Film français de Claude Miller d’après le roman Ce mal étrange de Patricia Highsmith et récit de Clémentine Autain en hommage à sa mère Dominique Laffin.
En 1976, Claude Miller, ancien assistant de François Truffaut, fait une entrée fracassante dans le cinéma français avec La meilleure façon de marcher. Suivront quatre long-métrages tout aussi exceptionnels : Dites-lui que je l’aime, Garde à vue, Mortelle randonnée et L’effrontée.
Dans le cinéma de Claude Miller, les acteurs et actrices sont étonnants, prodigieux, excessifs, là où on ne les attend pas. Malgré cette singularité, sous les feux des projecteurs du directeur de la photographie Pierre Lhomme, les comédiens vont parfois par deux, souvent par trois : Patrick Dewaere, Patrick Bouchitey et Christine Pascal dans La meilleure façon de marcher (1976), Gérard Depardieu, Miou-Miou et Dominique Laffin dans Dites-lui que je l’aime (1977), Lino Ventura, Michel Serrault et Romy Schneider dans Garde à vue (1981), Isabelle Adjani et Michel Serrault aux côtés de Guy Marchand dans Mortelle randonnée (1983), Charlotte Gainsbourg, Bernadette Lafont et Jean-Claude Brialy dans L’effrontée (1985). Une décennie en état de grâce avec des acteurs renouvelés venant de tous les horizons, de la Nouvelle Vague au café théâtre.
Parmi ces comédiens, parmi ces comédiennes, Dominique Laffin, « grande brune avec des yeux noisettes », à la voix éraillée, dont la pâleur de la peau - sans doute signe d’une vie nocturne un peu trop intense - prend extrêmement bien la lumière. La jeune femme réussit à imposer sa silhouette singulière et son extrême sensibilité dans le cinéma d’auteur français, huit années durant. Jusqu’à sa mort brutale en 1985, à trente-trois ans.
En 1977, Dominique a le rôle principal dans le premier long-métrage de Jean-Marie Poiré, Les petits calins, une étonnante comédie féministe par le futur réalisateur des Visiteurs (1993). Après un petit rôle dans La nuit tous les chats sont gris de Gérard Zingg, elle enchaine avec Dites lui que je l’aime.
Difficile de d’oublier Dominique Laffin, interprétant la fragile Lise dont est éperdument amoureux le personnage joué par Gérard Depardieu, dans Dites lui que je l’aime. Difficile d’oublier la folie obsessionnelle de Gérard Depardieu, le visage juvénile de Miou-Miou immobile dans le chalet en feu, la diction et le pas heurté de Dominique Laffin, son teint diaphane, ses cheveux fins, le motif récurrent de la piscine comme prison, le temps à rebours, la musique lancinante d’Alain Jomy.
Pourtant cet oubli, c’est sans doute ce que s’est imposé Clémentine Autain, la fille de Dominique Laffin pendant toutes ces années : « Je t’avais rangée, je m’étais arrangée mais il faut toujours que quelqu’un ou quelque chose me ramène à toi, c’est épuisant. Dans ma voiture avec Radio Nostalgie, je revenais d’un enterrement quand j’ai réalisé qu’il y a trente ans, nous t’avions enterré sans un mot. Je n’avais jamais pensé à ce silence pourtant si étrange. »
Clémentine Autain a douze ans lorsque disparait cette mère iconique. Une femme libérée, fantasque et volage. Mais surtout une maman absente, incapable de s’occuper d’une enfant, et pourtant capable de disparaître au milieu de la nuit, abandonnant la petite Clémentine à ses angoisses et sa solitude : « J’ai peur, et la plupart du temps, je ne sais pas bien de quoi. De mon lit d’enfant, j’écoute les bruits, je ne m’endors pas facilement. L’heure tourne mais je n’ai aucune idée de la vitesse à laquelle elle tourne. A un moment donné, il me semble que je n’entends plus rien. Ou plutôt que j’entends un grand silence suspect. Je me lève, j’ouvre la porte qui donne sur le couloir. Personne. J’avance sur la pointe des pieds dans ta chambre. Personne. »
Dans un récit court et intense, aux multiples chapitres, la députée de Seine-Saint-Denis réussit à renouer le dialogue avec cette disparue magnifique au visage solaire, mère dérisoire mais inestimable actrice. Elle rend hommage à la muse d’un cinéma aujourd’hui révolu. Le titre magnifique entre en résonance avec les derniers chapitres sensibles et bouleversants. Avec passion et sans pathos, Clémentine Autain signe un livre superbe et pénétrant qui hantera longtemps nos mémoires de cinéphiles … et ciné-fils (et filles).
Raphaël Moretto
Clémentine Autain, Dites-lui que je l’aime, éditions Grasset 2019, 160 pages, 16€.