Denis Hameau : « Nous pouvons aller encore plus loin »

Dijon Métropole a fait de l’enseignement supérieur l’une de ses filières d’excellence. Et, dans le domaine, les implantations d’établissements de renom se sont multipliées cette dernière décennie. Denis Hameau, le « Monsieur OnDijon et Enseignement supérieur » de la métropole nous détaille la stratégie qui a abouti à un écosystème de qualité… particulièrement attractif.

Dijon a atteint la première place du Classement Arthur-Loyd des métropoles françaises les plus attractives grâce, notamment, à son rayonnement dans l’enseignement supérieur. Comment avez-vous fait afin de développer vos atouts dans ce domaine ?

Denis Hameau : « Nous travaillons depuis plus d’une décennie avec une vision stratégique en se disant : comment, en fonction de nos filières, qu’elles soient existantes, à l’instar du tourisme, de la gastronomie, du vin… ou bien en devenir, comme le numérique, la Smart City, nous nous organisons afin de faire venir les compétences afférentes. Ce sont à la fois des compétences de haut niveau, comme nous pouvons en avoir, par exemple, avec le MBA Win & Spirit Business de BSB, mais également des compétences plus opérationnelles, comme du management d’hôtel, la restauration, la formation. Nous avons des lycées dotés d’une belle notoriété qui œuvrent en cela mais nous avions également besoin de signatures, comme l’école Ferrandi ou encore Vatel qui va s’implanter à Quetigny. Nous créons aussi la complémentarité avec l’École des Métiers Dijon Métropole. Nous sommes dans une logique où chacun peut apporter sa pierre… »

Vous faites cela pour toutes les filières d’excellence…

« Oui bien sûr. Je vais prendre d’autres exemples. Sur la partie agroalimentaire, nous avons AgroSup, devenu l’institut Agro Dijon, qui, avec sa nouvelle directrice Hélène Poirier, travaille également très bien dans une logique de coopération avec l’uB devenue l’Université Bourgogne Europe. C’est un élément important car, localement, sont formés beaucoup d’ingénieurs qui agiront pour la transition écologique. Je n’oublie pas non plus toute la recherche dans ce domaine pour lequel Dijon, avec l’une des plus importantes unités de recherche, est à la pointe… Mais je pourrais aussi évoquer la santé, sur laquelle nous sommes très bien positionnés. Nous avons ainsi travaillé avec ma collègue Danielle Juban sur Santenov. L’idée est de créer un bâtiment totem pour la santé dans lequel seront situés une école d’ingénieur (le CESI), un système d’incubateur, des start-up, des entreprises  ».

Pour les filières émergentes, telles le numérique, cela a dû plus délicat…

« Pour celle-ci, nous n’étions en effet pas identifiés comme des acteurs importants à l’échelle nationale. Avec la French Tech, en lien avec Agrosup ou encore le pôle de compétitivité Vitagora, nous avons pris le lead sur les domaines agro-agri. Cela nous a permis de monter en compétences en termes de visibilité. Nous avons également structuré cette filière autour du projet emblématique, OnDijon, qui nous a permis d’être leader national et européen dans le domaine du numérique sur l’espace public. Notre volonté était toujours de connecter cela avec l’enseignement supérieur. Nous avons ainsi fait venir 2 écoles d’ingénieurs : l’ESEO et l’ESTP. Cela a fait effet levier pour amener des compétences aux entreprises du territoire…

Avant, aucun ingénieur des travaux publics, de la ville durable, n’était formé sur le territoire… Aujourd’hui 10% des jeunes ingénieurs diplômés dans ces structures fréquentent les entreprises du secteur, soit par le biais de stages ou de l’alternance… Ils peuvent ainsi se projeter sur le territoire. L’ESIREM, qui est une belle école spécialisée dans l’informatique matériaux, est devenue Polytech. Mais Polytech ne pouvait pas former tous les ingénieurs dont nous avions besoin. Notre idée était de se dire : comment travaillons-nous sur un pôle d’ingénierie ? Il nous manquait les compétences en électronique et numérique.

L’arrivée d’ESEO, aujourd’hui en phase de développement, a pallié cela. Il y a des besoins et des jeunes qui ont envie de se former. Ils peuvent dorénavant le faire avec cette école. Avec ESEO, ESTP et Polytech, entre 2014 et 2030, nous aurons formé sur notre territoire au moins 1 500 ingénieurs de plus que précédemment. C’est un point fort désormais de la métropole ».

La bataille qui s’est jouée entre l’Université de Bourgogne et celle de Franche-Comté, qui a atteint son paroxysme avec l’échec de la COMUE, n’a-t-elle pas ralenti la progression ?

« Les différents épisodes sont connus. En 2016, la COMUE se met à fonctionner. Deux ans plus tard, elle explose pour une raison simple : ce qui aurait dû être la force de ce territoire, à savoir la coopération entre 2 ex-régions (une très forte sur le domaine industriel, l’autre plus à dominante tertiaire et viticole), a échoué. Au lieu de jouer ces complémentarités, la COMUE s’est bâtie sans réfléchir en amont à la gouvernance.

La Franche-Comté voulait avoir le leadership, pour faire simple, et, à partir de là, nous ne pouvions pas demander à une institution de plus de 300 ans de disparaître. Les deux universités devaient exister dans le même ensemble et nous n’avons pas réussi à le faire. Nous avons tiré les enseignements de cela, aussi sommes-nous partis sur autre chose : un établissement public expérimental. Nous avons réfléchi avec l’Université de Bourgogne et nous avons mis la coopération au cœur du jeu en travaillant en premier lieu la gouvernance partagée avec les 11 établissements. L’uB est le leader naturel avec ses 40 000 étudiants mais c’est un vaisseau amiral qui sait se mettre au service de ses satellites et des priorités qui ne sont pas toutes portées par elle.

Nous allons pouvoir imaginer la partie art-humanité-culture, où ce sont l’ESM (École supérieure de musique) et l’ENSA Dijon (École nationale supérieure d’art et design) qui vont être à la manœuvre, avec le soutien de l’Université, alors qu’elles ne pèsent que 500 étudiants.

Cela donne par exemple des perspectives sur la recherche en lien avec le cerveau, par le biais de la musique, etc. Nous pouvons travailler aussi avec Sciences-Po en réfléchissant sur ce que sera demain l’économie de la culture. Des écoles doctorales peuvent permettre de s’orienter sur de la recherche tout en allant chercher de l’argent pour décrocher des financements. Tout le monde peut désormais trouver sa place dans le système. Les écoles ont conservé leur identité qui fait leur force mais elles entrent dans un ensemble mettant une vie étudiante de qualité à leur disposition. C’est un élément important. Et l’Université Bourgogne Europe est dans l’alliance Forthem au sein de laquelle figure 9 autres universités européennes partenaires, ce qui ouvre de très nombreuses perspectives »

Après les violences sexuelles qui s’étaient faites jour au sein de Sciences-Po Paris et Lyon, il y a quelques années, vous aviez souhaité mettre en place des actions avec l’AMACOD (Antenne municipale et associative de lutte contre les discriminations). Où en êtes-vous de ce projet qui vous tenait particulièrement à cœur ?

« Nous avons travaillé sur ce projet nommé AMACOD Tour : 11 établissements ont signé une convention avec cette structure qui œuvre à la lutte contre les discriminations, contre les violences sexuelles et sexistes, contre le harcèlement… Ces établissements ont la possibilité de faire appel à l’AMACOD pour de l’écoute individuelle, pour former leurs enseignants, leurs administratifs, les bureaux des élèves. L’objectif est de créer un écosystème favorable empêchant ces mauvais comportements. Là aussi, plutôt que chacun ne se batte dans son coin, nous avons décidé de créer une véritable synergie. Cette convention a été signée en mars 2023… Plus de 1 000 personnes ont été formées dans l’ensemble des établissements afin d’être des référents ».

Nombre d’écoles se sont implantées sur le territoire… Seule l’école d’architecture se fait encore désirer !

« C’est l’un de mes regrets. Nous continuons de travailler à son implantation. Nous explorons encore différentes pistes. Nous sommes l’une des seules régions à ne pas en être dotée. La métropole est pionnière dans la ville durable, dans la décarbonation, dans la Smart City, aussi devons-nous avoir les concepteurs. Et nous avons des terrains de jeu à la pointe pour les architectes de demain. Un seul exemple : RESPONSE… Nous avons tout pour accueillir une école d’architecture ».

L’implantation d’une école d’architecture peut être un objectif afin de demeurer en tête du classement Arthur-Loyd des métropoles les plus attractives et résilientes… pour les étudiants !

« C’est tout ce que nous avons bâti brique par brique qui nous a permis d’obtenir le maillot jaune. Et nous sommes premiers malgré les besoins que l’on a en ce qui concerne le logement étudiant ainsi que la restauration étudiante. Il faut, là aussi, que l’on continue d’avancer… Nous disposons de plus de 775 formations dispensées sur le territoire. Mais l’idée est réellement de poursuivre le chemin. Nous souhaitons avoir une visibilité européenne et internationale… L’Université Bourgogne Europe n’est qu’une étape. Ce sont les fondations d’un travail qui va nous permettre d’accélérer. Maintenant que nous sommes bien structurés, que nous travaillons en confiance, nous pouvons aller encore plus loin… »

Propos recueillis par Xavier Grizot