Thierry Degorce : « Des créateurs d’émotion »

Pas moins de 1 000 personnes ont assisté à la présentation des équipes professionnelles de basket masculin et de handball féminin de la JDA. Les résultats exceptionnels de la saison dernière ne sont pas étrangers à cette affluence. Tout comme la seconde jeunesse retrouvée par ce club historique de Dijon sous la présidence de Thierry Degorce, qui, avec sa sœur Nathalie Voisin, ont développé une nouvelle stratégie associant le sportif et l’économique. Une holding Groupe JDA comprend désormais 10 filiales et rayonne dans l’univers de la restauration et le monde du vin. Interview d’un président visionnaire…

Dijon l’Hebdo : Avant toute chose, quels objectifs sportifs avez-vous fixé à vos joueurs pour cette saison ?

Thierry Degorce : « Pour jouer les coupes d’Europe, comme la Champions League cette année, cela nous oblige d’être dans les 5 premiers. C’est notre objectif sportif autant pour le basket que pour le hand. Afin de développer l’image de la JDA et de nos projets notamment viticoles, il faut que l’on puisse se déplacer en Europe et que le sportif soit le vecteur communication. Nous avons gardé un souvenir extraordinaire de la victoire à Disney et du trophée de la Leaders Cup. Cela se jouera en février et conserver notre titre représente l’un de nos autres challenges. Ce serait un plaisir immense ! L’objectif sportif peut paraître simple mais il est en réalité compliqué. Le modèle économique est toujours le même : nous sommes le 12e ou le 13e budget en terme de masse salariale. Nous sommes le petit Poucet et essayer de faire beaucoup avec peu représente l’équation que nous devons résoudre à travers un recrutement efficace et la stabilisation de nos effectifs sur la durée. Si l’on prend cette année, nous aurons conservé pratiquement 70% de l’effectif. Hélas nous avons enregistré le départ de Laurent (ndlr : Legname) puisque l’entraineur a actionné sa clause pour aller à Bourg-en-Bresse. C’est son choix même si on ne le comprend pas. Nous avions la crainte que les joueurs le suivent. Ils sont restés car, une fois de plus, les joueurs sont aussi intéressés par le projet économique. Ils peuvent vivre et apporter leur pierre au développement de nos différentes activités ».

DLH : Les joueurs pourraient-ils être associés à ces projets pour leur après-carrière ?

T. D : « Bien sûr. On réfléchit. Je pense à David Holston qui représente, pour nous, une pièce maîtresse du club et qui aime beaucoup la France et Dijon. Il aspire à pouvoir vivre et s’installer ici et être un ambassadeur de notre projet ou de quelques activités du groupe JDA l’intéresse ».

DLH : Comment avez-vous franchi les affres du Covid et la vie sans public ?

T. D : « La situation a été compliquée car nous sommes sur un sport collectif et le public représente le 6e homme. Lorsqu’il y a 4 000 personnes au palais des Sports, cela nous a souvent aidé parce que cela motive… Cela a été effectivement une période difficile. Mais ce club a 140 ans d’existence et c’est une véritable force ! Il y a plusieurs générations qui suivent le club, des entreprises qui sont partenaires de très longue date. Elles nous ont soutenues même si elles n’ont pas assisté à beaucoup de matchs. Elles ont résigné, maintenu leur sponsoring – très peu ont demandé des avoirs. Elles sont là et elles nous soutiennent. Ce qui a fait que les complications liées au Covid n’ont pas suscité de difficultés financières à la différence d’autres clubs. On voit aujourd’hui, par exemple dans le foot mais cela concerne beaucoup de sports, que nombre de clubs ont des difficultés, voire sont à vendre. Depuis 7 ans, il faut savoir que nous équilibrons nos comptes. Avant les pertes annuelles étaient monumentales, depuis la JDA ne perd plus d’argent. Dans cette période difficile, il y a quand même eu des bonnes nouvelles : nous nous sommes aperçus que nous n’étions pas seuls et qu’autour de nous il y avait des entreprises fidèles prêtes à nous accompagner. C’est un grand réconfort et nous savons ainsi que nos projets peuvent avancer avec les 200 entreprises qui sont à nos côtés et qui peuvent, elles aussi, avancer à travers le club affaires ».

DLH : L’ASSE devrait, qui sait, se tourner vers vous pour redonner le feu au Chaudron stéphanois ?

T. D : « Non (rire) ! Dans mon activité professionnelle, Iserba, qui est une entreprise familiale existant depuis 40 ans – mon père l’a créée et nous avons continué l’aventure avec Nathalie il y a plus d’une quinzaine d’années –, nous avons développé nos premières structures-agences en Bourgogne. C’était Mâcon, Chalon-sur-Saône, Dijon. Nous avons toujours eu ses implantations historiques et cette belle aventure JDA est à nouveau sur la Bourgogne, à laquelle nous sommes très attachés. C’est pour cela que notre vaste projet puise ses racines dans la région ».

DLH : Comment vous est venue l’idée d’aller jouer sur d’autres terrains… gastronomiques et vineux ?

T. D : « Le comité de direction a mené une réflexion il y a un peu de deux ans afin d’être en capacité de financer nos ambitions sportives. Sachant que l’on ne peut pas toujours dépendre des subventions des collectivités même si nous n’avons pas à nous plaindre sur ce point, bien au contraire… Nous avons décidé de renforcer l’activité du club à travers des filiales. Nous avons créé une holding financière qui s’appelle Groupe JDA, et celle-ci possède aujourd'hui 10 filiales, dont le basket, le handball… Nous nous sommes diversifiés afin de développer la création d’émotion à travers le sportif, une belle assiette, un bon vin… Il y a deux ans, nous avions le projet d’un Village JDA et sur ce Village de 3 ha nous devions retrouver l’espace sportif, un restaurant, du tertiaire, etc. Le village est tombé à l’eau mais on peut dire qu’aujourd’hui notre Village n’est autre que la Bourgogne avec plusieurs implantations ».

DLH : C’est ainsi que vous avez commencé par investir la place de la République…

T. D : « Le palais des Sports n’étant pas très loin de la place de la République à Dijon, je me suis dit que cela pouvait être intéressant d’avoir sur ce site un lieu de convivialité avec nos partenaires. Nous nous sommes lancés dans la restauration avec l’acquisition d’un premier établissement Terre & Mer. Nous avons eu une autre opportunité qui s’est présentée rapidement (la Brasserie République) où nous sommes sur une autre cible de clientèle. Nos partenaires, les entreprises, le public peuvent s’y retrouver et découvrir nos sportifs qui peuvent être présents… Et nous espérons que ces entités feront du résultat. Ce sont des activités économiques qui doivent permettre de donner plus de moyens économiques au sportif. C’est notre but ».

DLH : Tout comme le Village JDA, le projet de JDA Arena est-il définitivement tombé à l’eau ?

T. D : « L’Arena n’est plus d’actualité mais j’ai toujours dans l’objectif d’avoir notre outil de travail. Je remercie la collectivité car, depuis 3 ans, plus de 2,5 M€ ont été investis pour rénover le palais des Sports. Peintures, enlèvement de la moquette, sono remplacée, salle de réception… les travaux ont été nombreux et nous avons aujourd’hui un palais des Sports qui n’a plus rien à voir avec celui que j’ai connu lors de mon arrivée à Dijon. Le palais des Sports serait un lieu extraordinaire pour nous si demain il pouvait être notre lieu de travail rattaché à la JDA. Cela fait partie des discussions que nous avons avec Dijon métropole et la Ville ».

DLH : Revenons au monde du vin. Il semblerait que là-aussi la réussite soit d’ores et déjà au rendez-vous…

T. D : « Lorsque l’on se déplace en coupe d’Europe, on effectue toujours un petit sondage : connaissez-vous Dijon ? Oui, un petit peu… Connaissez-vous la Bourgogne ? Oui, on connaît la Bourgogne ! La JDA est le seul club aujourd’hui en élite, en toute modestie, puisque tous les autres sont soit en Ligue en 2, soit en Nationale… Je me suis dit qu’il fallait que l’on imagine quelque chose d’intéressant avec la Bourgogne viticole. Je n’ai pas beaucoup de sous. Aussi lorsque j’ai regardé les prix à l’hectare en Côte-d’Or, c’était pour nous impensable. Pour apprendre cet environnement, car c’est comme pour la restauration un nouveau métier, nous avons décidé de descendre dans la Bourgogne du Sud beaucoup plus abordable. J’ai trouvé un petit domaine de 6-7 ha entre Macon et Cluny, à Sologny. Et comme cela a fait boule de neige dans le secteur, un deuxième domaine va se greffer dans les semaines à venir et un troisième également début 2022. Nous allons développer la marque Domaine des Arbillons qui est en lien avec une bâtisse extraordinaire du XVIIIe siècle : le Moulin des Arbillons, dont les travaux de rénovation débutent actuellement. Nous allons créer 15 suites afin d’accueillir des entreprises pour des formations, des séminaires, etc. Du petit projet initial, nous serons d’ores et déjà, dans 6 mois, à 22 ha avec un tiers de rouge et deux tiers de blanc. Avec des Saint-Véran, des Pouilly-Fuissé, nous avons des choses assez sympathiques que nous commercialiserons à travers nos déplacements, la JDA, les clubs affaires, les soirées au palais des Sports… Mais j’ai toujours l’idée d’essayer de produire du vin en Côte-d’Or. Je rappelle aussi qu’il y a un vrai projet autour du vin à Dijon et nous avons peut-être une place à jouer. Nous sommes en train d’acquérir une compétence, de bâtir une équipe – à chaque fois que l’on prend un petit domaine, on garde le propriétaire. En un mot, nous sommes en train d’apprendre le job ! »

DLH : Le fait que vous jouiez dorénavant sur le terrain de la restauration ne vous a-t-il pas fait perdre des partenaires restaurateurs ?

T. D : « Cela n’a pas eu d’impact parce que je n’ai pas de restaurateurs ou tellement peu dans les partenaires. Cela n’a pas eu d’effet négatif. Et beaucoup viennent souvent déjeuner ou dîner chez nous… Sincèrement, c’est une belle aventure. Nous avons ouvert un 3e restaurant le 8 septembre sur la région lyonnaise, à côté du groupe Iserba, à Beynost dans l’Ain. Celui-ci s’appelle Dell’Anima, à connotation plus italienne, et offre 150 places à 500 m de notre siège social ».

DLH : Vous avez également réussi le tour de force d’être dorénavant proche de toutes les collectivités…

T. D : « J’ai un principe que j’ai posé dès le départ. Le palais des Sports est un lieu de convivialité et d’émotion et c’est le sport qui doit primer. Chacun peut penser ce qu’il veut mais mon ambition était déjà de sauver la JDA parce qu’elle était en dépôt de bilan et de recréer de la confiance avec les collectivités. J’ai effectivement de très bonnes relations avec toutes les collectivités et cela me fait plaisir. On vient voir un bon match de basket ou de hand. Mon but est de rassembler pour porter un vrai projet sportif, et j’insiste sur le terme de sportif… ce qui est différent de ce qui se passait précédemment ! J’ai le même principe pour nos établissements. On me disait : on ne parlera que de la JDA. Non ce sont des lieux où on rassemble, pourquoi ne pas y parler du rugby, du foot… Ce sont des lieux où le sport, tous les sports doivent primer ! »

Propos recueillis par Camille Gablo