Olivier Padieu : des prises de risque au bon moment

41 ans, plus de 6 millions d’euros de chiffre d’affaires, dirigeant de 7 sociétés, un look d’éternel premier de la classe, quelle est votre recette pour cette success story ?
Success story, c’est exagéré… C’est grâce à mes ascendants, c’est la suite d’un engagement de mon père que j’ai perdu alors que j’étais encore jeune, de son associé, puis de ma mère, puis de moi-même et de l’équipe. Il n’y a là rien de personnel.

Dijon est la 18e ville de France en terme de population et votre magasin Optic 2000 de la rue de la Liberté est classé parmi les 10 premiers en France. A quoi attribuez-vous cette performance ?
Je n’ai pas vérifié, je pense que c’est vrai… C’est un magasin qui est installé ici depuis 1977. Des associés ont pris les bonnes décisions, ils ont investi quand il le fallait. C’est une enseigne qui a poussé les propriétaires à s’agrandir, à migrer du passage Dauphine à la rue de la Liberté. C’est une bonne équipe de collaborateurs. Ce sont aussi des prises de risques au bon moment. Ce sont aussi des clients satisfaits qui sont restés fidèles et qui en ont amené d’autres. Optic 2000 a aussi fait l’acquisition au niveau national de Lissac et nous avons logiquement accompagné cette démarche en ouvrant des magasins sous cette enseigne, en centre ville et à Valmy.

En 20 ans, vous n’avez cessé de croître, d’aller chercher de nouvelles parts de marché, même dans les campagnes. Tout ceci demande des capitaux. Auriez-vous gagné à l’euromillion ?
Non, euromillion n’est pas passé par là. Ca a surtout demandé des résultats de l’entreprise qui ont été réinvestis, sans oublier l’aide des banques et l’apport financier et humain de mes associés. L’auto-financement est vraiment le moteur du développement.

Les opticiens sont dans le collimateur de plusieurs associations de défense des consommateurs, sous le prétexte qu’ils dégageraient des marges colossales, voire scandaleuses. Qu’en est-il vraiment ?
Ah, là ça risque d’être très long ! En fait, le consommateur français est beaucoup plus exigeant que ses voisins européens. A titre d’exemple, là où un Anglais se contente de verres à double foyer le Français veut des verres progressifs Essilor ou Carl Zeiss. Seuls le Portugal et la Grèce ont un niveau de prix inférieur à TVA comprise. Il faut quand même rappeler que nous sommes le seul pays à taxer à 19,60 % des produits optiques. On a entendu beaucoup de choses et pas mal de bêtises sur ce sujet, notamment que l’augmentation de la concurrence avait eu pour résultat de faire monter les prix ! Aucun économiste sérieux n’a osé défendre cette thèse… Quant à la marge, j’ai déjà eu l’occasion de le dire, elle est de 61 % en marge brute et le résultat, dans les affaires bien gérées, est de 7 %. Ce que le consommateur ne sait pas forcément c’est que nous recevons le produit à l’état brut et que nous passons en moyenne 2 heures ½ sur chaque commande en faisant intervenir du matériel coûteux, du personnel hautement qualifié qu’il convient donc de payer à hauteur de ses compétences. Ce à quoi il faut rajouter le loyer, les impôts et les charges qui augmentent dans tous les sens… etc. En résumé, il ne suffit pas d’ouvrir un magasin d’optique pour être millionnaire !

Vous n’avez pas de magasin installé dans un centre commercial type la Toison d’Or. Est-ce par rejet viscéral de ce genre de lieu, parce que les loyers y sont trop élevés ou par manque d’opportunité ?
Ce n’est pas tout à fait vrai. Avec mes associés, j’ai un magasin à Fontaine-Les-Dijon dans le centre commercial Géant Casino, nous en exploitons un à Venarey-les-Laumes dans le centre commercial Super U et un autre à Quétigny dans le centre commercial Carrefour. En fait, je préfère faire du commerce en centre ville, ce qui ne m’empêche pas d’être présent dans certains centres commerciaux, mais vous avez raison, pas tous. Dans certains centres, les loyers sont à mon avis trop élevés ; 13 à 15 % du chiffre d’affaires me paraît déraisonnable et je ne souhaite pas suivre certains bailleurs. Dans ces conditions, je ne vois pas comment on peut développer correctement son entreprise… Vous aurez noté que dans ces centres commerciaux on retrouve les mêmes enseignes dans toute la France et qu’il y a de moins en moins d’indépendants, fussent-ils franchisés.

Pourtant, dans ces centres, on rencontre des magasins, Acuitis pour ne pas les nommer, qui vendent des lunettes à environ 200 € la paire et qui, apparemment, sont très contents d’y être. Comment font-ils ?
Je m’interroge. A moyen terme, il n’est pas certain qu’ils y soient encore ; ça devait être une chaîne nationale et je ne vois pas beaucoup de développement… Derrière, il y a l’ancien fondateur de Grand Optical qui a revendu très cher au bon moment à des fonds de pension, il peut, sans doute, soutenir ce projet à risque pendant quelque temps. Pour notre part, nous ne pensons pas que cela puisse être pérenne ; on peut se tromper, mais c’est notre position à l’heure actuelle. L’avenir nous dira qui a raison…

Quels conseils aimeriez-vous donner aux jeunes d’aujourd’hui qui veulent se lancer dans la vie active et devenir patrons ?
J’hésite entre « barrez-vous » et une autre réponse ! Il faut être très prudent, bien entouré et bien conseillé, être prêts à passer beaucoup, beaucoup, beaucoup d’heures au travail. Si le dossier est bien ficelé, si on fait les choses dans le bon ordre, normalement ça doit marcher. Il ne faut pas oublier qu’investir c’est aussi risquer de tout perdre, donc la prudence s’impose. Il vaut mieux y penser avant plutôt que de devoir se réveiller quand le mal est fait…

On entend souvent dire qu’un chef d’entreprise qui réussit est un « salaud » et s’il capote, alors c’est un « idiot ». Vous êtes d’accord ?
Je crois surtout qu’en France il manque une vision d’entreprise qui soit partagée aussi bien par les patrons que par ses collaborateurs. Cette opposition est très mauvaise et il est dommage qu’on ait encore cette approche de l’employeur qui cherche à faire de l’argent sur le dos de ses salariés et, de l’autre coté, ce sentiment que les salariés cherchent toujours à en faire de moins en moins. Il conviendrait sans doute de regarder à l’étranger pour s’apercevoir qu’une entreprise c’est une équipe et, que si tout le monde ne tire pas dans le même sens, ça ne marche pas bien…

Pensez-vous que les gouvernements successifs aient compris comment fonctionne une entreprise ? Les aides en tous genres sont-elles un réel coup de pouce ou juste de l’argent jeté par les fenêtres ?
Catégoriquement non ! Ils ne savent absolument pas comment fonctionne une entreprise. Mettons à part les très grosses sociétés du CAC 40, mais ce n’est pas parce qu’on a dirigé EDF ou la SNCF qu’on connait vraiment le quotidien des PME. Sur les aides, je suis réservé car le principe du commerce c’est qu’on n’a pas besoin d’être aidé, l’activité devant générer les ressources nécessaires au paiement de toutes les charges. Quand les aides deviennent indispensables, on est vite piégé et on n’est plus maître à bord. En fait, quand je vois tout ce qu’on paye comme taxes et impôts divers et que tous les signaux restent au rouge, je m’interroge sur la pertinence de ces aides tandis que le chômage progresse, que la dette du pays ne fait qu’enfler. Je me dis qu’il y a un gros problème quelque part. Ceci dit, je ne suis pas expert en économie. Je préférerais qu’on donne aux Français l’envie d’investir, d’oser entreprendre, plutôt que d’opter pour un poste inintéressant mais jugé plus sûr…

Vous êtes très impliqué dans la vie de la cité, notamment avec votre mandat à la tête de Shop In Dijon. Est-ce par intérêt commercial personnel, par altruisme ou à cause d’une certaine forme de masochisme ?
Sans doute un peu des trois ! Par moment je me pose la question… C’est surtout la volonté de défendre ce centre ville que tout le monde s’accorde à trouver magnifique, de le faire avancer. Il a des atouts très importants. Cela dit, faire avancer des indépendants, c’est beaucoup plus compliqué que dans un centre commercial où on appuie sur le bouton du GIE et hop ça suit… Fédérer tous ces commerçants de taille et de nature différentes, effectivement, ça n’est pas si simple.

Vous avez vos entrées à la Mairie. Quels sont les dossiers pour lesquels vous regrettez de n’être pas entendu ?
(Longue réflexion). C’est une question compliquée… On a une oreille attentive ; en fait il peut y avoir un décalage entre nos demandes et les réactions, comme ce fut le cas dans l’affaire de la grève le samedi chez Divia. La municipalité a fait savoir son souhait que ce conflit s’arrange au plus vite et on s’aperçoit qu’il aura fallu plusieurs mois pour que ce problème soit réglé. En réfléchissant bien, je crois qu’il n’y a pas de dossier sur lequel nous ne sommes pas entendus. Ceci étant, le commerce en centre ville ne dépend pas que de la municipalité, il dépend aussi et surtout des commerçants eux-mêmes.

N’avez vous jamais été tenté par une action plus militante en politique ? En clair, un mandat avec François Rebsamen (ou un autre) pourrait-il vous tenter ?
Je reconnais l’utilité de la politique, je suis citoyen, je vote – et nous avons cette chance de pouvoir le faire – et Shop In Dijon œuvre dans cette approche citoyenne. A titre personnel, non, je ne suis pas attiré par la politique parce que l’image qu’elle donne ne correspond pas à ma façon de fonctionner. Oui, il faut des personnes qui aient le courage de s’impliquer en politique, qui acceptent de prendre des coups. Pour ma part, je préfère me cantonner à mes actions actuelles.

Au final, selon vous, fait-il encore bon être patron dans la France de 2013 ?
On n’est pas patron pour être patron, ça demande un investissement personnel important. Pour ma part, si je devais refaire le choix, je signerais de nouveau sans hésiter.

Propos recueillis par Jean-Pierre COLLARD