Thierry Falconnet : «  Faire toujours plus avec moins ! »

Le maire de Chenôve a fait partie des nombreux élus qui ont dénoncé, lors du Salon des Maires à Paris, « la casse des services publics » qui serait engendrée par la contribution record exigée des collectivités territoriales par le gouvernement afin de réduire le déficit public. De retour de ce rendez-vous « anxiogène », Thierry Falconnet nous donne son sentiment…

Lors du Congrès des Maires à Paris, le président de l’AMF, David Lisnard, a déclaré que « les prochains Gilets jaunes pouvaient être les écharpes tricolores ». N’a-t-on pas assisté au Congrès de la colère ?

Thierry Falconnet : « Ce Congrès des Maires s’est déroulé dans une ambiance très particulière, en tout cas très différente de celle des précédents. Les maires de toutes couleurs politiques sont au même point de leur préparation budgétaire, autrement dit dans l’attente des coupes sombres que l’État a prévues pour leurs collectivités, et donc pour le service public de proximité qu’ils assurent au plus près de leurs concitoyens. Notamment au plus près de leurs concitoyens les plus fragiles, qui ont besoin plus que les autres d’un service public fort les accompagnant dans les difficultés de la vie.

Je pense au volet social, mais aussi à l’accès à l’école, aux soins, au sport, à la culture, à tous les outils d’émancipation que nous mettons en place dans nos communes. Et je n’oublie pas non plus un sujet qui m’est cher : la sécurité et la tranquillité publiques. Je reprendrai une expression de François Ruffin pour décrire le sentiment partagé par toutes et tous : « Il n’y a plus de pilote dans l’avion ! » Nous avons affaire à un pouvoir qui manque de légitimité – doux euphémisme ! –, qui ne sait pas s’il sera encore là dans quelques mois. Le Premier ministre l’a dit, certes avec humour, mais il l’a dit. La ministre du Partenariat avec les territoires et de la Décentralisation, Catherine Vautrin, l’a déclaré également. Aussi, ce qui anime l’ensemble des maires n’est autre que l’incertitude ».

Les dispositions contenues dans le projet de loi de finance ont cristallisé l’exaspération des élus locaux…

« Oui ! Le deuxième sentiment des maires, c’est l’injustice. Comment peut-on considérer que nous sommes en grande partie responsable du déficit de l’État ! C’est en réalité le résultat du « quoi qu’il en coûte » et le bilan d’Emmanuel Macron comme des gouvernements qu’il a nommés. Les maires, les collectivités locales, les intercommunalités ont continué leur travail dans des conditions de plus en plus contraintes. Nous assistons tous à une forme de de délitement des liens sociaux, une détérioration des relations entre les personnes, une violence dans les mots, dans les actes, de plus en plus prégnante.

Récemment, un de vos confrères indiquait que les maires étaient toujours les élus les plus appréciés, mais qu’aujourd’hui, ce sont les élus les plus agressés. Cette proximité qui est la nôtre, qui est celle de l’ensemble des 35 000 maires de France et des Outre-Mer, actuellement mise à mal, est bien le signe d’un malaise profond de la société. Les collectivités locales de proximité doivent affronter ce malaise et, dans le même temps, subir des coupes budgétaires. En ce qui concerne Chenôve, je me demande comment, demain, nous allons continuer d’assurer nos missions en matière d’accès au sport, à la culture, de transition écologique…

Tout cela intervient dans un contexte politique pour le moins délétère, avec un président de la République complètement démonétisé auprès de ses concitoyens, un gouvernement qui n’est soutenu que par une portion congrue de l’Assemblée nationale, un Sénat qui fait son travail en défendant les territoires et les collectivités mais qui ne sera pas, en fin de compte, décisionnaire. Ce fut un Congrès des Maires particulièrement anxiogène avec des expressions fortes, notamment des élus socialistes, auxquels j’ai participé sur le parvis du parc des Expositions à Paris. Nous étions nombreux à manifester notre refus de la casse des services publics ».

Le Premier ministre, Michel Barnier, s’est tout de même voulu rassurant, mais sans préciser au final le montant des économies demandées aux collectivités locales…

« Le 1er vice-président de l’AMF, André Laignel, a été très clair. On parle de 5 milliards de coupes sur les dotations et sur les dépenses des collectivités locales, auxquels il faut ajouter ce que nous touchons des autres collectivités, les subventions du département en matière d’action sociale par exemple, de la région en matière de transition écologique. Que ce soit François Sauvadet, président de l’ADF, Marie-Guite Dufay, présidente de la Région ou Carole Delga, présidente de l’ARF, tous font le même constat : nous ne pourrons plus assurer dans des conditions acceptables pour nos concitoyens un service public de proximité ! »

Et ces coupes budgétaires annoncées ne sont pas les premières que les communes subissent…

« Ce n’est pas très populaire ce que je vais dire, mais la suppression de la taxe d’habitation a été catastrophique pour les communes. Du jour au lendemain, nous avons été privés, par une décision purement démagogique du gouvernement En Marche à l’époque et du président Macron, de la seule recette dynamique dont nous disposions, avec une compensation qui reste au même niveau que celui du moment où elle a été a été supprimée.

Pour bon nombre de nos concitoyens qui ne sont pas propriétaires et qui ne paient pas la taxe foncière, c’est donner le sentiment que le service public assuré par les communes est gratuit. Or il y a rien de gratuit. Lorsque nous accueillons des groupes scolaires au centre nautique, au Cèdre, à la bibliothèque François-Mitterrand, cela a un coût. C’est du personnel, de l’électricité, du chauffage…

Ce consentement à la dépense, ce consentement à l’impôt, a disparu pour bon nombre de nos concitoyens qui ont l’impression fausse que tout est gratuit. C’est dramatique parce que le volet fiscal de nos recettes ne dépend quasiment plus que des propriétaires qui payent la taxe foncière. Et ceux-ci la voient augmenter mécaniquement tous les ans parce que l’État réévalue les bases. Même si nous, comme à Chenôve, nous n’augmentons pas la part communale… Pour une ville comme la nôtre, où, avec l’équipe municipale, nous avons une politique dynamique de construction de logements, et notamment en accession libre ou aidée, c’est un mauvais signe donné aux futurs propriétaires.

Un autre exemple : la baisse du fonds de compensation de la TVA, qui engendrerait mécaniquement, pour Chenôve, une perte de 100 000 de recettes. Nous allons avoir un investissement des collectivités qui va baisser, notamment celui des communes et des intercommunalités. Il y aura des effets sur le secteur de la construction. C’est déjà le cas aujourd’hui. On ne construit plus de logements, et pas seulement des logements à loyer modéré, si bien que les entreprises du bâtiment, des travaux publics sont impactées. Tout cela va avoir des conséquences sur l’économie réelle, sur lemploi. Nous pouvons entrer dans une phase de récession et c’est particulièrement dramatique ! » 

N’avez-vous tout de même pas apprécié l’annonce du Premier ministre de « reprendre le chantier du statut de l’élu, pour mieux protéger les maires » ?

« La technique de la carotte et du bâton est très connue et elle a déjà été très largement éprouvée… Il y a un vrai sentiment d’injustice au moment où l’État nous met sous le boisseau et l’idée qu’un statut de l’élu serait une carotte afin de nous « acheter » est une injure pour les élus qui s’engagent et s’engageront aux prochaines élections municipales. Nous verrons combien de maires se représenteront, mais il faudra aussi faire le bilan de ceux qui ont déjà abandonné depuis l’élection de 2020. C’est un chiffre record, ce qui montre le malaise profond. Penser que cette annonce ferait « avaler la pilule », c’est mal connaître les maires qui sont toutes et tous des femmes et des hommes engagés au service de leurs concitoyens, avec le sens du service public chevillé au corps.

Si nous sommes les élus les plus appréciés, c’est parce que nous sommes encore celles et ceux qui avons un rapport direct à la population, qui traitons des problèmes en proximité. Cela a évidemment des inconvénients que l’on connaît dans une période de crise profonde du lien social et de la confiance vis-à-vis du politique. Le statut de l’élu, oui, mais François Hollande l’avait déjà promis, Emmanuel Macron avait renouvelé cette promesse, et aujourd’hui c’est Michel Barnier qui nous en parle à nouveau. C’est l’Arlésienne ! J’aimerais plutôt que sur le volet des agressions, la justice passe mieux et plus vite afin que les maires soient beaucoup plus protégés dans leur mission. Car, si nous sommes à portée de fleurs et de roses de nos concitoyens, nous sommes aussi à portée de reproches, de récriminations voire, comme André Laignel, la déclaré… à portée de baffes ! »

Propos recueillis par Xavier Grizot

 

« Bravo à François Rebsamen ! »

Comment avez-vous réagi à l’annonce de François Rebsamen de transmettre la mairie de Dijon à sa 1re adjointe Nathalie Koenders ?

Thierry Falconnet : « Je voudrais d’abord remercier très fortement et très amicalement François Rebsamen pour l’œuvre accomplie à Dijon et dans la métropole depuis 2001. Son slogan de l’époque était de réveiller une belle endormie et cela a été fait de manière remarquable avec une transformation profonde de Dijon, une affirmation de son statut de capitale régionale, de son rayonnement international, puisque depuis peu Dijon et la métropole dijonnaise sont devenues capitales mondiales du vin. Et cela souligne l’importance de la capitale de Bourgogne Franche-Comté, une région profondément marquée par l’identité viti-vinicole.

Bravo à François Rebsamen pour le travail réalisé ! Même si j’ai pu avoir récemment avec lui des divergences d’appréciation sur la politique nationale, sur son soutien à Emmanuel Macron que je ne partageais pas, François Rebsamen restera un grand maire de Dijon. Le tramway, le musée des Beaux-Arts, le Zénith, l’OIV… c’est lui ! La transition était attendue et elle vient clore toute une série de supputations, de rumeurs, voire l’expression plus ou moins discrètes d’ambitions personnelles… Je me réjouis que François Rebsamen concrétise ce qu’il avait annoncé ce lundi.

Je souhaite beaucoup de réussite à Nathalie Koenders que je féliciterai ce mardi matin après son élection par le conseil municipal de Dijon. J’ai vécu moi-même cette situation de transition en cours de mandat et je sais que tout restera à faire pour Nathalie Koenders en matière d’affirmation de sa personnalité, de sa touche propre à la tête de la mairie de Dijon, particulièrement après un maire comme François Rebsamen qui aura tant fait pour sa ville. Mais je pense que c’est un beau symbole, une transmission annoncée et qui est effective. François Rebsamen a tenu la promesse qu’il avait faite.

On voit tellement d’autres situations où les promesses n’engagent que ceux qui y croient. Nathalie Koenders est intervenue dans des dossiers importants et je salue son engagement sur le sujet très épineux de la tranquillité publique et de la sécurité. Elle a pris cette problématique à bras le corps avec, là aussi, un contexte de transfert de responsabilité et de charges de l’État vers les collectivités locales. Je suis heureux pour les Dijonnaises et les Dijonnaises et je le suis aussi en tant que maire de Chenôve puisque les relations que je peux avoir avec Nathalie Koenders sont tout aussi amicales et fraternelles que celles que j’entretiens avec celui qui reste le président de la métropole, François Rebsamen ».