Et désormais la question se pose : Edouard Cavin peut-il faire de l’ombre à François Rebsamen et Alain Houpert ? Le conseil municipal de Dijon aura-t-il des élus frontistes ? Le vote FN sera une des inconnues du scrutin municipal à Dijon.

On sait que les états-majors du PS et de l’UMP ne cachent plus leurs inquiétudes devant la très probable progression de Marine Le Pen au printemps prochain. Les observateurs s’accordent à reconnaître, avec ou sans sondages, que le vote FN qui avait beaucoup reculé dans les grandes villes depuis les années 90 bénéficiera, cette fois, de l’évolution de l’image de sa leader dans l’ensemble du pays.

Dès lors, gauche et droite se renvoient la patate chaude. Au PS, où on ne serait pas fâché de voir la droite exploser sur la question de l’alliance avec le FN, on redoute la réaction des catégories populaires. A l’UMP, la position de François Fillon qui a manifesté son hostilité au front républicain (c’est à dire faire barrage au FN en cas de 2e tour où la droite serait absente), a essuyé de vives critiques, tant auprès des siens que des alliés de l’UDI. C’est un point éminemment sensible que l’ancien Premier ministre a touché du doigt.

Le vote FN n’est plus seulement un vote identitaire, sur l’insécurité ou l’islamisme. C’est un vote alimenté par l’actualité. Une actualité qui continue de déborder de mauvaises nouvelles pour l’emploi. Pouvoirs d’achat, retraites, travail : les espoirs se mêlent au défaitisme. Le moral s’ensable dans le doute. Les syndicats psalmodient des résolutions, mais leurs doigts gourds ne peuvent rien face aux noeuds si mêlés des conflits sociaux. La pauvreté se développe, l’insécurité cancérise un tissu social de plus en plus fragile, l’absence de perspectives d’avenir entraîne la désaffection, le désespoir, en attendant peut-être la colère. C’est sur ce terreau que les insatisfactions grandissent.

Les 17,9 % obtenus à l’élection présidentielle de 2012 montrent que Marine Le Pen a élargi ses bases électorales qui ne se composent plus seulement de parents de collégiens rackettés, de femmes seules agressées, de commerçants dévalisés, d’enseignants insultés, de professionnels de la santé menacés, de personnes âgées dépouillées, de gardiens d’immeubles chahutés, de chauffeurs de bus cailloutés… Et malheureusement, les véritables questions politiques sont souvent indéchiffrables et incompréhensibles pour la plupart des gens. Il n’y a plus de lutte des classes, il n’y a plus d’ennemis, plus de vrais combats idéologiques, alors c’est l’apparence qui compte. Et le lifting opéré par le FN qui se présentera en mars prochain sous la bannière « Rassemblement bleu Marine », pourrait séduire des citoyens toujours tentés par des transhumances électorales.

Que pourrait-il se passer à Dijon où l’on n’a pas laissé s’enfoncer dans la désespérance des couches sociales dont on sait que le décrochage nourrit les extrêmismes, où l’image du premier magistrat est synonyme d’autorité ? Dans une ville comme Dijon, on connait son maire parce qu’on l’approche. On lui parle parce qu’il est accessible. Tout comme on connait l’opposant municipal, François-Xavier Dugourd, élu de terrain, ou encore Alain Houpert, la très probable tête de liste UMP/UDI en mars prochain, médecin radiologue qui a exercé pendant plus de vingt ans au centre ville.

Les électeurs, dans une ville moyenne comme Dijon où il serait inconvenant de dire qu’il ne fait pas bon vivre, sont accrochés aux hommes et à leurs idées. Difficile donc pour Edouard Cavin de se faire, à son âge et en six mois, une notoriété à laquelle est immanquablement sensible l’électorat. Un électorat qui a montré, régulièrement, lors des dernières consultations locales qu’il ne préférait pas l’emballage à ce qu’il enveloppe, la boîte à ce qu’elle contient, l’apparence à la réalité.

La stratégie du FN, rebaptisé pour l’occasion Rassemblement bleu Marine, n’est pas d’implanter des gens connus et/ou reconnus. On le voit bien un peu partout. C’est tout simplement de coller l’image de Marine Le Pen aux côtés du candidat du moment. Peu importe donc qu’Edouard Cavin ait encore du lait derrière les oreilles. On a compris que ce n’est pas sur son nom que le vote se fera même si le jeune homme prétend proposer une offre nouvelle, dépassant les catégories habituelles de la politique.

Faire de la politique à Dijon, c’est autre chose que de vanter sans cesse les écoliers disciplinés, les étudiants qui ne font pas de bruit, les familles unies et bien mariées, les rues propres et rectilignes, les entreprises laborieuses et patriotes, les immigrés tricolores et bien assimilés.

Edouard Cavin élargira le socle traditionnel de l’électorat du FN, c’est une évidence. Il prendra des voix à droite comme à gauche. Reste à savoir où il piochera le plus. D’un côté, il affaiblira François Rebsamen qui se verrait bien élu, une nouvelle fois au premier tour. De l’autre, il contrariera l’opération « Reconquête » lancée par Alain Houpert.

Et François Rebsamen et Alain Houpert seront d’accord au moins sur un point : il faut se méfier des Français, ces « veaux », selon la formule du général de Gaulle, qui, sans prévenir, se transforment parfois en taureaux.

Jean-Louis PIERRE