Maxime Moulazadeh : « Avoir la liberté de choisir sa fin de vie »

Il n’y a pas d’âge pour militer pour la fin de vie. Pour preuve, Maxime Moulazadeh, 34 ans, qui nous explique pourquoi il est indispensable de faire évoluer la loi Claeys-Léonetti.

Pourquoi faut-il légiférer sur l’euthanasie ou le suicide assisté pour compléter les lois actuelles sur la fin de vie ? Une loi qui, pourtant, prévoit l’arrêt des traitements en cas d’« obstination déraisonnable »…
Je pense qu’il faut légiférer sur la fin de vie et le droit de mourir dans la dignité parce que la loi Claeys-Léonetti ne va pas assez loin. Je vais vous donner une preuve flagrante : à l’heure actuelle, on sait qu’il y a des familles qui accompagnent dans des pays comme la Suisse ou la Belgique des personnes qui souhaitent mettre un terme à leur souffrance. En arriver à cette extrémité montre bien qu’en France nous n’avons pas à notre disposition toutes les possibilités et les facilités pour avoir une fin de vie telle que les personnes peuvent la souhaiter.

A votre avis, pourquoi l’aide active à mourir divise-t-elle tant alors que dans certains pays d’Europe on trouve une forme de consensus ?
Comme vous le signalez fort justement, il y a beaucoup de pays qui ont, ces dernières années, légiféré sur la fin de vie. On peut citer l’Espagne, l’Italie ou encore le Portugal. Des pays, latins de surcroît, qui ne sont pas laïcs comme le nôtre mais plutôt croyants et qui, pourtant, n’ont pas hésité à franchir le pas en direction du droit à mourir dans la dignité. Ces pays ont connu des régimes dictatoriaux et cela explique peut-être cette volonté de s’émanciper avec des lois progressistes. Prenons l’exemple de la Suisse qui autorise le suicide assisté depuis 1937. La personne ne doit pas nécessairement être en phase terminale, mais doit apporter la preuve de sa capacité de discernement et son aidant ne doit pas avoir des velléités d’héritage. La pratique de l’assistance au suicide est encadrée par des codes de déontologie médicale et prise en charge par des organisations reconnues qui vont déterminer les critères de santé dont elles estiment qu’ils donnent, ou pas, accès à un suicide assisté.
Pourquoi mettons-nous plus de temps que ces pays là sur la question qui nous occupe ? Je n’ai pas forcément une réponse qui me vient à l’esprit. Est-ce que ça vient de notre histoire, de la religion, de la philosophie… ? Peut-être un mélange de tout cela. Sans oublier que nous sommes un pays qui aime tellement débattre… Aussi il me semble essentiel désormais que les parlementaires s’emparent de cette question.

En se focalisant sur l’euthanasie et le suicide assisté, ne prend-on pas le risque de négliger les soins palliatifs requis par la très grande majorité des malades en fin de vie ?
Fin de vie et soins palliatifs ne vont pas l’un sans l’autre. Il ne faut surtout pas les opposer. Ce débat sur la fin de vie interroge également la place actuelle accordée aux soins palliatifs dont l’offre est répartie de manière inégale sur l’ensemble du territoire. Il y a là une véritable inégalité. Les soins palliatifs s’inscrivent dans une volonté qu’exprime le patient. Il faut, je pense, aller jusqu’au bout du process et prendre en compte l’avis du patient qui souhaite y mettre un terme.

Finalement, la fin de vie n’est-elle pas un débat sans fin ?
La mort est un débat qui fait partie de la vie. On aura toujours des personnes qui se refusent à comprendre celles qui se battent pour mourir dans la dignité et, inversement, il y a des gens qui ne pourront jamais comprendre pourquoi d’autres s’opposent à cette volonté de choisir sa fin de vie. Je ne pense que ce soit un débat sans fin même si le Portugal tend à conforter votre question. Le chef de l’Etat a en effet annoncé, début janvier, avoir saisi la cour constitutionnelle pour examiner la loi autorisant l’euthanasie adoptée le 9 décembre 2022…
Je pense qu’il faut le temps d’acceptation de certaines évolutions et de la façon de voir les choses. Prenons un exemple très simple : quand Simone Veil expose la loi sur l’IVG pour défendre les femmes à disposer de leur corps librement, est-ce pour autant que toutes les Françaises ont décidé d’avorter ? Avec cette volonté de légiférer sur la fin de vie, on va indiscutablement vers un progrès. Dans un pays où l’IVG est reconnu comme un droit fondamental, c’est quand même paradoxal de ne pas avoir la liberté de choisir sa fin de vie. Faire évoluer la loi Claeys-Léonetti serait un plus pour notre société et une pierre blanche à marquer dans les combats progressifs et sociétaux. Ce serait un progrès de civilisation au même titre que la liberté d’association, le droite de vote aux femmes, une grande étape serait franchie.

En faisant évoluer la loi, est-ce qu’une personne, saine d’esprit, qui se sait condamner mais qui est encore en bonne santé, peut avoir accès au suicide accompagné ?
J’ai en tête le cas de cette jeune femme, de nationalité belge, qui est morte par suicide assisté. Elle se portait physiquement bien mais elle endurait de lourdes souffrances psychiques depuis qu’en 2016 elle avait été l’une des victimes de l’attentat perpétré à l’aéroport de Bruxelles. La volonté de vivre ou de mourir est quelque chose que je peux difficilement expliquer. Le but final de cette loi dont on discuter n’est-il pas de décider librement de sa fin de vie ? Et il n’est pas question de s’opposer aux personnes qui veulent s’accrocher et tenter de vivre coûte que coûte. C’est une question de force, de courage et de volonté contre laquelle il n’est pas question de faire obstruction. Toutes les décisions sont à prendre en considération et il faut les respecter.

Propos recueillis par Jean-Louis Pierre