Il nous était impossible de ne pas rendre à César ce qui lui appartient. Auteur d’un essai mémorable lors du « plus beau match de l’histoire de la coupe du Monde », Christophe Dominici avait survolé Twickenham pour entrer dans la légende. L’entraîneur du Stade dijonnais, Benjamin Noirot, qui l’a croisé sur et en dehors des terrains, se souvient…
Il est venu, il a vu… et il a vaincu. L’expression « Veni, vidi, vici », qui fut employée par Jules César pour illustrer l’un de ses succès foudroyants, aurait pu, qui sait, être remise au goût du jour dans les années 2000 sur les maillots roses chers au président hors norme du Stade Français, Max Guazzini. Et cet apôtre du beau jeu comme de la communication décalée aurait pu, qui sait, l’adapter en y glissant le diminutif de son ailier génial, qui, tel Pégase, n’avait pas son pareil pour galoper ballon en main entre les lignes ennemies : « Domi », pour Christophe Dominici, dont le vol s’est achevé le 24 novembre dernier au pied d’un immeuble dans le parc du Domaine de Saint-Cloud.
Comme toute la planète rugby, Max Guazzini, avec qui il a remporté cinq titres de champion de France entre 1998 et 2007, s’est déclaré « dévasté » par la mort de ce « joueur différent ». Car Christophe Dominici ne soulevait pas que le Bouclier de Brennus, il soulevait le cœur de tous les amoureux de l’Ovalie… Et pas seulement ! Qui ne se souvient pas de son envolée dans le temple de Twickenham le 31 octobre 1999 où tel David, du haut de ses 1,72 m, il terrassa Goliath en participant à l’élimination, en demi-finale de la Coupe du Monde, des All Blacks, malgré leur arme fatale, un certain Jonah Lomu et ses 1,95 m et 100 kg !
L’ailier de poche marqua un essai qui le fit entrer dans la légende et fit exploser aux yeux de toute la planète sa chevelure peroxydée tout comme son (grand) art de l’évitement… Certes, les Wallabies australiens mettront fin au rêve de la bande des Ntamack, Ibanez, Galthié et consorts quelques jours plus tard mais la rencontre de l’équipe de France, dont il portera 67 fois le maillot (pour 25 essais et toujours le record d’essais en Coupe du Monde), face à la Nouvelle Zélande est restée, selon les observateurs avertis, le « plus grand match de l’histoire de la coupe du Monde de rugby ». C’est dire à quel point le meilleur élève du cadrage débordement d’école, avec ses jambes de feu, inscrivit son nom tout en haut du tableau du sport français.
« L’écoute et le partage »
L’entraîneur du Stade dijonnais, Benjamin Noirot, a croisé Christophe Dominici sur les pelouses de l’Hexagone : « Lorsque j’évoluais à Biarritz, j’ai joué plusieurs fois contre lui lors des matches de poules mais aussi en phase finale. C’était un joueur qui avait la faculté, grâce à sa vitesse et son talent, de décanter des situations. Il sentait les coups, il avait la vista… C’était un petit gabarit, teignous, qui avait de l’élégance. C’était un joueur intelligent. Dans des contextes difficiles, particuliers, il réussissait à tirer son équipe vers le haut. On ne peut que lui dire bravo ! »
Mais l’ancien talonneur du RC Toulon (la ville natale de Christophe Dominici), qui souleva lui aussi deux fois le bouclier de Brennus, conserve « encore plus l’image de l’homme que du joueur » : « Comme beaucoup de rugbymen, il avait une vraie sensibilité, une curiosité, l’amour de l’humain, tout cela avec une bonne dose d’humour, de taquinerie. Il était toujours reconnaissant des belles choses et c’était toujours plaisant d’échanger avec lui ». « Je me rappelle ainsi d’une troisième mi-temps on ne peut plus agréable avec lui, lorsque j’entraînais Macon et que nous avions failli nous imposer à Bourgoin. Cet amoureux du beau jeu nous avait félicité. Nous avions discuté de rugby mais aussi de bien d’autres choses », se remémore-t-il, tout en louant « l’écoute et le partage » incarnés par le « grand homme » de Twickenham.
Des valeurs qui lui sont chères également et qu’il n’a de cesse de transmettre à ses joueurs, dont il espère qu’ils « ont regardé le bel hommage rendu à Christophe Dominici ». « Dans une carrière de joueur, nombre de facteurs sont à prendre en compte : il faut être bien accompagné, conserver les pieds sur terre, se préserver, appréhender la médiatisation. Un psychologue devrait, selon moi, être présent dans chaque club. La préparation mentale est nécessaire et pas que pour la performance. Il faut que l’humain soit bien pour que la performance suive », analyse l’entraîneur du Stade dijonnais, qui, après un mois de confinement, a revu ses troupes le 1er décembre pour la reprise de l’entraînement. Le rugby français retrouve les terrains… sous les yeux, qui sait, de Dominici… qui doit avoir lui, on l’espère, retrouvé son mythique cheval ailé. Bon vent Domi !
Camille Gablo