L’arrivée de l’été nous éloigne doucement des soucis de l’actualité. Les terrasses, nous offre le plaisir de transformer les citadins en cigales, en nous offrant des moments buissonniers. Car à la terrasse, première règle : on prend son temps. Ces terrasses ont fait de nos rues un théâtre qui ne dit pas son nom, avec sa scène, ses coulisses et ses acteurs en résidence permanente.
Espace médian, la terrasse de café est par nature ouverte : à la conversation, au rêve, à la lecture, aux jeux de regards. On y joue des rôles, tour à tour acteurs et spectateurs, on y jouit aussi, de l’instant, du paraître, et parfois, les yeux fermés, d’une parenthèse de liberté, comme une échappée belle dans le flot du quotidien.
Lieux du regard, du répit, du repos mais aussi du repas, les terrasses entretiennent une confusion subtile entre l’espace public de la ville et celui, semi-privé, du café. Les habitués sont comme chez eux, au « bistrot du coin ». Et chacun peut éprouver aux terrasses ce vertige qui consiste à être seul au milieu de la foule, archipel mouvant de petites solitudes urbaines.
Les histoires et les aventures y commencent et y finissent. Les rencontres, fortuites ou programmées, y scellent souvent des destins, on y commence de belles histoires, au gré des rendez-vous d’affaires, et des rendez-vous d’amour. Depuis quelques années, combien de milliers de « couple Internet » se sont formés aux terrasses des cafés, lors de ces « premiers rendez-vous » qui confirment de visu l’alchimie virtuelle ?
Aux terrasses, la limite est mince entre les regardants et les regardés. Et les figurants peuvent tous devenir à loisir les acteurs principaux de cette tragi-comédie. Si le fait de regarder est l’un des plus grands plaisirs éprouvés là, ce jeu repose sur une règle, et sur un artifice : il consiste à jouer le jeu en faisant semblant de ne jamais s’y prêter. Que l’on regarde ou que l’on se montre aux terrasses, on doit toujours le faire sans y toucher. Il faut feindre d’ignorer ceux qui nous scrutent, affichant un flegme distant que rien ne doit venir troubler.
Le regard joue un rôle important aux terrasses. Mais elle ne saurait se résumer à être seulement un lieu où les apparences triomphent. Ce ravissement un peu transgressif de « mater en douce » ne peut faire oublier que la terrasse est le lieu de prédilection d’autres plaisirs : on y jouit du vent et du soleil, d’un bon livre, d’une rêverie ou d’une conversation amicale, grave ou légère, aussi légère que la mousse d’une blonde transpirant sa fraîcheur sur tout le verre, en contaminant la paume et les lèvres ; c’est là que de petites délectations s’offrent, marquant la fin de la journée, l’entrée dans ce temps de vacances qui permet de ralentir le cours des choses, et le rythme de la vie ordinaire.
En ville, on subit souvent les éléments, qui sont contraignants. Le soleil incommode, le vent s’engouffre dans les cols, et quand l’on a oublié son parapluie, il n’y a vraiment que dans les publicités que la pluie est romantique ! Installé à une terrasse, par contre, on convie ce soleil et ce vent à venir nous offrir juste un peu de plaisir, parce qu’on le veut bien. Le frémissement d’une brise sur la peau, allié à la délectation d’un « pot » partagé, la caresse chaude d’un rayon de soleil complétée par celle, douceâtre, d’un petit crème ou sucrée d’un kir… La terrasse représente ce lieu et ce moment rares dans l’agitation de la ville où l’on s’arrête, pour honorer un rendez-vous : avec des amis ou son journal, ses habitudes ou la brise du soir… Les rites sont aussi intérieurs, et nous sommes parfois les seuls à nous convier à une petite célébration intime aux terrasses. En sortant de la fac ou du bureau, avant le marché ou le restaurant, c’est aux terrasses que l’on vient se poser un moment, pour juste humer l’air du temps et l’air du soir, l’air de rien. Les terrasses ? A consommer sans modération !
Pascal Lardellier
L’esprit en roue libre
Yop la boum et vive l’été ! Les nombreuses terrasses se disputent le macadam et les trottoirs pour le plus grand bonheur des touristes, des Dijonnais et des enfants – heureux d’élargir le terrain de leur quotidien et de se relaxer à l’air libre, les orteils bien au large dans les sandales. Même les gentils toutous sont de la fête, car cafetiers et restaurateurs – canicule oblige – ont l’amabilité de leur mettre une gamelle d’eau. Selon les enseignes, les sièges vont du tape-cul aux fauteuils confort XXXL, où enchainer un petit drink sur un Bloody Mary ne fait tanguer personne. Ainsi, au bout d’une heure, face aux jets d’eau de la Place de la Libération, le consommateur se sent comme coq en pâte sur la plage d’Acapulco. D’ailleurs par rapport aux années passées, des effets de déco président à ces mini-paradis : coussins ethniques, lauriers ou jardinières pour démarquer la frontière d’un troquet avec la terrasse du cafetier concurrent mais néanmoins ami. La chaleur estivale a ceci de bon qu’elle adoucit les mœurs et incite à une douce paresse : tapez-vous une petite bière – question boisson, rien n’est plus tendance – et une torpeur ne manque pas d’envahir tout votre être. Les soucis sont loin-loin derrière et on en arrive à penser que le pouvoir d’achat n’est pas un si gros souci que ça et qu’un Martini on the rocks procure d’avantage d’évasion qu’un plein de carburant chez Leclerc ou à Carrefour. Allez, les terrasses dijonnaises qui mettent l’esprit en roue libre !