Dijon, un samedi d’avril ensoleillé. Les rues sont barrées, c’est un jour de fête. Devant la galerie Interface, rue Chancelier de l’Hospital, le comédien performeur Julien Colombet lit ses textes poétiques et engagés accompagné d’un saxo, le visage noirci, le corps enchaîné. Dans la galerie, les images de mai 68 défilent. Omniprésent sur la scène culturelle dijonnaise, Julien amateur de whisky et de Philipp Glass, cultive l’art du décalage, même celui du décalage horaire : il est rarement à l’heure à ses rendez-vous. Ce jour-là pourtant, il ne s’est pas fait attendre. Impatient de former avec son public « la république des oiseaux » (c’est lui qui le dit), il s’est livré à travers ses textes et ses mots. Nous en avons profité pour lui poser de bonnes questions.
Une histoire de comédien, ça commence comment ?
Il y a des histoires qui commencent comme un petit post-it sur la porte d’un frigo. J’avais neuf ans, je présentais régulièrement des petits spectacles à mes parents dans le salon le samedi soir. Je les prévenais en affichant le matin un flyer avec le titre et le contenu sur le vieux Brandt familial. J’ai su très vite que je voulais devenir comédien. Deux films tournaient en boucle à la maison : Ben Hur de William Wyler avec sa course de chars époustouflante et Le Dictateur de Chaplin que j’ai dû voir une cinquante fois au moins. A l’adolescence, Casino de Scorcese, La dolce vita de Fellini, Orange Mécanique de Kubrick et Apocalypse Now de Coppola ont tous fini par me convaincre de mon désir assuré de vouloir vivre quarante vies en une seule.
Vous citez là des références cinématographiques, à partir de quand le théâtre va-t-il prendre une place essentielle dans votre vie ?
À mon entrée au lycée. C’est là que je découvre le contact avec le public, et la magie quelquefois impalpable que cette confrontation peut engendrer. Ça a alors l’effet d’un transfert émotionnel très fort chez moi, une sorte de révélation. Il s’agit de transmettre un mot, une parole, une émotion, en somme d’être un athlète émotionnel. Pendant sept ans, j’œuvre au théâtre Universitaire de Bourgogne où je rencontre des metteurs en scène comme Sébastien Foutoyet et Cyril Lallemant. La scène devient alors un véritable laboratoire théâtral géant. Ces années sont aussi humainement très riches et j’ai pu là encore travailler en profondeur l’approche de la relation avec le public à qui on a toujours envie de faire un cadeau encore plus gros, encore plus vrai.
Quelle est votre rapport à la scène ?
La scène est une drogue et certains soirs, il flotte jusqu’aux projecteurs comme un parfum de transcendance. A force de sortir de soi et de mettre devant soi la parole qu’on vient d’aller extirper au plus profond de son ventre, on se sent de plus en plus libre, et l’instant de sa propre mise à nu à quelque chose de magique.
Cette magie, est-ce que vous l’avez retrouvée en jouant avec la compagnie de théâtre de rue les 26000 couverts, une des dernières troupes en France ?
Oui, pendant quatre ans j’ai découvert la vie en tournée et toute la partie nomade du métier, chose qui me fascinait quand j’étais gosse et qui a largement répondu à mes espérances. L’expérience avec les 26 000 couverts est très formatrice et assez unique, parce que la philosophie « très famille » de toute l’équipe est vraiment agréable. Cela m’a permis de rencontrer plein de monde, de découvrir l’univers du théâtre et de m’affirmer dans mes propres choix, désirs et zones d’expérimentation artistiques. Le comédien est un monstre mouvant, qui se transforme, s’affirme, se forge, s’endurcit, s’adoucit, se risque, se risque et se risque toujours, s’affine en fonction des travaux qu’on lui demande et de sa propre remise en question.
Cette remise en question a-t-elle une place importante dans votre métier?
Oui, nécessairement. Le doute a sa place dans le travail de l’acteur car il l’entraine vers le mieux mais il doit toujours déboucher sur une affirmation tranquille qui doit rester. L’important dans toutes actions entreprises est de les assumer. S’assumer sur un plateau vraiment est un travail long et difficile mais c’est la première pierre de l’édifice qui amène au théâtre. S’assumer soit, mais le faire dans la nuance et la tranquillité et c’est là que le dosage est très proche de l’orfèvrerie dans le sens où tout ce questionnement de l’intime du joueur répond à une sensibilité qu’il faut laisser apparaître tout en la maitrisant, tout en la laissant s’abandonner quelquefois. Difficile mais belle alchimie dans le travail de la justesse et de la présence du comédien.
Aujourd’hui vous êtes un homme libre ?
Oui, j’ai travaillé presque deux ans avec la compagnie SF de Sébastien Foutoyet et le Centre Dramatique National Dijon Bourgogne, dirigé à l’époque par François Chattot : ce furent de beaux moments de rencontres et d’expériences théâtrales qui remuent. Aujourd’hui, je suis plutôt freelance : je vais du théâtre pour enfants avec la compagnie en Attendant à la performance dans différents lieux de théâtre et d’art contemporain, aux happenings lors des concerts de rock, aux réalisations perpétuelles avec les potes de SF. Je me lance aussi dans la production de solos où j’expérimente des formes de transmission un peu bizarre de mon écriture. Ça crée beaucoup d’étrangeté, et ça me permet d’ouvrir ma gueule. Comme aujourd’hui à la galerie Interface.
Et jouer devant une caméra ?
Je le fais avec mes copains de Chapet Hill, de jeunes prodiges dijonnais dans le domaine de l’image et du son. Je serai à l’affiche de Mauvais genres, un court-métrage bientôt diffusé sur certains écrans dijonnais. Cela me permet enfin de réaliser mon premier rêve de tout gosse : jouer mais le faire devant la caméra : un moment où l’éphémère devient écrit quelque part.
Propos recueillis par Raphaël Moretto
Interface est une Association loi 1901, créée en Janvier 1992 à Dijon. Elle a pour objet de soutenir les jeunes créateurs d’art par l’aide matérielle et logistique propre à la réalisation et à la diffusion de leurs œuvres. L’association propose une programmation de jeunes artistes : cette action a la volonté de constituer un complément souple au milieu professionnel de l’art (Galeries, Institutions). Cet « appartement galerie associative » a pour vocation d’être un lieu d’échanges et de rencontre. Nadège Marreau en assure la coordination.