C’est comme directeur de recherche à l’INRA que Philippe Lemanceau a porté le projet d’alimentation durable à l’horizon 2030. Celui-ci a été retenu en janvier 2018 par le gouvernement dans l’appel à projets Territoires d’innovation de grande ambition. Depuis, Philippe Lemanceau a été élu sur la liste de François Rebsamen. Et c’est comme vice-président de Dijon métropole que ce scientifique répond dorénavant à nos questions sur l’origine, l’état d’avancement et les enjeux de TIGA…
Dijon l’Hebdo : Qu’est-ce qui a fait que le projet d’alimentation durable à l’horizon 2030 de Dijon a réussi à être retenu parmi les 24 lauréats de l’appel à projets « Territoires d’innovation de grande ambition ?
Philippe Lemanceau : « Dijon avait de nombreux atouts. Nous avions tout d’abord un bon concept de départ : le mieux manger permet le mieux produire et le mieux produire permet le mieux manger. Qu’est ce que cela signifie ? Cela veut dire que si l’on mange mieux, on va vouloir consommer de meilleurs produits, des produits d’origine locale et, à partir de ce moment-là, nous allons promouvoir la production agricole de meilleure qualité. Et celle-ci va en retour augurer d’une meilleure consommation. C’était l’idée de départ et, dans un tel projet, l’idée est capitale. Pourquoi cette idée a pu germer ? Parce qu’ici, à Dijon, nous avons un contexte exceptionnel et je ne dis pas cela par chauvinisme. Il est exceptionnel parce qu’il y a une très forte volonté de la métropole. Avant même qu’elle ne porte ce projet TIGA, celle-ci avait déjà engagé et affiché un Plan alimentaire. Nous avons aussi l’avantage de posséder un tissu économique et d’innovation tout à fait favorable avec Vitagora, la FoodTech, Seb, Dijon Céréales, etc. Au niveau académique, nous avons des forces en présence qui couvrent à la fois les aspects socio-économiques du territoire, les aspects agroécologie et les aspects alimentation : le centre INRAE (Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement), l’Université de Bourgogne, le CHU Dijon Bourgogne… Nous avons aussi tout le tissu social et associatif. Au-delà de tout cela, il y a eu la volonté des hommes et des femmes de vouloir travailler ensemble pour agréger un beau projet. Cela a bien marché dès le départ. Nous nous sommes serrés les coudes et nous avons réalisé une feuille de route ambitieuse ».
DLH : Vous aviez présenté il y a 4 ans une version plus édulcorée de ce projet de territoire au ministre de l’Agriculture de l’époque, Stéphane Le Foll, qui était un adepte de l’agroécologie. Il vous a fallu le soutien de Dijon métropole et de son président François Rebsamen pour qu’il puisse enfin bénéficier des soutiens étatiques…
P. L : « L’approche étant territoriale, la métropole a pris naturellement la coordination de ce projet, ce qui était tout à fait logique eu égard déjà aux nombreuses réalisations de François Rebsamen dans le domaine. Nous avons alors réussi à embarquer dans cette aventure le monde économique, le tissu associatif, le milieu académique et les collectivités territoriales. Il a fallu ensuite fixé un cadre. Nous avons commencé par des comités restreints qui ont été le ferment de la réflexion. Celui-ci s’appelle désormais le comité organisationnel. J’assurais pour ma part la direction scientifique. On comprend bien qu’une transition alimentaire est forcément favorable pour l’environnement mais l’on voulait démontrer que celle-ci est aussi favorable pour développer l’activité économique du territoire et pour favoriser la cohésion sociale. Le véritable pari étant ainsi d’intéresser les acteurs économiques, qu’ils se sentent investis et qu’ils s’investissent. Ce pari est réussi parce que, sur l’ensemble du projet, en terme d’investissements, nous avons 25 M€ issus du secteur privé. Cette somme atteste de leur intérêt ».
DLH : Faire de Dijon une véritable vitrine de l’agroécologie tout en créant un modèle économique viable pourvoyeur d’emplois. Est-ce là votre vision de la croissance durable ?
P. L : « Nous avons en réalité proposé un pilote au niveau de Dijon où les acteurs économiques peuvent tester s’ils peuvent changer leur image de marque et avoir des retours sur investissement. Si cela marche ici, leur investissement pourra être revaloriser sur d’autres territoires. C’est un véritable pari qui a été fait mutuellement. Ce projet est ainsi au bénéfice des acteurs économiques mais aussi des citoyens ».
DLH : Comment allez-vous impliquer les habitants de la métropole ?
P. L : « La dimension usager est très importante. Il faut que le citoyen en trouve le bénéfice aussi bien dans la qualité de son alimentation, de son environnement que, d’une façon plus générale, dans les relations sociales. Ce n’est pas anodin parce que nous sommes dans une société où les gens sont de plus en plus tendus entre eux. C’était avant le Covid, autrement dit il y a un siècle, mais l’on constatait à l’époque que l’une des populations majeures sinistrées par le suicide n’était autre que les agriculteurs. Ceux-ci ont le couteau sous la gorge eu égard à leurs forts investissements. Les prix n’étant pas dans le même temps terribles, ils ne s’en sortent pas financièrement. Ajoutons à cela qu’ils ont presque honte de dire qu’ils sont agriculteurs car ils sont mis au ban de la société en considérant que ce sont des pollueurs publics. Le projet que nous proposons permettra une revalorisation financière de leur travail, avec des augmentations de prix minimes puisque ce projet est au service de tous. Et c’est une différence majeure avec les écologistes qui ne promeuvent que le bio ! Dans le même temps, cela permettra aussi une revalorisation du rôle social des agriculteurs. Un label Dijon Agroécologie verra le jour. Un flash code permettra d’en savoir plus sur les produits. Comme c’est du local, nous serons dans un climat de confiance ! »
DLH : Comment allez-vous tenir compte des desiderata des citoyens ?
P. L : « L’avis des usagers est essentiel. C’est vrai dans le projet TIGA mais c’est aussi vrai plus largement. La démocratie participative est capitale à mes yeux. Comment associe-t-on les citoyens, comment donnent-ils leur avis et, dans le même temps, comment en tenir compte ? Nous avons beaucoup réfléchi sur TIGA en terme de gouvernance et nous avons placé un comité des usagers, avec différents collèges : agriculteurs, acteurs économiques, acteurs associatifs, etc. Nous ferons une synthèse pour trouver un compromis acceptable par tous. Dans la même veine, j’ai toujours été favorable à un observatoire. Nous mettrons en place des indicateurs compréhensibles et faciles d’accès pour mesurer les retombées de TIGA sur l’environnement, le développement économique et la cohésion sociale. C’est un changement de paradigme ! »
DLH : Il y a quelques années encore, agriculture et urbanité pouvait apparaître comme un oxymore. Il n’empêche, l’agriculture périurbaine doit surmonter encore nombre de difficultés. Comment allez-vous les surmonter ?
P. L : « L’agriculture urbaine n’est pas facile car, précédemment, les plans d’urbanisation ne se faisaient pas dans une logique du respect des zones les plus fertiles. Mais c’est aussi un retour aux racines de notre territoire. Sur Dijon, nombre de secteurs faisaient de l’excellent vin dans les siècles précédents. Ce vin était même plus réputé, à l’époque, que celui autour de Beaune. François Rebsamen avait été visionnaire en replantant de la vigne sur le plateau de la Cras qui était, sous son prédécesseur, destiné à l’urbanisation. Le cadre était favorable et nous avons pu constater des progrès majeurs dans les plans d’urbanisation pilotés par François Rebsamen et Pierre Pribetich. On voit bien là aussi une différence majeure avec les écologistes qui disent : il faut plus d’arbres dans la ville, il faut étaler la ville… Si tel était le cas, il ne resterait plus de terres agricoles. Et quelques arbres supplémentaires dans la ville, c’est sans commune mesure avec des sols agricoles à proximité de la ville en terme de capture de carbone. Nous avons une vraie différence philosophique de conception de la ville ».
DLH : Dix ans pour mettre en place un système complet d’alimentation durable, c’est court. Il faut donc agir avec célérité. Où en êtes-vous aujourd’hui ?
P. L : « La charte de gouvernance a été signée. Les actions prévues pour TIGA vont être engagées ce mois-ci. Nous allons identifier des points prioritaires afin d’avoir des démonstrateurs de succès rapidement. Je présenterai prochainement le projet de légumerie. Tous les voyants sont au vert pour que cela démarre. Même si nous sommes ennuyés avec le Covid-19 qui ne facilite pas le relationnel… c’est parti ! »
Propos recueillis par Camille Gablo
« L’alliance des territoires »
Dijon l’Hebdo : Porté par Dijon métropole en partenariat avec 5 communautés de communes à l’origine, le projet TIGA a-t-il pour but de créer des passerelles entre les territoires en matière d’alimentation durable ?
Philippe Lemanceau : « Ce projet porte en lui l’alliance des territoires. Ainsi, dans la gouvernance, aurons-nous un comité des territoires associés. Comment les territoires peuvent-ils interagir ? Comment chacun peut-il en tirer des bénéfices réciproques ? Nous sommes par exemple en train de voir avec le Châtillonnais comment les producteurs de viande de bonne qualité – nous avons là haut des bêtes exceptionnelles, qui sont en plein champ, du bien être animal, etc. – peuvent trouver leur compte et que nous puissions nous offrir cette qualité aux élèves des écoles dijonnaises. Tous les territoires pourront en bénéficier ! »