Suspense franco-belge de Samuel Tilman avec Fabrizio Rongione, Natacha Régnier, Baptiste Lalieu, Myriem Akheddiou et Christophe Paou.
David est un jeune père de famille comblé : une femme qu’il aime Julie, deux jeunes enfants adorables, une bande de potes très soudée avec laquelle ils partent en vacances en tribu. Mais au retour de leur dernier séjour dans les Vosges, David est interrogé par la police dans le cadre d’un meurtre. Rapidement, l’enquête établit que David, sous des dehors irréprochables, n’avait pas une vie aussi lisse que ce qu’il prétendait. Le doute se propage et des clans se forment.
Le Dixième Festival International du Film Policier de Beaune a permis de réunir vingt ans après, par projection interposée, le trio magnifique de La vie rêvée des anges : le trop rare réalisateur Éric Zonka (un long métrage tous les dix ans) et les comédiennes Élodie Bouchez et Natacha Régnier, double prix d’interprétation à Cannes. Était présenté sur les écrans beaunois, hors compétition, Fleuve noir, dernier thriller de Zonka à la distribution d’exception : Vincent Cassel, Romain Duris, Sandrine Kiberlain, Charles Berling, Hafsia Herzi et (justement) Élodie Bouchez ! La réalisation est une adaptation très cinématographique du roman de Dror Mishani Une disparition inquiétante. Le film ne sort que cet été, et nous aurons l’occasion d’y revenir dans ces colonnes.
A ses côté et en compétition, le suspense psychologique Une part d’ombre, premier long métrage de fiction du documentariste, producteur et scénariste Samuel Tilman, avec Natacha Régnier, actrice qui depuis La vie rêvée des anges, allie fragilité et force avec maestria.
« Quand Samuel m’a proposé le rôle de Julie, confie Natacha Régnier, ce qui m’a intéressée, c’est le dilemme dans lequel plonge mon personnage, et la grande variété de sentiments à travers laquelle il passe. Passer de la femme épanouie à la femme blessée. Être tiraillée entre la colère générée par le mensonge, et la fidélité au père de mes enfants. Il y a de la tendresse entre David et Julie jusqu’au bout, malgré les épreuves. »
Une part d’ombres’empare d’un thème classique du cinéma pour l’aborder sous un angle inédit : ce n’est ni un polar qui nous raconte comment un coupable manipule son entourage, ni un drame qui montre comment un innocent est jugé à tort. Le film propose une voie alternative : chaque geste de David (incarné par le magistral Fabrizio Rongione, un des acteurs fétiches des frères Dardenne) peut être interprété à « charge » ou à « décharge ». Le drame de David devient donc celui de tous les personnages. L’affaire judiciaire nourrit les questionnements humains et interroge les choix de chacun : la fidélité dans le couple ou dans l’amitié, la difficulté de fonder une famille, l’engagement.
La question centrale d’Une part d’ombreest la suivante : comment va réagir un groupe d’amis à la mise en examen pour meurtre de l’un des leurs?Pour le cinéaste, quand dans un fait divers nous n’avons pas d’éléments objectifs pour juger l’autre, notre jugement se nourrit de considérations morales. C’est ce que vont faire tous les personnages, mais c’est également ce que réalise le spectateur qui va douter avec eux de l’innocence de David, mêlant son jugement subjectif à celui des protagonistes. Une des forces du film est également le refus du contrechamp systématique, pour être au plus près de cette vérité impalpable jusqu’au dénouement subtil.
Côté réalisation,Samuel Tilmanchoisitdeux options : le quotidien est filmé en gros plan, avec une caméra à l’épaule proche des personnages : l’aspect de proximité permet de rappeler que tout ce petit monde s’observe en permanence, que les regards se croisent et se scrutent, mais que chacun garde en lui sa vérité cachée. Par effet de contraste, toute la partie en flash-back est filmée en plans larges et fixes. Les paysages montagneux et sauvages des Vosges sont des décors parfaits pour incarner la menace qui pèse sur David. Progressivement, le film tend vers une fixité, la caméra se pose, jusqu’au temps du procès et du verdict. Une part d’ombrenous tient en haleine jusqu’au bout, et le titre du film prend alors tout son sens quand arrive enfin la fin, et son retour en arrière révélateur.
Raphaël MORETTO