Il est des artistes qui se nourrissent de leurs voyages. Intérieurs et extérieurs. Martine Bouquerel faisait partie de ceux-là… avant que le Covid-19 ne dessine un autre tableau planétaire. Précédemment à la pandémie, elle a parcouru le monde en solitaire. Enfin pas tout à fait puisque ses pinceaux et sa boîte d’aquarelle l’accompagnaient… Carnet de voyages artistiques du monde d’avant.
Elle voyage en solitaire… mais pas vraiment : elle a le monde pour fenêtre et va à la rencontre de tous. Septuagénaire, Martine Bouquerel a pris son bâton de pèlerin il y a près de trente ans pour des voyages encore multipliés à l’âge où d’autres aspirent à une retraite tranquille.
Elle part avec son sac à dos, son papier, ses pinceaux, une boîte d’aquarelle, prend des bus incertains, parfois un train mais marche à pied essentiellement sur les chemins de terre. La liste des pays qu’elle a hantés est longue. La France bien sûr, l’Italie, la Slovénie, les Pays Bas, l’Andalousie, le Portugal, la Suisse, l’Ecosse, l’Irlande, l’Allemagne, l’Autriche, la Hongrie, la Norvège et plus loin Djibouti, la Turquie et encore plus loin, le Canada, l’Azerbaïdjan, l’Ouzbekistan, la Géorgie, l’Arménie, la Mongolie, Taïwan, Singapour, le Costa Rica, la Thaïlande, la Corée où elle est allée de monastère en monastère, la Chine et le Japon. Grandes étapes spirituelles aussi, Compostelle et Jérusalem après un parcours de deux mois.
De ces voyages, elle restitue les atmosphères, la mer, les plaines de Slovénie en longs aplats d’aquarelle. Elle voyage à pied pour avoir la lenteur du cheminement, pour être dans le paysage. Dit qu’on ne le connait vraiment qu’au bout du bâton. Ses errances sont une ouverture au monde, une adaptation à ce qui arrive, des rencontres qui la marquent dans ses peintures qui sont comme un art de l’ellipse.
En Chine, c’est la calligraphie qui l’attire. Elle se donne alors deux mois pour en saisir l’essence et travaille avec des peintres chinois avec le sentiment que ce qu’ils faisaient allait se retranscrire dans ses aquarelles, avec la même légèreté et la continuité de la ligne, avec une danse du trait en quelque sorte. Elle s’imprègne de cette culture du geste, du lavis, du plein et du vide qui structurent toute peinture de paysage dans une recherche constante de l’harmonie et de l’équilibre.
C’est le chemin qui compte
Elle reste finalement un an à Shangai, va dans les montagnes du sud-ouest, rencontre d’autres peintres, dont un jeune calligraphe avec qui elle reste deux semaines, et qui l’influencera par la pureté de la ligne. Comme eux, elle part d’un détail traditionnel pour atteindre l’essentiel, la ligne toujours comme une spirale, comme une quête d’absolu. Sur ces carnets, elle essaie d’engranger le maximum d’impressions. Le papier est lourd dans son sac, plus de treize kilogrammes. Qu’importe… elle marche, toujours en quête d’émotions, de rencontres avec des artistes comme avec le paysage.
En Norvège, elle reste une semaine dans la taïga, amoureuse de la verticalité des formes, des bouleaux partout, du ciel immense.
Au Japon, elle va en quête de maître Akeji, un peintre célèbre qui l’a marquée. Au terme du voyage, elle apprend qu’il est mort. Qu’importe, c’est le chemin qui compte, l’intérieur, celui que l’on découvre avec soi-même : « Mes voyages et ma peinture sont mêlés, se complètent et s’alimentent. Il m’est impossible de penser que ma vie puisse se passer de ces échappées entre réel symbolique, imaginaire, intime et sacré ». Après le voyage, il y a la restitution. Il y a à découvrir… et puis revenir.
Sa maison de Chorey-lès-Beaune a comme elle une histoire. C’est l’ancien prieuré de l’église, accolé à cette dernière. Elle l’a restauré entièrement pour en faire ce havre de paix et de travail où elle vit seule, par volonté d’indépendance. L’épithète qui s’impose est celle de chaleureuse, avec ses plafonds de poutraisons, ses meubles de bois patinés, sa cheminée entourée de vastes fauteuils. Et partout les souvenirs de ses voyages.
L’atelier est à l’étage, sur une mezzanine, l’armoire débordante de papiers, les murs dédiés aux aquarelles, les pinceaux alignés au mur, la table de travail avec les flacons d’encre et partout, les esquisses, les peintures en cours.
Dans ses aquarelles que l’on pourrait dire abstraites, il a toujours un détail qui rappelle la peinture figurative. Ainsi l’aigu d’une flèche d’église dans l’aquarelle sur le mont Saint-Michel.
Elle retrouve l’art des pigments qui se repoussent et s’inscrivent dans un espace blanc. Souvent, elle travaille sur un même sujet en de multiples exemplaires, toujours dans cette quête croisée du geste du pinceau et de l’infini des impressions.
Son art ? La légèreté, les couleurs étirées jusqu’à la transparence, l’essence même des paysages, une forme d’abstraction née de la calligraphie autour d’un trait, d’un souvenir précis. Des paysages qui appellent à la contemplation et où parfois, c’est la couleur qui donne la forme qui, elle-même, peut venir de la tenue du pinceau.
Un art de l’épure et de la sensation, comme une passion d’aller de par le monde. « Ce qui importe, dit-elle encore, c’est d’entrer en relation, de l’espace à l’intimité de l’âme ».
Ses expositions : elle ne peint pas pour exposer mais pour répondre à une exigence intérieure et choisit ses lieux d’exposition. On peut citer diverses galeries parisiennes, l’Institut hongrois, la Biennale internationale d’aquarelles en Slovénie, des villages autour de Beaune, dont l’église des Templiers à Echarnant et Levernois en 2019.
Marie-Claude Pascal