Du culte, du culte, du culte !

 

Pourquoi ne pas vous parler dans cette rubrique dédiée au cinéma de la parution vidéo de trois coffrets majeurs de metteurs en scène cultes ? Trois publications remarquables et opportunes, célèbrant à leur manière le polar, avec pléthore d’écrits et de compléments de programme : les fameux « bonus » qui font la fierté des éditeurs et la joie des cinéphiles curieux. Il s’agit de « Henri-Georges Clouzot l’essentiel » publié par TF1 Vidéo, « L’Anthologie Jean-Pierre Melville » chez Studiocanal et enfin le volume 2 de « Costa-Gavras l’intégrale » chez Arte. Soit un hommage rendu à un grand maître du film noir interdit de studio à la Libération ; un ancien membre des Forces françaises libres spécialiste du cinéma américain (qu’il influencera par la suite) ; enfin un réalisateur français d’origine grecque expert en films politiques enracinés dans des faits authentiques.

Oui, pourquoi pas ?

Peut-être parce que Johnny est entré une ultime fois dans la légende des icônes indépassables ? Cette fois-ci sans sa voix de ténor unique, puissante et rocailleuse, mais à grand renfort de guitares, de motos et de Champs Elysées bondées comme un jour de victoire … Devait-on alors céder à la tentation de revoir notre copie, sachant qu’un des premiers papiers écrits pour cette chronique dans Dijon l’Hebdo célébrait déjà Hallyday acteur : ceci à l’occasion de la venue de « l’idole des jeunes devenus vieux » au Festival du film policier de Beaune en 2014.

Cette tentation se révéla en fait étonnamment inutile. Oui, étrangement Johnny pouvait être le lien entre ces trois cinéastes indépassables et essentiels. En effet, JeanPhilippe Smet débuta sa carrière cinématographique à l’âge de douze ans avec une apparition dans Les diaboliques  (1955) du monstre du septième art qu’était devenu Henri-Georges Clouzot. Le film, aujourd’hui un classique, est l’adaptation d’un roman policier de Boileau et Narcejac, auteurs qui inspireront également le Hitchcock de Vertigo : même habileté pour mener un récit policier complexe menant sur une fausse piste, jusqu’à la découverte d’une démoniaque machination. Dans ce premier coffret, les copies superbes, restaurées en 4K, sont indispensables pour s’immerger dans le monde sombre et ambigu, d’un cinéaste ombrageux et colérique, grand angoissé et perfectionniste à l’extrême.

Alors que dans les années soixante, JeanPhilippe Smet devenu Johnny Hallyday enchaine sept films sans grand intérêt après son expérience avec Clouzot, Jean-Pierre Melville envisage en 1969 de le faire tourner dans Le Cercle Rouge au côté d’Alain Delon, Bourvil et Yves Montand. Malheureusement la coproduction franco-italienne impose Gian Maria Volontè dans le rôle de Vogel, le retentissant gangster qui s’échappe des griffes de la police en sautant du train Marseille-Paris. Melville, homme au Stetson, long imperméable et lunettes de soleil, rebelle avant le bon vieux temps du rock’n’roll, avait redéfini les contours du cinéma noir français. À l’occasion du centenaire de sa naissance, dans un écrin solaire pour ses héros solitaires qui ont influencé Scorsese, Michael Mann ou Tarantino, nous redécouvrons ce maître du polar dans un coffret anthologique, regroupant douze films en version restaurée, plus de neuf heures de suppléments et un livre exclusif.

Rendez-vous manqué donc pour notre rock star inaltérable et animale, mythe instinctif et cinéphile, exception culturelle issue d’une belgitude attitude aux consonances anglo-saxonnes : Johnny Hallyday, ami du peuple en perfecto et courtisé par l’intelligentsia bobo, déclencheur d’un Mai 68 cinq ans avant l’heure des pavés et des barricades, chanteur de Sagan et Labro, brûleur de planches avec Tennessee après avoir eu cette volonté de prolonger la nuit. Jamais ringard et toujours culte, il n’aura donc pas tourné avec Melville, mais son virage eighties avec Nathalie Baye lui permet d’être l’acteur de Godard et de Costa-Gavras.

Neuf des derniers films de Costa-Gavras en versions restaurées sont réunis dans ce second coffret d’une belle intégrale, avec huit heures de compléments dont un entretien filmé du cinéaste, un opéra imaginé et mis en scène par Costa lui-même pour le Mégaron à Athènes ainsi que des courts métrages, making of, bandes annonces, interviews et un livret écrit par Edwy Plenel. En 1986, Gavras fit un break dans sa carrière militante et réalisa une comédie nostalgique d’après Francis Ryck : Conseil de Famille. Johnny Hallyday incarne le patriarche, marié à Fanny Ardant, d’une famille de braqueurs. Sans doute un de ses meilleurs rôles, avec ses prestations dans L’homme du train de Patrice Leconte, Jean-Philippe de Laurent Tuel et Vengeance de Johnnie To (hommage à Melville) ainsi que  ses incursions dans le cinéma de Godard et Lelouch. Que du culte !

Raphaël MORETTO

Henri-Georges Clouzot l’essentiel chez TF1 Vidéo : 79 €

Costa-Gavras l’intégrale volume 2 chez Arte : 89 €

L’Anthologie Jean-Pierre Melville chez Studiocanal : 99 €