Hiver 1893. Le peintre Pierre Bonnard, âgé de 26 ans, s’éprend d’une jeune femme disant s’appeler Marthe de Méligny : « 16 ans, orpheline, travaillant dans les fleurs ». Il lui faudra attendre le 13 août 1925, jour de leur mariage, pour découvrir, après plus de trente ans de vie commune, que son modèle favori de deux ans sa cadette, s’appelle en réalité Maria Boursin, qu’elle n’est pas la fille naturelle d’un aristocrate, mais d’un menuisier du Berry.
Pierre Bonnard fait fi des mensonges. Marthe continue « d’habiter son oeil ». Nue, à demi déshabillée, en jupon, au miroir, sur un lit, visible et impalpable, elle irradie ses toiles de peintre virtuose de la lumière et des couleurs
Françoise Cloarec, psychanaliste et peintre (spécialiste de Séraphine de Senlis et de Storr, le cantonnier parisien, deux magiciens de la peinture) mène l’enquête sur le mystère Marthe Bonnard, cherche à comprendre la nature des relations du couple, la neurasthénie de Marthe et sa misanthropie de plus en plus marquée jusqu’à écarter progressivement les amis peintres, Vuillard, Matisse, Signac…
Françoise Cloarec nous apprend que Marthe Bonnard ne fut pas dénuée de talent comme peintre sous le nom de Marthe Solange, et nous montre Pierre Bonnard sans cesse préoccupé de la santé de sa compagne « éternellement malade… qui traîne ses maux, ses persécutions, ses sautes d’humeur ».
Peintre du bonheur et de la lumière, peintre du jaune et du soleil, Pierre Bonnard cache derrière les couleurs éclatantes et chaudes « ses fantômes et ceux de sa femme ». Ensemble, ils n’auront pas de descendance mais ils feront une oeuvre.
A la mort de Pierre Bonnard, veuf depuis cinq ans, leur histoire d’amour déclenche une affaire judiciaire retentissante, émaillée de nombreux rebondissements car celle qui se prétendait orpheline avait une famille nombreuse ayant des prétentions sur l’oeuvre, immense et célèbre, de son époux.
Le procès débouche sur une jurisprudence relative au droit moral des artistes : désormais toute oeuvre appartient intégralement à son auteur tant qu’elle n’a pas été vendue ou cédée (décision de la cour d’appel d’Orléans du 18 février 1959).
Les dissimulations de Maria/Marthe auront fait changer la loi. « L’art a gagné quelque chose d’important : les règles du régime matrimonial changent. L’artiste peut, jusqu’au partage, modifier sa création et même la supprimer ».
On peut avec intérêt compléter la lecture du passionnant ouvrage de Mme Cloarec en acquérant l’ouvrage de Guy Goffette « Elle , par bonheur et toujours nue » ainsi que l’essai de Jean Clair « Pierre Bonnard » (chez Hazan).
Pierre P. Suter
L’indolente
Le mystère Marthe Bonnard
par Françoise Cloarec
Chez Stock