Le Larousse définit la frilosité ainsi : « Caractère de quelqu’un qui refuse de s’engager dans des entreprises risquées ». Et le langage commun d’illustrer par des lieux communs : « Les banquiers ne prêtent qu’aux riches », « ils ne se mouillent jamais », « ils veulent bien prêter un parapluie quand il fait beau soleil mais ils le reprennent dès qu’il pleut », etc. En cette période de crise –qui, il faut le rappeler, a débuté à cause d’opérations bancaires aventureuses aux Etats-Unis (crise dite des subprimes)– il n’est pas mauvais de faire le point sur l’accès au crédit pour nos entreprises.
Les patrons ont pris l’habitude de se tourner vers leur banquier dès que les échéances deviennent délicates et ce d’autant plus que les banquiers ont tout fait pour les y inciter, pour autant que ce soit (quasiment) à coup sûr car ils ont une sainte horreur du risque, sauf quand ça peut rapporter très gros ! De leur coté, les banquiers sont soumis à la pression de leur hiérarchie qui demande toujours plus de rentabilité d’où moult frais, agios, commissions et autres facturations diverses et variées (je sais, c’est un peu exagéré, mais après tout aucun banquier n’est philanthrope). Je me souviens avoir entendu le directeur régional d’une grande banque de la rue de la Liberté dire avec le plus grand sérieux « L’idéal, c’est du découvert avec des garanties » ; un peu comme cette autre grande banque dont les publicités disaient « Votre argent m’intéresse ! »… Difficile d’être plus franc, n’est-ce pas ?
A les en croire donc, nos banquiers ne demandent qu’à prêter de l’argent, sauf qu’il y a quand même quelques préalables à respecter, le premier étant de se poser la question « Qu’attend mon banquier pour dire oui » ? En fait, c’est très simple : il attend la présentation d’un bilan honorable avec des fonds propres (1) à peu près égaux aux emprunts ; il attend un vrai point sur la situation actuelle et des explications claires sur les motivations de la demande.
S’agit-il de passer une bosse négative de trésorerie pour financer le poste clients ? S’agit-il de financer des investissements pour conquérir de nouveaux marchés ? Si vous argumentez sur autre chose que votre seule bonne volonté, si vous illustrez votre demande par une vision synthétique des flux de trésorerie à 6 ou 12 mois, si vous êtes vous-même convaincu de votre capacité de remboursement et savez la démontrer, il n’y a guère de raison pour que vous soyez éconduit. Là où il y aurait des nuances, c’est que les banques ne seraient pas toutes les mêmes… Les banques dites « mutualistes » disposeraient d’une autonomie locale de décision plus grande que les autres où les dossiers sont jugés sur pièces à Lyon ou à Paris, ce qui diminuerait singulièrement la connaissance du dirigeant et de son environnement. Les premières prétendent être plus rapides dans leurs prises de décisions parce que plus proches que les secondes où des procédures internes freineraient parfois jusqu’à l’agacement, voire l’incompréhension. Qui dit vrai, qui dit faux ? Difficile de trancher. Ce qui est certain, c’est qu’au royaume des banquiers il n’y a pas de généralités et que chaque cas est disséqué de façon unique, avec à la clé la poursuite de l’activité ou de graves soucis, voire même le dépôt de bilan en cas de refus.
Pourtant, si l’on en juge par les chiffres de la Banque de France, les demandes de nouveaux crédits de la part des PME restent modérées pour les crédits de trésorerie et stables pour les crédits d’investissement. Au 3e trimestre 2013, 75 % des premiers sont obtenus et 90 % des seconds aussi. Les taux auxquels ces crédits sont accordés sont même en légère baisse : par exemple, le découvert autorisé pour la tranche comprise entre 15 245 et 45 735 € est passé en moyenne de 6,39 % en avril 2013 à 6,19 % en juillet 2013 (source : Stat Info / Banque de France / Octobre 2013). Il n’en reste pas moins que les dépôts de bilan ont bel et bien augmenté de + 5,5 % à fin septembre, particulièrement pour les microentreprises, celles qui réalisent moins de 2 millions d’€ de chiffre d’affaires.
Si vous allez demander du coté du tribunal de commerce si les banquiers ne seraient pas les vilains boucs émissaires coupables de la fermeture des robinets du crédit, la réponse sera claire : « Absolument pas ! ». On vous expliquera que les entreprises ont vu leur chiffre d’affaires diminuer rapidement et leur marges fondre comme neige au soleil, que pour beaucoup d’entre elles il n’y a plus d’espoir de revenir à une situation positive et que, dans ces conditions, on ne voit pas très bien pourquoi les banquiers viendraient soutenir des activités devenues durablement déficitaires.
Les statistiques de la Banque de France, tant au niveau national que de la région Bourgogne montrent en 2012 et 2013 une demande de financements de la part des entreprises quasi stable (+ 0,3 %) et un durcissement des conditions d’accès de la part des banques (+ 7,5 %). C’est sans doute ce qui explique cette perception d’une prétendue « frilosité » des banquiers…
Pour savoir quelle sera leur position en 2014, nous avons interrogé deux grandes banques.
A la direction régionale de la Société Générale (SG), Jean-Marie Gavard précise d’abord que le stéréotype du banquier avec son gros cigare est bien mort, qu’il n’y a plus que des « employés de banque » qui doivent faire fonctionner leur société et que les décisions sont prises de façon collégiale. De l’argent ? Il y en a sans aucun problème ! Par contre, il note une demande en baisse du coté des entreprises, une diminution des projets liée sans doute au contexte morose ; de là à penser que la frilosité serait plutôt du coté des chefs d’entreprises, il n’y a qu’un pas…
Les garanties deviendraient-elles délirantes ? Pas vraiment, la preuve en est un prêt de 3 millions d’euros débloqué en fin d’année 2013 sans garanties aucunes. A la SG, ils mettent clairement l’accent sur le professionnalisme du demandeur, sur son savoir-faire et ses compétences de gestionnaire, le financement devenant quasi secondaire. M. Gavard fustige la vision purement financière d’une entreprise car elle privilégie le court terme sur le long terme qui, lui, est facteur de développement. Il constate la faiblesse des fonds propres en France alors qu’en Allemagne, par exemple, les industriels consolident davantage leur trésorerie pour investir dans des machines et faire croître leur activité. Il rappelle aussi que la sélection des dossiers est aussi là pour garantir aux déposants qu’ils retrouveront bien leur argent grâce à la régularité des remboursements (ce qui n’est pas faux).
Selon lui, la SG aurait prêté un peu moins aux entreprises en 2013 non pas par frilosité mais bien par une prudence de simple bon sens qui impose de vérifier au préalable la qualité des actifs, ces derniers ayant eu tendance à se déprécier ces dernières années. Il cite l’exemple des banques américaines qui avaient prêté sans discernement en se disant qu’elles pourraient toujours revendre le bien objet du prêt, la catastrophe survenant quand le marché s’effondre et que les biens en question ne trouvent plus preneur, d’où des provisions et des dépréciations massives. En résumé, pour 2014 la SG ne demande qu’à prêter pour autant que les projets soient censés et pilotés par des gens sérieux.
A la BNP PARIBAS, les statistiques pour la région ne sont pas disponibles, par contre au niveau national la BNP annonce avoir financé 61 500 projets en faveur des PME à hauteur de 6,7 milliards d’euros, soit bien plus que les 5 milliards d’euros annoncés. Un plan ambitieux pour les 3 années à venir vient d’être annoncé le 23 janvier dernier : Appelé « Entrepreneurs 2016 », il se voit doté de 10 milliards d’euros pour les PME en 2014. Cette somme sera ventilée en 6 milliards pour le financement à moyen / long terme de 60 000 projets et 4 milliards pour 40 000 solutions de financement de la trésorerie. Parmi les engagements de ce Plan, la BNP mentionne : l’accompagnement du développement à l’international, le renforcement du soutien à l’entrepreneuriat innovant (incubation de start ups), l’accompagnement de l’entrepreneuriat féminin (seulement 30 % des créateurs sont des femmes). On le voit, la BNP a les dents longues et elle met le paquet pour asseoir sa pénétration auprès des entreprises, la concurrence n’a qu’à bien se tenir si l’on en croit la banque de la Chaussée d’Antin !
En conclusion, les banques ont de l’argent et la bataille fait rage entre elles pour aller chercher les sociétés qui ont besoin de financements. Evidemment, derrière ces belles volontés affichées, se cache un tri sévère des dossiers et c’est un peu la course au meilleur client. Pour les autres, là où les trésoreries se tendent, il est à craindre que l’accès au crédit ne se complique un peu plus chaque jour qui passe, peut-être est-ce la loi du genre… Comme disait ce bon monsieur Jean de La Fontaine dans sa fable « Les animaux malades de la peste » : « Selon que vous serez puissant ou misérable / Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir ». Comme quoi, il vaut quand même mieux avoir de l’argent pour aller en emprunter !
Jean-Pierre COLLARD
(1) Les fonds propres comprennent les sommes versées par les associés, augmentées, au fil du temps, par les profits dégagés annuellement par l’entreprise et qui ne sont pas distribués en dividendes. Les résultats non-distribués forment les réserves. Les dettes financières à moyen et long terme sont une source de financement externe pour l’entreprise, en complément de ses capitaux propres. Le montant des fonds propres conditionne la capacité d’emprunt de l’entreprise (Source BPI).