Jean-David Mossé : « La mort, il faut la regarder en face ! »

Jean-David Mossé a exercé la médecine pendant 40 ans. D'abord dans le sud de la France puis à Dijon. Pour lui, la loi Claeys-Léonetti fixe un cadre qui donne satisfaction aux médecins et répond aux attentes des malades incurables et de leurs familles.

Quels sont les arguments qui vous poussent à ne pas vouloir faire évoluer la loi Claeys-Léonetti adoptée en 2016 qui encadre la fin de vie des malades incurables ?

Plus on met des strates sur les lois, pire c'est. Le risque, c'est qu'elles deviennent inapplicables. Cette loi, elle présente un gros avantage : elle protège les médecins qui, de façon très naturelle, ont toujours fait ce qu'il faut pour accompagner, dans la douceur, des malades incurables. Cette loi Claeys-Léonetti donne aussi aux patients la possibilité de s'opposer à l'acharnement thérapeutique et il est important que leur volonté soit respectée.

Les mots euthanasie et suicide assisté ne font-ils pas peur ?

Euthanasie et suicide assisté, pour moi, c'est la même chose. Eluder ces mots là, c'est une erreur et il ne faut pas en avoir peur. Ils incarnent une réalité qu'il ne faut surtout pas voiler.

Finalement, toute médecine ne comporte-t-elle pas sa part d’action aux confins de la vie sans qu’il soit nécessaire de légiférer à tout coup ?
Les sociétés humaines ont créé le médecin -le sorcier dans les sociétés premières- pour les soulager de leurs maux. J'ai exercé la médecine pendant 40 ans et, dans mon entourage, nombre de mes confrères ont eu cette part d'action aux confins de la vie. Et ils n'ont jamais reculé. Quand un patient est en fin de vie et qu'il souffre, on fait, en toute conscience, tout ce qu'il faut pour le calmer, pour l'accompagner dans la sérénité. Et on sait très bien que cette action va abréger la vie. C'est le rôle du médecin et la loi Claeys-Léonetti va le protéger. Et n'oublions jamais que le médecin est avant tout un humaniste.

Chez un malade cohabitent des sentiments complexes et contradictoires, lestés par une angoisse de mort plus ou moins manifeste, qui peuvent aller du déni de la maladie à une attitude de combat ou au contraire d’acceptation de la mort qui se profile... Comment évaluer objectivement que la décision d'un malade est autonome et non un symptôme pathologique ?
C'est tout le problème de la médecine actuelle. Il est impossible de la mettre en protocole. Le protocole, c'est un outil et rien de plus. Ce qui compte, c'est cette relation intime qui va se nouer entre le malade incurable et son médecin. Une relation qui, parfois, se joue à très peu de choses. Un regard, un mot... qui vont traduire la volonté du patient. On a tous connu des patients en fin de vie qui n'aspiraient qu'à une chose : mourir. Et parfois, au moindre incident, ces mêmes patients réclamaient au plus vite le secours du médecin. Que faire par rapport à ce type de patient ? Faut-il comme aux Etats-Unis, lui faire signer un contrat devant avocats en centaine d'exemplaires, avec signatures, contre-signatures, en présence d'une foule de témoins ? C'est un risque qui nous guette.

Il n'est jamais facile de parler de la fin de vie dans une société qui s'efforce surtout de repousser la mort par la science et la technique ?
La réponse est dans la question. Le terme employé est symptomatique de l'hypocrisie qui préside au concept de mort. Pourquoi parler de fin de vie ? Le mot le plus adéquat dans la langue française, c'est la mort. C'est la destinée de l'homme. C'est la destinée de tout être vivant. La mort, il faut l'intégrer dans son parcours de vie. Demain ou après demain, s'il le faut, on va trouver un autre mot. Nous vivons dans une société qui veut ignorer la mort, l'occulter, la mettre sous le tapis comme on pourrait le faire avec la poussière qu'on cache faute d'être évacuée. La mort est inhérente à la vie et, sans elle, celle-ci aurait-elle encore un sens, tant au plan spirituel que sociétal et personnel.
A l'époque où j'ai commencé ma carrière, quand un patient était à l'article de la mort à l'hôpital, tout était fait pour qu'il retourne à la maison. C'était le souhait de la famille qui voulait, de cette manière, commencer son deuil. Aujourd'hui, plus personne ne demande quoique ce soit. Le défunt est transporté à la morgue de l'hôpital avant de rejoindre une chambre funéraire. Cette évolution s'est faite presque inconsciemment. Et puis, la dimension commerciale a vite pris le dessus car il y a un vrai business de la mort.

Comment la mort peut-elle retrouver sa place dans la vie ?
Tout simplement, en la regardant en face, sans l'ignorer comme nous sommes en train de le faire par toute une série de comportements. Je ne suis pas freudien, pour autant, je suis convaincu qu'en cachant la mort, il est certain qu'on va créer une névrose. C'est obligatoire. Une névrose qui touche à la fois l'individu et la société. C'est en effet la notion de sa finitude qui, à mon avis, donne tout son sens à la vie. Imaginons ce que serait une vie sans la conscience de son caractère éphémère. Ce serait tout simplement une vie animale fortement diminuée du sens qu'elle peut revêtir. D'ailleurs, la prise de conscience de la mort et de son caractère inéluctable est considéré par tout un courant de la paléontologie comme le fait fondateur de l'humanité.
Il faut toute une vie pour apprendre à mourir et c'est cela dignité de la mort dont on parle sans en connaître le sens.

Propos recueillis par Jean-Louis Pierre