S’il est une profession qui est cœur du marché immobilier, c’est bien le notariat, sans laquelle aucune transaction ne pourrait avoir lieu et sans laquelle nombre de projets de vie ne pourraient voir le jour. Aussi la Chambre des Notaires de la Côte-d’Or publie-t-elle régulièrement une conjoncture immobilière départementale, dont vous pourrez découvrir dans notre dossier spécial les principaux tableaux. Nous avons interrogé son président, Me Guillaume Lorisson, sur les grandes tendances du moment…
Dijon l’Hebdo : Qu’en est-il du marché immobilier depuis le début de cette année ?
Guillaume Lorisson : « Le début d’année a été encore extrêmement soutenu en activité immobilière. Certes celle-ci n’a peut-être pas été aussi frénétique que ce que l’on a pu connaître en 2021, avec des volumes records. Nous étions là encore dans l’élan avec tous les projets que les gens ont souhaité développer en sortie de Covid. Nous étions en début d’année sur un volume d’activité soutenu, et notamment eu égard aux taux bas et à la dynamique économique intéressante avec un bon niveau d’emploi synonyme de confiance dans l’avenir.
Les premiers nuages sont arrivés au moment de la guerre en Ukraine avec les incertitudes économiques. Elles sont toujours néfastes pour les investisseurs qui ont besoin de visibilité, de certitude et de tranquillité sur une longue période. Malgré tout, dans un premier temps, nous n’avons pas constaté immédiatement après de répercussion. Le volume d’activité du printemps, en terme d’avant-contrats, est resté très bon si bien que nous avons senti que l’appétence pour l’immobilier était toujours présente, avec des recherches de logements plus performants énergétiquement. Les recherches d’investisseurs se sont également poursuivies, Dijon étant aujourd’hui sur la carte des villes où il faut investir. A ville comparable, c’est à dire une métropole régionale, pas très loin de Paris et de Lyon, avec des infrastructures de qualité, en matière de santé, d’enseignement supérieur, de loisirs… nous avons conservé une dynamique intéressante. Celle-ci ne se dément pas forcément aujourd’hui mais nous avons ce point de blocage qui est la conséquence indirecte de ces événements géopolitiques, à savoir le début de l’inflation… qui génère une remontée des taux. Et nous sommes au mauvais moment de l’inflation, c’est à dire au moment où les prix montent et où les salaires ne montent pas encore, les négociations salariales étant annoncées sur la fin d’année. C’est un premier élément qui est susceptible de freiner l’activité immobilière. Et le second élément n’est autre que le taux d’usure… et c’est le plus important ».
DLH : L’augmentation des taux d’emprunt a suscité de réelles inquiétudes…
G. L : « Pour ce qui est des taux d’emprunt, il faut tout de même aujourd’hui remettre les choses au clair. On nous parle d’argent à 2,5%, 2,7% sur 25 ans, ce qui reste historiquement de l’argent très peu cher. Et d’autant moins cher si, dans le même temps, les salaires montent de 3 ou 4% ! Avec une inflation du même niveau, pour les gens qui sont salariés, avec cette augmentation des salaires, cette situation pourrait même être plus intéressante que celle avec les taux d’avant. Lorsque nous échangeons avec nos clients, ils ont certes un premier réflexe de se dire que cela a monté mais, ensuite, en mesurant ce que leur échéance de prêt génère comme impact sur leur pouvoir d’achat immobilier, ils se rendent compte que ce n’est pas si significatif. Comme toujours, cette remontée des taux va, en revanche, écarter du marché la petite frange de ceux qui sont un peu limites. Mais l’essentiel des acquéreurs immobiliers ne sont pas gênés par ces taux-là et un certain nombre d’entre eux va même se résolvabiliser par l’inflation, sous réserve bien sûr qu’elle reste maitrisée et que l’on ne bascule pas dans un environnement inflationniste trop fort, ce qui a l’air d’être plutôt le cas en France. Et l’Union européenne semble aussi vouloir aller dans cette voie-là… Les indicateurs ne sont pas mauvais dans l’Hexagone pour l’investisseur immobilier ».
DLH : En revanche, le taux d’usure, lui, ne fait pas des heureux !
G. L : « C’est le frein de blocage sur cette rentrée et ce taux d’usure entraîne une situation qui peut sembler ubuesque, dans le sens où l’on se retrouve avec des gens objectivement solvables, c’est à dire que leur échéance de prêt est bien inférieure à la règle du tiers pour faire simple, mais, au final, lorsque l’on additionne l’ensemble du taux d’intérêt et des frais qui vont avec on est au-delà du taux d’usure. Cela bloque les opérations et interdit légalement les banques de sortir les crédits. Nous avons beaucoup de dossiers actuellement en attente mais j’ai l’impression que les banques ne refusent pas les clients. Elles les accueillent, travaillent sur leurs projets et tout le monde se met dans l’attente du projet de révision de taux d’usure qui est annoncé pour le mois d’octobre. A l’instant où l’on se parle, c’est le seul véritable nuage noir, qui est en plus un nuage technique et nous n’assistons pas à une désaffection des Français et des Dijonnais pour l’investissement immobilier ».
DLH : Les chars à voile n’y sont pour rien mais les critères environnementaux ont le vent en poupe…
G. L : « Le Covid a amené les gens à regarder leur projet immobilier de façon différente, avec des critères de confort dans le cadre de vie passant effectivement par un accès à l’extérieur, soit une terrasse, un jardinet… C’est le cas pour la métropole dijonnaise et, lorsque l’on va un peu plus sur les extérieurs, nous aurions pu craindre que le prix de l’essence ne soit un frein mais il n’en est rien. Alors même que nous avons dans le domaine une flambée continue depuis le début de l’année, nous n’avons pas l’impression qu’aujourd’hui il y ait une réelle désaffection. Peut-être que le passage à la voiture électrique y est pour quelque chose…
Le critère énergétique est aujourd’hui très fort dans l’acte d’achat. Un acquéreur achète plus une mensualité qu’un prix. C’est à dire qu’il définit son montant de remboursement mensuel avec sa banque, son budget pour son chauffage, son électricité, son assurance auxquels il ajoute ses frais de voiture, de transports. C’est cette équation mensuelle qui va permettre de guider l’achat. Avec un logement bien classé énergétiquement, il est évident qu’il va diminuer ses dépenses de chauffage et cette économie sera réaffectée sur le prix d’achat pour garder une mensualité équivalente. C’est un mécanisme particulièrement sain… »
DLH : Quelles sont les répercussions actuelles de la conjoncture économique sur le prix du marché ?
G. L : « Le marché dijonnais a connu, au cours des deux, trois dernières années, une forte hausse des prix et nous considérons qu’aujourd’hui nous arrivons dans une phase d’atterrissage, de stabilisation, ce qui se serait probablement passé, quels que soient les événements, parce que nous arrivons à une sorte de pic par rapport au pouvoir d’achat des Dijonnais. Il faudra attendre pour mesurer véritablement l’impact de la conjoncture économique sur l’immobilier ».
DLH : L’attractivité de Dijon ne passe pas inaperçue non plus…
G. L : « Nous restons une des métropoles régionales les plus accessibles. Plusieurs enquêtes dans les magazines nationaux classent Dijon comme une ville dans laquelle il existe encore des potentialités de plus-value. Pour faire simple, selon les quartiers et la qualité des produits, nous allons osciller, en ce qui concerne l’immobilier ancien, entre 2 300 € et 2 800 € du m2, ce qui nous place toujours, en moyenne, à la moitié du prix lyonnais et au quart du prix parisien. Pour les investisseurs, l’intérêt réside dans le fait que nous restions à des niveaux de prix où ils ont encore un rendement correct. Lorsqu’ils achètent dans des grandes capitales, Paris ou Lyon, certes les loyers sont plus élevés mais les prix d’acquisition des biens étant bien supérieurs, le rendement est beaucoup moins intéressant. Et il faut savoir que lorsque l’on fait un calcul de rendement, deux éléments sont à prendre en compte : le rendement initial, qui est la valeur du loyer par rapport à la valeur de l’investissement et le rendement de moyen/long terme, qui est celui de la plus-value complémentaire. En réalité, vous ne connaissez le rendement réel de votre bien que le jour où vous le revendez. Aujourd’hui, dans un certain nombre de grandes capitales régionales, que ce soit Toulouse, Bordeaux, Nice… on considère que, hors effet de l’inflation, on n’aura pas forcément de plus-value à attendre. En revanche, sur Dijon, on considère que les prix peuvent encore potentiellement monter. C’est la raison pour laquelle Dijon est cochée sur la carte des investisseurs »
DLH : Quel est l’incidence de l’avènement des nouveaux quartiers sur le marché ?
G. L : « Dijon est encore l’une des villes où l’on construit, avec des opérations principalement de renouvellement urbain. On ne grignote pas sur les extérieurs mais on réhabilite des anciens sites, qu’ils soient militaires ou industriels. Dijon métropole a cette politique qui permet de régénérer de l’habitat. C’est une démarche engagée au moment de la construction du tram pour permettre à la fois des constructions tout en ayant une population qui peut accéder à ces transports collectifs de qualité. Peut-être qu’historiquement Dijon avait une forme de retard et on est en train de le rattraper. Dans nombre d’autres grandes villes, les capacités de construire sont beaucoup plus limitées. A Dijon, nombre de sites sont revalorisés et apportent un habitat extrêmement intéressant, parce que c’est un habitat moderne, bâti selon les dernières normes énergétiques… Or aujourd’hui la prégnance de la question énergétique est fondamentale, avec l’entrée en vigueur des obligations en matière de location sur les DPE. Cela participe à l’attractivité de la ville… et le marché du neuf tire le marché immobilier ancien ».
DLH : Quels conseils pourriez-vous donner aux vendeurs et aux acheteurs ?
G. L : « Côté vendeurs, les prix sont hauts, quoi qu’il en soit, il ne faut pas chercher à aller encore au-delà. Il faut faire confiance aux professionnels qui vont faire des estimations pour ne pas dépasser le marché, sinon ils ne vendront pas. Mettre en vente au prix… et faire preuve d’un peu plus de patience qu’il y a 2 ou 3 ans où nous étions dans un marché frénétique où les délais de vente étaient de quelques semaines, voire de quelques jours… Côté acquéreurs, il faut bien ficeler son budget avec son banquier pour éviter une déception après la signature de l’avant-contrat et être attentif à la qualité du bien acquis, notamment pour les performances énergétiques. C’est d’autant plus vrai pour les investisseurs… Nous sommes sur une sorte de point d’équilibre : les acquéreurs ont le temps de choisir et les vendeurs ne sont pas une situation où ils sont dans l’obligation de casser les prix. C’est un marché plutôt sain ! »
Propos recueillis par Camille Gablo