Au diable, la propreté des villes ! Le Moyen-Age avait ses pourceaux et ses volailles dans les rues. Aujourd’hui le bestiaire a changé de camp, et les cochons se recrutent parmi le genre humain. On a troqué la queue rose en tire-bouchon et les soies blondes contre les bombes de taggers qui s’imaginent créateurs de nouveaux mondes. Non, cher Alain Souchon, nos cités n’ont rien d’un poulailler d’acajou ! A Dijon, ce sont ainsi environ 600 mètres carrés de murs et façades qui sont nettoyés chaque jour de leurs graffitis. Aux frais du contribuable, bien-sûr.
Reste un autre fléau, un autre rat des villes et des champs : le littering. Ce vocable so british a beau faire très chic, il n’en cache pas moins la réalité assez sordide que constituent nos déchets dits « sauvages ». Le XXIe siècle a remplacé l’authentique et salvatrice faune sauvage par des troupeaux de mégots, des hordes de chewing-gum, des essaims de papiers gras entourant sandwichs ou nuggets, etc. En 2009, lors de la seule Journée mondiale de nettoyage du littoral français, on a ramassé 2 189 252 mégots !
Bref, le littering s’infiltre dans le sable des plages, s’insinue entre les pavés des rues, s’incruste sur les trottoirs, vagabonde au bord des chemins champêtres, sur les bords du lac Kir, ou encore dans les parcs et jardins de Dijon. Quelle sale bête ! Il s’invite même sans y être convié, au coin de la nappe d’un pique-nique… Tout a été tenté pour dissuader ces gestes incivils : Marseille a misé sur l’art plastique, avec une sculpture de mégot géant en Gare Saint-Charles. Bordeaux veut frapper plus fort, avec des amendes atteignant 450 € pour les cas les plus graves.
Une amende de 68 €
A l’automne prochain, la municipalité de Dijon organisera une campagne d’information et de sensibilisation du citoyen-lambda, et affirme vouloir déclencher l’artillerie lourde contre les « insoumis » : tout quidam pris en flagrant délit de jeter un mégot ou un chewing-gum sur le trottoir sera passible d’une amende de 68 €. Bigre ! C’est le prix à payer pour que Dijon reste une ville propre et agréable à vivre.
Reste – et c’est là où le bât blesse – que ces problèmes constituent un sujet politiquement sensible : risquer de perdre la voix d’un électeur sanctionné pour un mégot, pour une crotte de chien sur la chaussée tient parfois de la quadrature du cercle !
Les Suisses, soldats missionnaires de la propreté et pour qui la neige des Alpes ne doit jamais… être sale, ont dressé un bilan de ces comportements et de leurs conséquences. Les chiffres sont parlants. Beaucoup d’entre nous pensent qu’il est normal, anodin de jeter tout et n’importe quoi, par-dessus la portière de sa voiture. Eh bien, non ! Un mégot, même éteint, se révèlera … incendiaire, car il est susceptible de polluer jusqu’à 500 litres d’eau. Si un mouchoir en papier disparaît au bout de 3 mois, une allumette au bout de 6 mois, un mégot sans filtre survivra 3 à 4 mois avant de rendre définitivement l’âme, un mégot avec filtre 1 à 2 ans, un papier de bonbon 5 ans, un chewing-gum 5 ans, une canette en aluminium 200 ans, un sac ou une bouteille en plastique 400 à 500 ans. Plus grave ! Une carte téléphonique connaîtra 1000 ans de purgatoire avant d’entrer au paradis des rayés de la terre. Quant aux piles alcalines ou au lithium Wonder, Energizeer… elles ont une durée de vie éternelle.
Comme quoi, le lapin Duracel finira par avoir notre peau d’humain, alors que nous courrons après un rêve d’immortalité illusoire.
Marie France Poirier