En politique, une réforme mal préparée tourne rapidement au cauchemar. La dernière en date s’appelle « Projet de loi visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs », plus connue désormais sous le vocable de « Loi El Khomri » du nom de l’actuelle ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. L’intitulé est alléchant mais pour ce qui est du dialogue social on repassera tant la charrue a été mise avant les bœufs, l’arme du 49.3 ayant été évoquée – fait inouï ! – avant même que ce projet de loi ne soit présenté en Conseil des Ministres puis débattu au Parlement qui, jusqu’à preuve du contraire, reste le lieu où s’exprime la démocratie.
Il faut avouer que ce projet commence mal puisque l’article 6 de la Section 1, «Libertés et droits de la personne au travail», laisse le champ libre à «toute manifestation des convictions, y compris religieuses», ce qui est une violation de la laïcité inscrite dans la Constitution de 1958 ; drôle de préambule… En tous cas, pétitions, grèves, défilés dans la rue, l’esprit de Mai 68 revient au galop et, à l’heure où j’écris ces lignes, nul ne sait ce que contiendra finalement ce texte de loi.
J’ai lu intégralement les 131 pages du texte officiel initial et, pour ma part, je n’ai pas relevé d’atteinte au travail. Pour tout dire, face à nos 10% de taux de chômage (en hausse régulière alors qu’il décroit partout ailleurs en Europe), face à la paupérisation de la société (14% de citoyens vivant avec moins de 1 000 €/mois en 2014 ; source INSEE), face à nos 2 103 milliards de dette (au 31/12/2015), etc. j’attendais une sorte de « Grand Soir » avec, par exemple, un vrai nettoyage du Code du Travail (plus de 4 000 articles, 3 400 pages dans le Dalloz de 2013) qui « n’a jamais créé d’emplois », selon le secrétaire général de la CGT, l’instauration des contrats zéro heures qui ont fait leurs preuves outre Manche (1,5 million de contrats en 2015 ; source : National Office of Statistics), un traitement social du chômage à la mode Suisse (où il n’y a que 3,8% de chômeurs), un contrat de travail unique pour le privé et le public…
Rien de tout cela et donc fort peu d’audace. Bien sûr, au pays des Bisounours, tout le monde rêve d’un CDI de départ, bien payé, avec emploi à vie dans la même entreprise ; malheureusement ce modèle n’existe plus ; dont acte.
Pourtant, trois points visaient à sortir de la « préférence chômage » pour s’inscrire dans la « préférence emploi ».
1°) Le plafonnement des indemnités prud’homales pour licenciement abusif (de 3 à 15 mois selon l’ancienneté, en plus des indemnités légales) n’est que la limitation réaliste de sommes qui, devenues vertigineuses, peuvent facilement faire couler des PME, lesquelles représentent 99,8% des entreprises et 48,7% de l’emploi salarié en équivalent temps plein (source DARES).
Pour information, en 2014, 192 000 affaires ont été présentées aux 210 conseils de prud’hommes. Même assistés par des avocats, leurs dirigeants peuvent se prendre les pieds dans des procédures complexes et voir un licenciement économique requalifié en licenciement abusif, d’où une véritable tétanisation face à l’embauche. Le cœur du problème est là : quand embaucher devient trop risqué, il n’y a plus d’embauches. Curieux raisonnement en tous cas que celui qui consiste à défendre l’indemnisation déraisonnable d’un seul salarié, quitte à mettre tous ses autres collègues au chômage. Le gouvernement croit faire une concession en transformant le barème de départ en simple barème indicatif ; en fait, il laisse la part belle aux incertitudes. Dans le genre Ponce Pilate, c’est assez réussi !
2°) Les modifications des modalités de licenciements économiques seraient une autre pierre d’achoppement. Pourtant, quand une entreprise constate une érosion de son chiffre d’affaires (sur 4 trimestres), ne vaut-il pas mieux trancher rapidement dans quelques effectifs, c’est-à-dire an-ti-ci-per, plutôt que d’attendre le point de non retour où l’ensemble des salariés devra s’inscrire à Pôle Emploi ? C’est de la flexibilité. Coté sécurité, il appartiendra aux juges d’apprécier la situation économique d’une entreprise et dire si son compte d’exploitation plonge dans le rouge. Qui peut être contre, à part les tenants de la préférence chômage et ceux qui n’ont jamais dirigé une société ? Sur ce point – à moins d’une autre reculade – le gouvernement tient bon et c’est tant mieux.
3°) Les référendums d’entreprise hérissent les syndicats qui y voient une manoeuvre pour réduire leurs pouvoirs. Mais à qui la faute s’il y a aussi peu de salariés syndiqués en France, si ce n’est aux syndicats eux-mêmes ? Il n’y a que 1,8 million de syndiqués parmi les 22,5 millions de salariés français, dont 400 000 chômeurs et retraités dans leurs rangs, soit un taux de syndicalisation de seulement 8% de la population active (INSEE). Or, les syndicats sont nécessaires, ne serait-ce que pour qu’il y ait des interlocuteurs avec qui discuter et négocier. Aujourd’hui, demander leur avis directement aux salariés est le seul moyen de pallier la faible représentativité syndicale. A noter que dans le projet initial de loi El Khomri les patrons ne peuvent pas déclencher un référendum d’entreprise, ce qui est un comble !
On le voit, lancé fort maladroitement, ce projet de loi va s’enliser piteusement, ne satisfaisant personne et il ne restera plus grand-chose de sa substance. L’esprit de synthèse, c’est peut-être suffisant pour diriger un parti politique, quand il s’agit de diriger la France c’est complètement inadapté…
Reste une question de fond : ce projet de loi, fut-il remanié, révisé, modifié, amendé, tripatouillé, va-t-il permettre la création des emplois qui nous font tant défaut ? Je garderai mon opinion pour moi.