31,4 milliards… Pour rien ?

Si, dans un exercice particulièrement masochiste, vous vous aventurez sur le site du Ministère du Travail, onglet « statistiques de la DARES », le vertige vous prendra tant les avalanches de chiffres et de pourcentages vous font douter qu’il s’agit – quand même ! – de millions de nos concitoyens qui sont sur la touche et non pas d’entités abstraites. L’administration sait gérer des données, par contre pour ce qui est des êtres humains…

En Côte-d’Or, la tendance n’est toujours pas à l’amélioration puisqu’à fin 2015 nous avions 8,8 % de chômeurs (catégorie A) contre 8,5 % un an auparavant (INSEE). A fin février 2016, au total France, nous comptabilisons 5 766 300 demandeurs d’emploi, toutes catégories confondues.
Il paraît qu’on « a tout tenté pour lutter contre le chômage, sauf ce qui marche à l’étranger ». La formule a le mérite de secouer les habitudes léthargiques mais, sérieusement, que fait-on ? Je me permets de rappeler que le but c’est de remettre des gens au travail, pas de les comptabiliser en plusieurs catégories. Justement, nos experts se sont aperçus qu’à l’étranger une voie nommée « apprentissage » donnait d’assez bons résultats. Du coup, notre Président a décrété le branle-bas de combat général avec un objectif pour le moins ambitieux à savoir « 500 000 formations supplémentaires » d’ici la fin de l’année. Je tairai mes éventuels soupçons d’une manœuvre un peu grossière pour dégonfler opportunément les statistiques de la catégorie A car, après tout, si succès il y a, ce serait plutôt une bonne nouvelle pour le pays.
En entendant parler de formations « supplémentaires », je me suis demandé par rapport à quoi. A croire qu’au beau pays de France on n’aurait rien fait en matière de formation, ou si peu qu’il faille tout d’un coup mettre le paquet ? Soyons sérieux : Chaque année, nous dépensons 31,4 milliards d’euros en formations en tous genres ! Vous avez bien lu, le chiffre est colossal et, qu’il me soit permis de le dire, les résultats sont pitoyables puisque nous traînons ces millions de chômeurs. Est-ce à dire que personne ne contrôle ces sommes, que les formations sont inadaptées, que les bénéficiaires ne sont pas ceux qui en auraient prioritairement besoin, etc. ? Hélas, la réponse c’est un peu de tout ça et comme nombreux sont ceux qui en croquent, surtout ne changeons rien ! Explications :
Deux gros financeurs se détachent : les entreprises qui versent 44,1 % du pactole et l’Etat qui verse 17,8 % pour ses agents de la fonction publique. Du coté de ceux qui en profitent : les actifs du privé qui reçoivent 42,9 % de la manne et 17,8 % qui vont aux agents publics. Restent 12,1 milliards à dépenser pour ceux qui, selon moi, en ont vraiment le plus besoin, à savoir les demandeurs d’emploi, les jeunes en insertion professionnelle et les apprentis (Source : Projet de Loi de Finances 2016). Nos apprentis, subitement bombardés priorité nationale absolue, ne reçoivent en fait « que » 5,5 milliards.
Que croyez-vous donc que l’Etat décide ? Bingo, il sort son chéquier (enfin, le nôtre) et signe à tour de bras des conventions avec les Régions qui vont devoir définir leur propre mix de formations en s’appuyant sur l’enquête annuelle de Pôle emploi sur les besoins en main-d’œuvre. C’est le petit jeu du « dis-moi ce qu’il faut faire et je te financerai ».
Comme d’habitude, l’essentiel des formations se fera dans les secteurs de la restauration, les métiers de l’environnement, l’informatique et les services à la personne et, comme d’habitude, ça ne marchera pas !
Primo, ce n’est pas en 3 ou 6 mois que l’on forme un apprenti ; un ébéniste, ça demande plusieurs années ; un boucher ou une fleuriste, ça demande 2 ans minimum ; etc. Se fixer un délai aussi court (lequel correspond étrangement au temps électoral) n’est tout simplement pas sérieux. Deuxio, ces secteurs dits d’avenir qui seraient des gisements d’emplois non pourvus, franchement cela fait longtemps qu’on nous les présente comme la voie royale pour résorber le chômage, particulièrement celui des jeunes sans qualification.
Allez donc discuter avec des patrons de ces secteurs, ils vous diront majoritairement qu’ils ne trouvent pas de candidats ! Dans l’hôtellerie-restauration, c’est trop dur de se lever tôt pour assurer le service du petit-déjeuner, trop dur de devoir travailler en fractionné ; dans les métiers de l’environnement, il y a de bonnes intentions mais peu de budgets, donc fort peu de postes réels ; dans l’informatique, il s’agit de postes hautement qualifiés et pas seulement d’être capable de se servir d’un tableur ou d’un traitement de texte avec deux doigts ; enfin, les emplois dans les services à la personne, bien souvent c’est aller faire les courses pour une personne âgée et / ou lui faire sa toilette et son ménage, toutes choses jugées « dégradantes » par celles ou ceux à qui on les propose et qui, bien que n’ayant aucune compétence, s’estiment scandaleusement sous-payés.
On le voit, une fois de plus, l’Etat ponctionne et dépense toujours plus d’argent, pensant avoir ainsi fait son devoir, quitte à se montrer tout surpris quand, à l’évidence, ça ne marche pas. A force de surprotéger ceux qui ont un CDI, on empêche les autres d’accéder au marché de l’emploi. A force de « sur-former » ceux qui sont en poste on précarise encore plus ceux qui ne sont pas dans le système… Il est urgent de revoir les orientations budgétaires pour que ces sommes colossales aillent en priorité à ceux qui en ont besoin, qu’un plan pluriannuel soit élaboré et, surtout, qu’on s’y tienne. Tout le reste n’est que gesticulations stériles et gabegie d’argent public.