Deux nouveaux films nous prouvent que le talent créateur made in France éclate encore à l’écran : « Je verrai toujours vos visages » et « Sur les chemins noirs » sont de cette veine-là, par leur profondeur et l’intelligence d’une caméra qui tient à l’œil deux histoires hors le train-train de tout citoyen lambda.
On savait Jeanne Héry excellente cinéaste avec « Pupille », sorti en 2018, qui traitait de l'accouchement sous X, de l'adoption, de l’aide sociale à l'enfance en France. C’est à nouveau sur un terrain sociétal qu’elle fait évoluer son propos avec la même subtilité, avec la même sobriété dans ce nouveau long métrage « Je verrai toujours vos visages ». En un mot, voilà l’immanquable du mois !
La réalisatrice filme ce « sport de combat » que constitue la justice dite « restaurative » qui intervient une fois la sentence rendue - une démarche fondée sur le volontariat peu connue du grand public. De quoi, s’agit-il ? D’une justice prise dans son sens philosophique et non pas selon son acceptation juridique… D’une justice surtout, qui débouchera – peut-être ou peut-être pas d’ailleurs - sur la rédemption de coupables condamnés pour agressions physiques, pour braquages ou viols, avec en parallèle une renaissance à la vie des victimes brisées au plus profond d’elles-mêmes. Le film joué à la perfection par les acteurs se déroule dans l’austérité du huis-clos d’un parloir de prison perçu par tous les personnages – agresseurs ou agressés - comme un ring aux vertus thérapeutiques (1) : entrer dans la peau de son bourreau ou, à l’inverse, entrer dans celle de sa victime constitue un tsunami psychologique. De l’autopsie mentale d’un fait-divers tragique, tous les antagonistes sont-ils supposés profondément changés, en voie d’un renouveau ? Le film laisse la question plus ou moins en suspens, même si la réalisatrice Jeanne Héry semble opter pour un optimisme certain. Il n’en demeure pas moins que « Je verrai toujours vos visages » est exceptionnel à plus d’un titre, ne serait-ce que par des dialogues ciselés et précis, par les respirations laissées à un récit jamais bavard.
L'infini-petit du marcheur
A l’inverse de l’enferment carcéral de « Je verrai toujours vos visages », « Sur les chemins noirs » a pour cadre la nature sauvage, bouleversante de beauté d’une France cachée qui ne se livre qu’à celui qui ose randonner sur les chemins quasi secrets indiquées sur les seules cartes IGN au 1/25 000e… Ce film envoutant réalisé par Denis Imbert est l’adaptation du roman autobiographique de Sylvain Tesson, victime en août 2014 d'une chute de plusieurs mètres alors qu'il escalade, ivre, la façade de l’habitation d’un ami. Plongé dans le coma durant plusieurs semaines, souffrant de multiples fractures, il doit pratiquer d'importantes séances de rééducation pour retrouver ses facultés motrices. Contre l’avis des médecins et de ses proches, il décide d'entreprendre un périple dans toute la diagonale sud-est/nord-ouest de notre pays, en n'empruntant que ces petits « chemins noirs ».
Le film retrace le récit du voyage entrepris par un Sylvain Tesson - interprété magistralement à l’écran par Jean Dujardin- qui parviendra à l’acceptation et la réappropriation de son corps. La caméra suit le récit de l’écrivain en marche, son besoin d’un dépassement au prix de souffrances indicibles, quitte à jouer avec la vie… La splendeur des images offre à cette histoire intime une dimension contemplative qui ne manque pas de subjuguer le spectateur. La rareté des dialogues, leur style élégamment épuré – tous extraits de l’ouvrage de Sylvain Tesson – contribuent à opposer l’infini-petit du marcheur face à l’immensité du monde qui l’entoure. Jusqu’au vertige …
Marie-France Poirier
(1) Avec Adèle Exarchopuolos, Elodie bouchez, Dali Benssalah, Leïla Bekchi, Miou-Miou et Gilles Lellouche