« Faire prendre conscience aux décideurs économiques qu’il en coûtera plus cher d’attendre que d’entreprendre, preuve à l’appui », voilà un des objectifs majeurs que les Fédérations des Travaux Publics de Bourgogne et de Franche-Comté se sont fixé dans le cadre de la convention régionale qu’elles organisent le 23 septembre prochain à Beaune. Et Vincent Martin, le président Bourgogne, d’insister dans l’interview qui suit sur « les grands projets structurants qui font défaut alors que certains pourraient être entrepris afin de dynamiser les territoires car les études ont prouvé que les infrastructures favorisent l’implantation d’entreprises. Peu de travaux sont entrepris alors que les taux d’emprunt sont au plus bas dans un contexte où la plupart des communes sont loin d’être surendettées ».
Dijon l’Hebdo : « Comment se présente l’année 2016 ? »
Vincent Martin : « L’année 2016 s’inscrit dans une conjoncture et un contexte difficiles. Difficiles pour nous tous… parce que nous sommes maintenant dans le dur avec la réduction des dotations que l’Etat nous verse. Avec pour conséquence directe : un recul historique de l’investissement local ces deux dernières années. Pour l’OFCE, la baisse des dotations de l’Etat, c’est un demi-point de croissance en moins pour l’économie française. Avons-nous aujourd’hui les moyens de nous priver d’un demi-point de croissance ?
Les années passent… Les difficultés demeurent donc ?
2015 aura été la pire année que nous ayons connue depuis 30 ans. Et ce ne sont pas les quelques frémissements actuels qui laissent entrevoir une sortie rapide du tunnel. Nous subissons -par ricochet- la baisse continue des appels d’offre locaux (je rappelle tous les jours qu’ils représentent la moitié de l’activité de nos métiers et même 100 % pour nos PME) et la chute de nos carnets de commande, et, avec elle, la disparition de nos trésoreries.
Nous sommes entrain de perdre notre capacité à intégrer des jeunes, à les former, à leur proposer une carrière et leur bâtir un avenir. A ce rythme, ce sont autant de compétences qui pourraient disparaître dans les années qui viennent, alors qu’elles sont indispensables sur notre territoire de Bourgogne – Franche-Comté.
Avez-vous le sentiment d’être entendu ?
Les messages que l’on porte depuis de nombreuses années -presque 7 ans- sont identiques. La commande publique a toujours été un phénomène cyclique. Mais ça va quand même mieux dans la mesure où nous concentrons nos propos sur le développement économique et l’aménagement du territoire. Et là, l’écoute est meilleure parce qu’à mon sens on parle de la nécessité de l’investissement public en tant que vecteur de développement économique au bénéfice également des concitoyens.
Peut-on dire qu’élus locaux et entreprises de travaux publics sont engagés dans le même combat ?
Elus locaux et entrepreneurs de travaux publics sont dans le même tunnel. Face à la crise. Face à l’urgence. Les cycles électoraux de ces dernières années ont amené les élus, renouvelés pour grande partie, à intégrer de nouvelles compétences dans le cadre l’exercice de leur mandat. Il en résulte que nombre d’élus ne sont pas suffisamment préparés à l’exercice de la fonction. Ces élus subissent de plein fouet la baisse des dotations. Une baisse trop brutale et trop violente pour leur permettre de se réorganiser, de mutualiser des services, d’identifier des pistes d’économie. Une baisse qui ne laisse aux élus, dans l’immédiat, que peu de marges pour les investissements nécessaires. La Cour des Comptes -elle-même- a reconnu la violence et la brutalité du choc subi, même si il ne s’agit pas de contester que la situation actuelle du pays requiert l’effort de tous.
François Hollande n’a-t-il pas cherché à se montrer rassurant sur ce sujet ?
J’espère vivement que l’annonce du Président de la République ayant pris conscience des enjeux et annonçant une pause, ou à tout le moins un rééchelonnement des baisses de dotations programmées, sera suivie d’effet.
Et vous insistez sur le fait que la réduction des dotations aux communes ne doit pas forcément paralyser l’investissement ?
Absolument. D’abord, tous les guichets ne sont pas fermés. Il y a bien sûr la baisse des dotations d’équipement. Mais pour être juste, il y a également en parallèle :
– l’augmentation de la Dotation d’équipement des territoires ruraux
– celle du Fonds de péréquation pour venir soutenir l’investissement
– il y a aussi les enveloppes de prêts à long terme de la CDC
– Il y a enfin l’égibilité des dépenses d’entretien de voirie au FCTVA que nous avons obtenue de haute lutte à l’automne dernier.
Vous voyez que les élus peuvent compter sur nous pour défendre l’investissement local. Maintenant, ils ne doivent pas hésiter à mobiliser tous ces fonds qui ne demandent qu’à être employés.
Ensuite, les conditions d’emprunt n’ont jamais été aussi favorables. Les taux sont historiquement bas. C’est une chance de pouvoir emprunter à coût nul, ou presque, pour rénover, remettre à niveau son patrimoine d’infrastructures. Cette chance, il ne faut pas la laisser passer.
Quel message fort passez-vous aux élus ?
Investissez-vous ! Le temps n’est pas à l’abandon. La mobilisation doit l’emporter sur la résignation, et nous devons gagner ensemble la bataille de l’investissement. C’est pourquoi je veux dire aux élus : investissez-vous dans les infrastructures.
Investissez-vous parce que nos concitoyens ont des attentes et des besoins.
Un de vos chevaux de bataille, c’est le manque d’entretien des infrastructures…
Il faut bien comprendre que plus on attend pour entretenir les infrastructures, plus la note sera importante. Si défaillances il y a dans les infrastructures, les moyens de communications, que ce soit les routes, les ouvrages d’art, les réseaux comme la fibre optique notamment pour le numérique, il est clair que les investisseurs ou les entreprises qui sont susceptibles de s’installer ne le feront pas.
Si nous n’investissons pas sur nos territoires, on constatera une fuite de l’économie locale. Nous avons un patrimoine d’infrastructures très vieillissant notamment dans les canalisations où là un retard considérable a été pris même si on martèle sans cesse l’urgence d’entretenir le réseau d’eau. Aujourd’hui, en Bourgogne, on évalue les fuites quotidiennes à un million d’euros de mètres cube invendus entre la zone de captage et le robinet. C’est tout simplement catastrophique quand on sait que c’est de l’eau traitée avec des équipements qui ont fait l’objet d’investissements. Autre exemple avec la RCEA, la Route Centre-Europe Atlantique, dont on constate la dangerosité en Saône-et-Loire depuis plus de trente ans. Comment ne pas comprendre la nécessité de mettre cet axe de grande circulation à deux fois deux voies ? Au rythme des décisions publiques, les travaux ne seront pas terminés avant 2030…
La cohésion de notre société et de nos territoires, la compétitivité de notre économie, les impératifs du développement durable exigent que nous mesurions rapidement l’ampleur des besoins et que nous agissions sans délai.
Et vous mettez également en exergue « l’insuffisance de projets structurants qui contribuent au maintien et au renforcement de l’attractivité économique et sociale des territoires »…
Force est de reconnaître que des grands projets structurants font défaut alors que certains pourraient être entrepris afin de dynamiser les territoires car les études ont prouvé que les infrastructures favorisent l’implantation d’entreprises.
Comme les élus, nous souffrons d’un manque général de visibilité. C’est pourquoi nous ne cessons, au niveau de la FNTP, de demander à l’Etat qu’il définisse des orientations claires et durables. Qu’il garantisse la stabilité des règles et la continuité des choix. Nous souhaitons que ce soit un élément essentiel du débat présidentiel qui va s’engager en 2017.
Derrière les inquiétudes légitimes qui sont les vôtres demeure une part d’optimisme ?
C’est un constat : les marges, les opportunités existent. Nombreuses sont les collectivités locales qui ont trouvé les ressources financières, fait des économies, mobilisé des fonds non utilisés, pour relancer l’investissement et concrétiser des projets. Les élus doivent s’investir et investir !
Nous ne sommes ni résignés, ni abattus. Nous sommes aux côtés des élus, combatifs et déterminés. C’est notre nature d’entrepreneurs. Et nos entreprises sont prêtes à mettre à leur service leurs compétences humaines, leurs savoirs-faire techniques, leurs innovations.
Nos territoires fourmillent de projets à réaliser. La nouvelle génération de contrats de Plan Etat-régions 2015-2020 est remplie de projets, notamment de mobilité, qui intéressent les communes, les territoires. Il faut les engager. Maintenant ! Je compte sur les élus pour rappeler au nouvel exécutif régional les engagements et les promesses de campagne.
Mesdames et messieurs les élus investissez-vous dans les infrastructures ! Investissez-vous sans relâche ! Il vous en coûtera plus cher d’attendre que d’entreprendre, au nom de l’emploi, du développement économique et de l’attractivité de nos territoires.
Propos recueillis par Jean-Louis PIERRE
Les Travaux publics Bourgogne – Franche-Comté en chiffres
1,4
milliard d’euros de chiffre d’affaires
1 000
entreprises (dont 80 % de PME au plus proche des territoires)
9 459
salariés en 2015 soit une diminution de 3,8 % par rapport à 2014
253
apprentis en 2015 soit une baisse de 10,6 % par rapport à 2013