Et maintenant ?

Dijon l’Hebdo : Votre élection en 2001 avait traduit, de la part des Dijonnais, une volonté de renouvellement, une aspiration à un nouveau départ, une demande de rupture générationnelle. Près de 20 ans plus tard, les conditions ne sont évidemment plus les mêmes. Qu’est-ce qui a motivé cette fois votre engagement pour un quatrième mandat ?

François Rebsamen : « Je voudrais tout d’abord remercier les Dijonnaises et les Dijonnais qui ont manifesté leur attachement à leur maire dans des conditions cette fois bien particulières. La confiance, c’est ce qui permet à un maire d’avancer et d’agir. Et cette confiance que l’on m’a accordée une nouvelle fois signifie peut être tout simplement que les Dijonnais aiment leur maire. Ils l’aiment parce que lui-même les aime. Tous. Et parce qu’il y vit, il vit avec eux, parmi eux. Il connaît leurs difficultés. Les Dijonnais, comme tous les citoyens de notre pays, savent que leur maire est un rempart, un pilier de la vie démocratique. Qu’il est le premier interlocuteur vers qui se tourner.

Les Dijonnais le savent, nous avons fait beaucoup de chemin ensemble et réalisé beaucoup de choses depuis le début du siècle. Je me suis battu pour tous les projets de notre ville, pour son grand hôpital public, le CHU François-Mitterrand dont je préside le conseil de surveillance, pour engager le projet de la cité internationale de la Gastronomie et du Vin, pour obtenir la création d’une école de gendarmerie qui est désormais la première de France, pour que notre ville accède au statut de métropole… Je me battrai encore sur tous les fronts quelque soit les gouvernements en place pour défendre la ville de Dijon et ses habitants.

Les temps ont changé. La ville a changé. Il faut désormais prendre une nouvelle et forte orientation dans la lutte contre le réchauffement climatique. C’est incontestablement cela qui m’a le plus motivé. On a déjà fait beaucoup de choses mais il faut passer à la vitesse supérieure. Nous allons le faire en expliquant clairement notre démarche ».

 

DLH : Le 4 juillet dernier, le conseil municipal a installé le maire et les adjoints. A quoi ou à qui pensiez-vous au moment où vous vous êtes dirigé vers la tribune pour ceindre l’écharpe tricolore ?

F. R : « Je pensais à mon histoire, donc à moi. Une histoire qui est en réalité une histoire collective. Je pensais à toute cette génération que je viens d’amener aux responsabilités et qui, sûrement, me succédera avec, je l’espère, les valeurs qui nous ont rassemblés. Vous comprendrez pourquoi j’ai d’autant plus apprécié ce moment ».

 

DLH : 19 ans après, dans un exercice où le rodage ne s’impose plus, l’émotion était-elle encore là ?

F. R : « Elle était moindre mais quand même bien présente. Sûrement plus que la fois précédente. Avait-elle l’intensité de la première fois ? Non ! C’est comme le premier amour, on s’en souvient toujours ».

 

DLH : La benjamine de l’assemblée qui exerce le métier d’infirmière, c’est tout un symbole ?

F. R : « J’étais très heureux que Mélanie Balson ait pu être présente à nos côtés. C’est la dernière femme élue sur notre liste. C’est formidable qu’à 23 ans on puisse non seulement consacrer sa vie à un métier formidable au service des autres mais aussi adhérer et participer à un groupe politique dont les valeurs sont également empruntes d’humanisme, de bienveillance et d’altruisme dont nous avons tous besoin. Elle incarne cette période très compliquée que nous avons vécue entre le premier et le second tour. A travers elle, je tiens à rendre hommage à tous les personnels médical et soignant de notre CHU Dijon Bourgogne, aux médecins généralistes, spécialistes, aux infirmiers de ville, aux aide-soignantes, à tous ces personnels médicaux et socio-médicaux qui ont été, selon la formule consacrée, en première ligne durant la crise de la Covid.

Je nous souhaite d’être à la hauteur de ce que peuvent attendre tous les jeunes qui, comme elle, quelles que soient leur condition et leur milieu social, croient en leur avenir ».

 

DLH : Considérez-vous que la dernière campagne aura été la plus dure de toutes celles que vous avez menées ?

F. R : « Peut être pas la plus dure. La première campagne, très serrée, l’a été beaucoup plus. Violente même sous certains aspects. Jean-François Bazin était un vrai combattant. Cette dernière campagne aura été pénible par sa longueur, par les événements qui se sont succédé et par la pauvreté du débat politique ».

 

DLH : Et que répondez-vous à ceux qui vous reprochent de n’avoir été élu que par 11 746 Dijonnais ?

F. R : « C’est vrai. Moi même je trouve que ce n’était pas assez mais les conditions étaient particulières. Il y a encore beaucoup de gens qui ont peur de la Covid et qui ont préféré ne pas se déplacer dans les bureaux de vote. D’autres qui pensaient que j’allais être réélu automatiquement. Personne ne peut remettre en cause la légitimité des maires élus.

J’espère très sincèrement que cette élection qui a vu les maires de l’immense majorité des communes élus ou réélus avec un taux de participation très bas ne signe pas là le déclin démocratique local mais, au contraire, nous saurons lors des prochains scrutins relever le défi d’une meilleure participation dans des conditions beaucoup plus normales. Pour ma part, une nouvelle fois, je serai le maire de tous les Dijonnais quelque soit leur origine et leur histoire, à l’image de notre liste, qu’ils soient nés dans notre ville ou qu’ils l’aient choisie. Le pari de cette décennie nouvelle sera de savoir concilier les enjeux sociaux, économiques, éducatifs, environnementaux pour une croissance sûre, partagée et juste ».

 

DLH : Votre opposant de droite annonce qu’il s’inscrira dans une opposition constructive. C’est plutôt une bonne nouvelle après une campagne électorale très agitée dans la dernière ligne droite ?

F. R : « Vous pouvez dire de droite et d’extrême… Après, je ne porte aucun jugement. Simplement, si sa vision de la ville c’est de bloquer les projets comme la Cité internationale de la Gastronomie et du Vin, penser que la sécurité des personnes relève de la police municipale et que toute construction, c’est du béton, on ne va pas aller loin. Je suis très heureux qu’il n’a pas pas été élu parce que cela aurait été une catastrophe pour les Dijonnaises et les Dijonnais ».

 

DLH : Dans l’ensemble, la gauche ne s’est pas trop mal sortie de ces dernières élections municipales ?

F. R : « Oui. C’est cette gauche qui met les mains dans le cambouis et qui gère bien. C’est d’ailleurs comme ça que j’imaginais la gauche de gouvernement, sociale et écologique, social-démocrate et européenne, rassembleuse, pas sectaire, ouverte sur le monde… C’est ça que je pense symboliser sur Dijon et cela correspond d’ailleurs à l’esprit de la ville aujourd’hui ».

 

DLH : Même si ce n’est pas le cas à Dijon, les municipales ont montré que pour l’emporter, socialistes et écologistes sont désormais obligés de s’entendre. Cette situation est-elle à même de redessiner la gauche avant les prochaines échéances électorales ?

F. R : « Je n’aime pas parler d’entente sans qu’on ait, au préalable, des discussions programmatiques. J’avoue qu’à Dijon, je ne comprends pas pourquoi les écologistes n’ont pas conclu d’accord avec moi. D’autant que tout ce qu’ils proposaient, c’était déjà dans mon programme. Je crois tout simplement qu’ils avaient le besoin de se retrouver. C’est une bande de copains qui s’entend bien. Mais ce n’est pas comme ça qu’on gère une ville.

Demain, oui, il faudra que les écologistes et les socialistes, les socio-démocrates se rassemblent. Mais pour se rassembler, il convient d’établir un programme en commun. Pas un programme commun. J’insiste : un programme en commun. C’est à dire ne pas hésiter à opposer nos visions. L’union est un combat. Personnellement, je ne suis pas pour une écologie sectaire, une écologie dogmatique, une écologie qui impose. Je suis pour une écologie de la compréhension. Une écologie des solutions qui favorise une croissance sûre et responsable. Le progrès est encore à venir pour l’humanité. Je ne suis surtout pas un décliniste. Il faut en débattre avec les écologistes. Certains d’entre eux sont d’ailleurs sur cette ligne là. Ce sont des écologistes qui assument leur responsabilité. Il y en a d’autres qui préfèrent fuir ces responsabilités pour se retrouver entre eux. Malheureusement, j’ai l’impression que c’est ce qui s’est passé à Dijon ».

 

DLH : A Dijon, vous laissez néanmoins la porte ouverte aux écologistes bien qu’ils aient présenté leur propre liste en mars dernier ?

F. R : « Cela ne se sait pas mais j’avais fait, en son temps, des propositions aux écologistes. Des propositions bien plus intéressantes et importantes que celles que Catherine Trautmann a accepté à Strasbourg. Elle avait fait un score bien plus important que celui des écologistes ici à Dijon et pourtant on lui a juste proposé un poste d’adjoint et de délégué qu’elle a pris dans l’intérêt du rassemblement. Mes propositions étaient bien meilleures mais ils les ont déclinées. Ils sont dans le refus d’assumer leurs responsabilités. Il est vrai qu’il est plus facile d’occuper le ministère de la parole que d’être dans les actes ».

 

DLH : Dans tous les cas, ils ne seront pas insensibles à votre souci de faire de Dijon un laboratoire de la sociale-écologie ?

F. R : « Nous sommes déjà un laboratoire de la sociale-écologie et ils le savent très bien. On est candidat pour être capitale verte européenne. Nous figurons parmi les quatre finalistes. Ils me parlent toujours de Grenoble mais il semblent oublier que j’ai signé un appel avec le maire de Grenoble. La réalité, c’est qu’à Dijon les écologistes sont gênés par la présence d’un maire écologiste. S’ils étaient vraiment à chercher des solutions, ils seraient avec nous comme ils l’ont été pendant 20 ans ».

DLH : Pensez-vous que les alliances LREM-LR qu’on a pu voir ici ou là marquent le retour du clivage gauche/droite ?

F. R : « Attendons de voir… Vous savez, dans ce pays, tout passe malheureusement par les élections présidentielles. Ce que j’ai constaté, c’est que partout où En marche apportait son soutien à des Républicains, c’était une sorte de poignard planté dans le dos. A chaque fois, les candidats LR qui ont fait alliance ont été battus. Regardez Bordeaux : la fusion LREM-LR a fait des dégâts. Personne ne pensait que la ville basculerait du côté des écologistes. L’électorat d’En Marche n’est pas un électorat forcément compatible avec les Républicains. C’est un électorat de centre droit ou de centre gauche selon les endroits. La magouille électorale se paie cash. On l’a vu ici à Dijon avec ce transfuge du parti socialiste soutenu par LREM et qui a appelé à voter pour la droite… ».

 

DLH : Quels sont maintenant les principaux dossiers que vous allez traiter au plus vite dans l’intérêt des Dijonnais ?

F. R : « Il y a une triple urgence : sociale, économique et écologique. Sans oublier, avant tout, une urgence financière. Car Dijon et toutes les villes de France sont aujourd’hui asséchées financièrement par le trou créé dans le service des transports. A la Métropole, cela va représenter une perte d’environ 20 millions d’euros. Pour la ville, c’est un gros trou d’air qu’on va surmonter plus facilement. Avec France urbaine (1), nous sommes en discussion avec le gouvernement pour savoir comment tout ce qu’on a perdu pourra être compensé pour ne pas compromettre nos capacités d’investissement.

Aujourd’hui, et je pense aussi longtemps que nécessaire, il est primordial d’accompagner les habitants les plus fragilisés dont le quotidien s’est profondément dégradé. C’est pourquoi, au conseil municipal du 10 juillet, je proposerai à notre nouvelle assemblée un grand plan d’urgence sociale au profit des citoyens les plus vulnérables. Parallèlement, nous devrons mettre toutes nos forces dans la balance pour relancer la machine économique, soutenir le tissu de nos entreprises locales, aider les commerçants, permettre aux 580 points de restauration de repartir, accompagner le monde associatif, préserver les acteurs culturels frappés de plein fouet. La piétonnisation du tour des Halles, c’est d’abord une mesure prise pour aider nos restaurateurs à étendre leurs terrasses, retrouver leur niveau d’activités et leur permettre de s’en sortir.

Ce qui nous attend est très difficile mais Dijon, avec ses élus, ses habitants, toutes ses forces vives, saura, j’en suis sûr, relever ce défi. La politique, ce sont des convictions et ma conviction, c’est qu’il est indispensable de soutenir et de défendre le pouvoir d’achat, l’écologie urbaine, l’économie et l’attractivité de Dijon.

L’urgence écologique, quant à elle, c’est le champ de panneaux photovoltaïque qui va être installé sur l’ancienne décharge, des bus à l’hydrogène qu’il faudra acheter… Et, comme maintenant, le symbolique prime sur le travail de fond, c’est à dire faire croire que c’est mieux de planter un arbre que d’installer le réseau de chauffage urbain, on va aussi assurer la plantation de quelques arbres au centre ville. On mettra aussi des fontaines à eau pour le cas où la canicule reviendrait… »

Propos recueillis par Jean-Louis Pierre

 

(1) France urbaine est une association de collectivités qui incarne la diversité urbaine et promeut l’alliance des territoires. Portée par des élus de toutes tendances politiques, l’association est composée de 104 membres. Elle regroupe les grandes villes de France, les métropoles, communautés urbaines et communautés d’agglomération, et représente 2000 communes de toutes tailles dans lesquelles résident près de 30 millions de Français. François Rebsamen est co-président de la commission Finances de France urbaine.