Me Nicolas Taiclet : « Des disparités surprenantes »

Baisse des prix attendue en 2023, stabilisation de la hausse des taux, Nicolas Taiclet, vice-président délégué pour la Côte-d’Or de la Chambre interdépartementale des notaires de la Cour d’appel de Dijon, apporte un commentaire éclairé sur la situation de l’immobilier, que ce soit sur Dijon, la Métropole ou au niveau national.

Comment évaluez-vous globalement l’activité immobilière dans l’ancien au cours ces premiers mois de l’année en Côte-d’Or ?
« Les chiffres dont on dispose ont été arrêtés au 31 mars 2023. Sur une période glissante d’une année, on a encore une activité soutenue. Les taux d’intérêt ont certes augmenté mais d’une manière raisonnable en 2022. Il y a toujours une forte demande sur certains types de biens, notamment pour tout ce qui touche à l’habitat individuel, et là on voit bien que le Covid a marqué les esprits. Force est de constater que la tendance s’inverse depuis le début de cette année. Après un sondage effectué auprès des études de Côte-d’Or, on note une baisse de volumes qui est de l’ordre de 20 % sur l’immobilier ancien ».

Et dans le neuf ?
« La baisse est très importante puisqu’elle est de l’ordre de – 70 % sur les transactions. On entend même des promoteurs qui essaient de vendre des programmes en bloc parce qu’ils n’arrivent pas à commercialiser par lot. A priori dans les mesures gouvernementales, la Caisse des Dépôts et Consignation se prépare à racheter plusieurs dizaines de milliers de logements pour soutenir l’activité des promoteurs ».

Comment expliquer cette situation ?
« Cela vient essentiellement du marché des primo-accédants qui subissent la hausse du prix des matériaux et la restriction à l’accès de l’emprunt. On comprend que cela freine les élans des jeunes couples. On a là une situation qui est assez catastrophique confortée par des prix qui sont très élevés. A Dijon, on arrive aujourd’hui à des ventes dans le neuf qui oscillent en moyenne entre 4 500 et 5 000 € le m² ».

Comment Dijon se situe-t-elle dans le contexte national ? 
« Ce qu’on constate au niveau national se vérifie à Dijon. Ce sont sensiblement les mêmes situations que ce soit dans l’ancien ou dans le neuf ».

Quels sont les quartiers à Dijon qui tirent le mieux leur épingle du jeu ?
« C’est un peu surprenant. Sur Dijon, sur la période annuelle qui vient de s’écouler, on a une augmentation moyenne des prix de 6,3 % jusqu’à fin mars. Le quartier des Poussots, où les notaires ont effectué 155 ventes, on est à + 13 %. Vous prenez le quartier Parc -133 ventes-, un quartier très prisé, on est à -1,3 % malgré la forte demande. Le quartier des Bourroches -188 ventes- enregistre une hausse des prix de + 16 %. De son côté, Montchapet voit les prix augmenter de 7,9 % mais deux fois moins si on le compare aux Bourroches ».

Et dans la Métropole ?
« A Chevigny-Saint-Sauveur, par exemple, on observe une hausse des prix de 14,3 %, Longvic, 11,1 % alors que Talant, et c’est une surprise, a vu les prix baisser d’environ 10 %. A Fontaine-lès-Dijon où les biens sont rares, on est sur une hausse de 4,7 %. On peut penser que les gens s’éloignent pour ne pas subir cette baisse des capacités d’emprunt. En la matière, les taux ont pratiquement doublé, passant de 1,5 en moyenne à 3 %. A 1,5 %, un ménage qui pouvait emprunter 300 000 €, tombe à 250 000 / 260 000 € dès lors qu’on passe à 3 %.

Selon les pronostics de certains professionnels, les prix de l’immobilier vont baisser en 2023 et 2024, dans des proportions toutefois insuffisantes pour faciliter l’accès à la propriété et compenser la hausse des taux. Partagez-vous ce sentiment ?

« Complètement. Aujourd’hui, la demande est forte et on ne construit pas assez de logements. Le marché de l’immobilier est donc toujours tendu. Prenons l’exemple de la crise de 2008, on est passé de 830 000 transactions en 2007 à 564 000 deux ans plus tard. Et les prix n’ont diminué alors que de 10 %. En 2007, prix moyens tout confondus, on était à 2 500 € du m². En 2015, on était à 2 800 €. La crise de 2008 a été vite balayée. En 2023, on s’attend à une baisse de l’ordre de 2 à 3 %. Mais aussi à une stabilisation de la hausse des taux. Mais on n’a pas de boule de cristal… ».

Les professionnels de l’immobilier ont écrit au président de la République fin mai pour tirer la sonnette d’alarme et demander des mesures d’urgence (notamment face à la chute de l’immobilier neuf). Pour eux, la crise du logement s’installerait durablement dans notre pays…

« Il y a effectivement eu une levée de boucliers de la part de toutes les fédérations de l’immobilier, les promoteurs, les constructeurs de maisons individuelles, les lotisseurs, les bailleurs sociaux… Il y a une première batterie de mesures qui ont été annoncées. Des mesures très générales que les professionnels jugent insuffisantes pour mettre fin à la crise. Le dispositif Pinel prendra fin au 31 décembre 2024.

Il est important de s’interroger, si ce dispositif n’est pas remplacé, sur l’impact sur les investisseurs. Le gouvernement souhaite favoriser l’accès à la location mais pour cela il faut des biens… Par ailleurs, les revenus tirés de la location sont excessivement taxés. Vous voyez que l’équation est loin d’être simple. Et j’imagine que les investisseurs pourraient plutôt se tourner vers les marchés financiers au détriment de l’immobilier ».

Au-delà de la hausse des taux qui freine le pouvoir d’achat des acquéreurs, le contexte économique fait-il encore naître des tensions du côté des banques qui se montrent, on le sait, plus frileuses à prêter ?
« Les banques ont réduit leurs enveloppes affectées aux emprunts immobiliers. Elles exigent aujourd’hui qu’il y ait entre 20 et 25 % d’apport et un reste à vivre plus important qu’avant. De facto, les gens peuvent moins emprunter ».

Comment voyez-vous évoluer la situation dans les prochains mois ?
« On nous annonce une baisse de l’inflation à partir de l’automne. Quelle en sera l’ampleur ? On nous annonce aussi une stabilisation des taux d’emprunt, ce qui serait aussi une bonne nouvelle. Les crises immobilières durent généralement entre 6 et 18 mois. Et on peut s’appuyer sur cette demande de logements qui reste toujours importante. Il y a beaucoup de paramètres qu’on ne mesure pas bien. Par exemple, s
‘il y avait un afflux de logements « passoires thermiques » sur le marché parce que leurs propriétaires ne veulent pas faire de travaux de rénovation, on peut imaginer alors une baisse des prix encore plus significative ».

La performance énergétique que vous évoquez est-elle devenue un élément incontournable dans les négociations acheteurs-vendeurs ?
« Absolument. Les gens regardent avec une attention très soutenue. Auparavant, les diagnostics ne voulaient rien dire. On savait que les résultats étaient biaisés. Aujourd’hui, la démarche est beaucoup plus encadrée mais, malgré tout, on peut légitimement se poser la question :
Peut-on vraiment se fier au diagnostic de performance énergétique (DPE) d’un logement ?

Selon une étude Hello Watt publiée en début d’année, il semblerait que non. 71% des DPE ne seraient ainsi pas corrects, c’est-à-dire qu’ils ne correspondent pas à la consommation du logement en kWh par m² et par an. Au-delà de cela, nous notaires, nous attirons la vigilance de nos clients qui souhaiteraient investir dans un appartement qui présenterait une étiquette G. Il n’y a rien de tel pour faire fuir les locataires qui connaissent les prix de l’électricité et du gaz ».

Les notaires restent tout de même confiants ?
« Toujours. Et, personnellement, je suis d’une nature optimiste ».

 

Propos recueillis par Jean-Louis Pierre