La langue de bois, Jean-François Buet ne la pratique pas. Le créateur à Dijon de l’agence éponyme, président d’Habellis et ancien président national de la FNAIM, a l’habitude de dire les choses simplement mais toujours efficacement. Entretien.
On entend ici et là de fortes inquiétudes des professionnels de l’immobilier ? Qu’en est-il en cette rentrée ?
« On est toujours sur une interrogation. Il n’y a pas eu de reprise effective contrairement à ce qu’on a pu entendre ici ou là. D’abord parce qu’il n’y a pas eu de modifications significatives, pas d’éléments extérieurs, pas de dispositions réglementaires, pas de dispositions fiscales… C’est toujours aussi compliqué pour les jeunes primo-accédants dans la mesure où les banques renforcent les conditions d’accès aux crédits mais aussi parce que les taux d’intérêts rendent le coût du crédit plus cher même si on constate un léger fléchissement de ceux-ci mais pas suffisamment significatifs pour resolvabiliser une partie de la clientèle ».
Où en sont les transactions ?
« Il y a, en moyenne en France, 1 100 000 transactions. Et là, on va péniblement arriver à 800 000. En général, la mécanique est simple : quand il y a une hausse des volumes, cela contribue, dans les mois qui suivent, à une hausse des prix. Mais la baisse des volumes entraîne souvent une baisse des prix. Aujourd’hui, cette baisse est de l’ordre de 30 %. Et, pour les prix, on est entre 5 et 8 % selon les types de produits. Ce qui ne se vend pas ou très mal, ce sont les biens qui sont classés énergétiquement en F ou en G.
Si on est à 15 km de la métropole dijonnaise, le marché des biens à 250 000, ça va. Mais au-delà cela devient beaucoup plus compliqué. Ceux qui attendent encore une baisse des prix pour faire une affaire, il n’est pas certain qu’ils obtiennent satisfaction ».
Cette situation pourrait-elle mettre en péril des agences immobilières qui ont vu les ventes de biens se réduire considérablement ?
« Les tribunaux de commerce ont déjà constaté des fermetures d’agences. Rien qu’à Dijon, au sein du groupement AMEPI – Bourse immobilière, des agences ont été touchées en même temps que des agents commerciaux indépendants, non salariés, qui ont vu leur activité chuter n’ont pas eu d’autres choix que de quitter le métier. Sur le plan national, il y a des grands réseaux de franchises, qui clamaient encore récemment que tout allait bien, qui font face à de grosses difficultés. Ce qu’on peut dire, c’est quand on s’installe comme agent immobilier, surtout pour ne faire que de la transaction, c’est la règle du jeu. On voit toujours les ouvertures, pas forcément les fermetures. Il y a toujours eu ce type de vagues. Mais le plus inquiétant touche nos concitoyens qui ont d’énormes difficultés pour se loger ».
Le secteur de la construction est encore plus gravement touché même si les besoins en logements demeurent très élevés comme vous le soulignez ?
« C’est le paradoxe que l’ensemble des professionnels, qu’ils soient agents immobiliers, promoteurs ou autres, met en avant avec force depuis plusieurs mois. M. Macron n’aime pas l’immobilier. Voilà 7 ans que nous avons des gouvernements complètement autistes sur le sujet. Jamais nous n’avons eu sous ces gouvernements un ministre à part entière. Il n’y a pas eu depuis 7 ans de législation adaptée pour soutenir le marché. C’est bien un signe. Au contraire, nous n’avons eu qu’une succession de freins. Alors oui, c’est sûr, il faut lutter contre le réchauffement climatique mais aujourd’hui le pouvoir d’achat de nos concitoyens n’est pas au rendez-vous pour faire tous les travaux que la législation impose.
Je constate qu’il n’y a pas suffisamment d’aides mais surtout beaucoup de contraintes. Le marché est atone, l’offre de logements est nettement insuffisante… La conséquence, elle est simple : les locataires en place donnent beaucoup moins leur congé. Le taux de rotation a diminué de 40 %. C’est encore plus vrai à Paris où les propriétaires bailleurs préfèrent louer en Airbnb même s’ils ne sont pas très respectueux de la réglementation. Reconnaissons que pour eux, c’est plus facile, plus souple, plus rentable et moins contraignant fiscalement parlant. Il y a un vrai problème d’offres qu’on n’arrivera pas à résoudre facilement ».
Peut-on dire aujourd’hui que la crainte d’un crash est toujours présente ?
« Oui. J’ai rencontré tout récemment un promoteur qui m’a fait part des inquiétudes de sa profession qui a été contrainte, en certains endroits, de licencier des personnels. Malheureusement, ce n’est pas fini. On ne sait pas où en va et la crainte d’un crash est loin d’être dissipée. Que le gouvernement n’aide pas les professionnels de l’immobilier, c’est regrettable, mais c’est son choix. Pour autant, il devrait penser à nos concitoyens. La France compte 67 millions d’habitants et 36 millions de logements. Il n’y a pas un parlementaire qui connait les chiffres et nos problématiques. Pire, au niveau national, personne affiche la moindre vision à court et moyen terme pour satisfaire des besoins que l’on ressent partout sur le territoire national ».
Quelle type de relance faudrait-il envisager ?
« Il y a plusieurs problèmes. D’abord économique et ensuite réglementaire. Le problème économique, c’est qu’aujourd’hui nos concitoyens n’ont pas les moyens financiers pour acheter du neuf quand on additionne le coût du foncier, de la main d’œuvre, des matériaux…Même à Dijon, cela devient compliqué. Les prix deviennent trop élevés. Il faut savoir qu’aujourd’hui, 70 % de la population peut prétendre à un logement social au regard de ses revenus. C’est une vraie problématique.
Le foncier est aussi un obstacle. Pour lutter contre l’artificialisation des sols et limiter l’impact des activités humaines sur le changement climatique, le gouvernement a instauré l’objectif « Zéro Artificialisation Nette » (ZAN) visant à limiter l’usage et la destruction des sols. Cela veut dire qu’il faut densifier et construire la ville sur la ville. Cette loi a un effet pervers : le foncier devenant rare, il devient cher. La contradiction majeure est la suivante : quand on investit dans un immeuble, on paye des charges, de l’entretien, des travaux, la taxe foncière…
Par contre, quand on investit sur du foncier, on ne paye rien. Cela veut dire que ceux qui possèdent du foncier, ils vont le garder car il ne peut prendre que de la valeur. Il y a une disposition à prendre qu’un certain nombre commence à défendre auprès de Bercy, c’est d’inverser la fiscalité sur la plus-value des terrains. Il y a un vrai besoin de dispositions réglementaires et fiscales pour relancer une machine particulièrement grippée. On construit à peine 250 000 logements par an alors qu’il en faut le double.
On pourrait aussi évoquer les recours que font devant la justice les voisins d’une maison acquise par un promoteur… Des gens qui ont du mal à loger leurs enfants mais qui refusent la construction d’un immeuble dans leur proximité… On pourrait aussi évoquer les difficultés des entreprises du bâtiment qui peinent à recruter du personnel qualifié… ».
Souhaitez-vous des mesures de soutien type Pinel ?
« J’ose à peine évoquer cette orientation. Aujourd’hui, on cherche à faire des économies partout, à tous les niveaux, on va nous reprocher de vouloir encore creuser le déficit. Il faut trouver des solutions qui soient équilibrées financièrement, du type Pinel mais aussi du type loyer abordable. Par exemple, j’achète un bien et je m’engage à le louer sur une certaine durée. En contrepartie d’un loyer modéré pour un logement intermédiaire, je bénéficie d’une aide fiscale. C’est plus un manque à gagner qu’une perte.
Si on ne fait pas cela, on va vers une socialisation du logement. Et demain, si les promoteurs privés ne peuvent plus fonctionner, seuls les bailleurs sociaux seront en capacité de construire des logements. On notera d’ailleurs qu’on a déjà commencé à inverser la proportion des propriétaires occupants avec les locataires. On était jusqu’alors plutôt une France de propriétaires qui était passée de 54 à 57 % et on est en train de repasser en dessous de cette barre des 57 % ».
Vous n’êtes donc pas très optimiste pour les mois qui viennent ?
En fonction de ce qu’on vient de vivre depuis 7 ans, je ne suis évidemment pas optimiste. Ce qui aurait tendance à me rendre plus serein, c’est que l’extrême gauche n’est pas aux manettes avec une volonté de tout socialiser. Ce qui me rassure, c’est aussi la présence d’un Premier Ministre que je trouve pragmatique. On a besoin des bailleurs individuels pour faire du logement et j’espère qu’on va les protéger ».
La bonne nouvelle, c’est peut-être la stabilité bancaire sur le marché de l’immobilier ?
Oui. Les banques doivent faire leur travail, c’est à dire accorder des prêts. Si une banque ne prête pas, elle n’est plus dans son objectif social. Peut-être faudra-t-il revenir à des durées plus longues pour le remboursement. Peut être faudra-t-il trouver des financements différents… ».
Propos recueillis par Jean-Louis Pierre