Biopic américain de Clint Eastwood avec Tom Hanks, Aaron Eckhart, Laura Linney, Anna Gunn et la charmante Autumn Reeser.
Par Raphaël Moretto
Le grand Clint – 86 ans, près de quarante films au compteur en tant que réalisateur, dont les prestigieux et déjà classiques Bird, Impitoyable, Sur la route de Madison, Mystic River, Million Dollar Baby, Gran Torino, Invictus – s’empare de l’histoire vraie du pilote d’US Airways qui sauva ses passagers en amerrissant sur l’Hudson. L’histoire n’est pas sans rappeler Flight de Robert Zemeckis, dont le dernier long-métrage Allies, avec la divine Marion Cotillard et le dit vain Brad Pitt, vient de sortir également en salle, sans beaucoup d’alliés dans la presse française, il faut bien l’avouer…
C’est finalement assez jubilatoire, pour un banal type progressiste comme moi, de défendre Clint Eatswood : vous savez ce gros facho de « Dirty Harry », qui brandissait non pas un karcher, mais son gros calibre sous le nez des racailles de San Francisco ! Le problème avec Eastwood c’est que son œuvre vaut beaucoup mieux que la caricature « pro Trump » que l’on veut bien faire du bonhomme, peu avare en déclarations tonitruantes, et qui pourtant distille un cinéma complexe, voire humaniste, et ce dès sa première réalisation, Un frisson dans la nuit, avec Jessica Walter.
Sully est l’histoire d’une Amérique en souffrance qui souhaite cependant continuer à rêver grâce à des héros aussi modestes qu’inattendus. Une Amérique confrontée au scandale de l’affaire Madoff, à la hausse incontrôlable du chômage, à la crise économique… et à l’investiture d’un certain Obama ! « Toute une époque ! » aurait pu écrire Audiard. Maintenant révolue !
Néanmoins le 15 janvier 2009, le monde a assisté au « miracle sur l’Hudson » accompli par le commandant « Sully » Sullenberger (Tom Hanks impeccable en « monsieur-tout-le-monde », James Stewart n’étant plus disponible…) : en effet, celui-ci a réussi à poser son appareil sur les eaux glacées du fleuve Hudson, sauvant ainsi la vie des 155 passagers à bord. Cependant, alors que Sully était salué par l’opinion publique et les médias pour son exploit inédit dans l’histoire de l’aviation, une enquête avait été ouverte, menaçant de détruire sa réputation et sa carrière.
Le film est une adaptation libre du livre de Sullenberger et Jeffrey Zaslow, Highest Duty, par le formidable scénariste Todd Komarnicki, romancier connu en France grâce à ses polars Free et Famine, deux opus publiés dans la collection Série noire chez Gallimard. Construit avec intelligence et dextérité, le scénario de Sully rend compte d’un récit éclaté présent-passé en même temps qu’il nous fait (re)découvrir des morceaux de vie sous différents angles, éclairant somptueusement la trajectoire du personnage principal entre ombre et lumière, grâce également à Tom Stern, chef opérateur attitré de Clint Eastwood. Le comédien Aaron Eckhart, qui campe le copilote Jeff Skiles, dit avoir été sensible à la construction brillante du scénario : « Entre le moment où l’avion a décollé et celui où il a percuté les oiseaux, il s’est écoulé trois minutes et trente secondes. Comment bâtir tout un film là-dessus ? » Le récit nous révèle ce que les deux hommes, considérés comme des héros aux yeux du monde, ont dû affronter. Et le réalisateur Eastwood transcende les navigations narratives de son scénariste, parvenant à mettre son spectateur dans la peau et dans la tête d’un protagoniste tourmenté, nous entraînant dans le labyrinthe de ses angoisses et de ses passions.
Tom Hanks, pourtant exténué par six années de tournage non stop, ne pouvait passer à côté d’un tel rôle, quasiment « écrit » pour lui. Il incarne avec émotion et détermination un homme qui doit prouver son innocence dans une Amérique encore traumatisée par les attentats du 11 septembre. Un homme qui sait garder son calme et affronter l’adversité sans paniquer, tout en faisant preuve d’un tempérament supérieur à la moyenne. « Personne ne nous a prévenus. Personne ne nous a dit qu’on allait perdre nos deux réacteurs à l’altitude la plus basse de l’histoire de l’aviation. »
Un homme d’une autre Amérique sans doute. Plus Barack que Donald.