Eté 2022. La France aoûtienne a vu se multiplier incendies et inondations dans le pays… Le coût de la vie, lui, a gaillardement atteint le seuil de +6,1% en août (+ 6,4% pour les milliers d’étudiants selon leurs syndicats). Le conflit en Ukraine fait grimper la spirale inflationniste amorcée en 2021 avec la crise de la Covid-19 et la tension sur le coût de la vie qui s’en est suivie. La rentrée s’annonce très problématique avec une hausse d’environ 13% sur les fournitures scolaires, des bas salaires peu réévalués ainsi que le refus par les banques d’accorder 51% des prêts immobiliers demandés notamment par la classes d’actifs trentenaires ou quadragénaires !
La France est-elle dans le rouge, en dépit des propos rassurants du commissaire européen Thierry Breton à propos de nos ressources en gaz et en électricité ? « Je suis confiant, nous passerons l'hiver », a-t-il tout récemment assuré. Tandis que Matignon évoque de plus en plus la possibilité de restrictions cet hiver, notamment pour les industriels.
Jamais en retard à l’allumage, EDF vient d’aviser les particuliers d’une hausse des tarifs d’abonnement et du kWh. Depuis le début du conflit ukrainien, les prix de l'énergie, des engrais et des céréales ont augmenté de 20% à 30%. Sont plus particulièrement exposés les professionnels du transport aérien, les services à domicile, les industries fortement consommatrices d'énergie, les agriculteurs et pêcheurs, les métiers de bouche, les entreprises de fret maritime et plus généralement tous ceux qui doivent se déplacer. Les pratiques spéculatives dans de nombreux secteurs de l’économie pénalisent la vie du citoyen lambda. Des pays s’en sortent encore plus mal que la France, ne serait-ce que grâce à sa production d’électricité nucléaire. La Banque d'Angleterre prévoit une inflation à 13 % et une récession à la fin de 2022. L’Allemagne accuse une hausse des prix du gaz ou de l’électricité faramineuse. La guerre en Ukraine a bon dos… Nul n’est besoin de prendre des jumelles pour trouver les responsables : il est évident que de nombreux intermédiaires organisent depuis juin dernier des pénuries temporaires pour réintroduire, après un laps de temps, des produits de l’agroalimentaire ou de la vie courante à prix fort sur le marché.
Le mercantilisme touche aujourd’hui de très nombreux secteurs : le papier avec des pointes à plus de 100%, le carton, les produits ménagers, la viande, le poisson. Ne parlons pas de la surchauffe monétaire des services – mutuelles ou assurances -, du surcoût des pâtes ou du blé, de la farine, des laitages,de la moutarde, de l’huile de tournesol, voire du café avec 25% par paquet ! Ne parlons pas non plus de la hausse d’environ 8% à 10% sur les fruits et légumes, qu’ils soient importés ou sous le label « circuits courts ». Même les médicaments vendus sans ordonnance, tout comme la parapharmacie ou la parfumerie sont touchés par l’inflation qui fait boule de neige, incitant les laboratoires pharmaceutiques ou les industriels de la cosmétique à opter pour des comportements aussi sournois qu’efficaces : ainsi, le prix d’une crème d’une marque célèbre, leader en France des produits corporels hypoallergéniques, demeure inchangé, mais le conditionnement a subi une cure d’amaigrissement : de 50 ml, il est descendu à 40 ml. Et si ça, ça ne s’appelle pas « maquiller les prix »?
Il n’en demeure pas moins que l’addition Covid/Ukraine n’est pas, à elle seule dans l’hexagone, facteur d’un appauvrissement ressenti jusque dans les classes moyennes. La France souffre, en effet, d’un mal endémique depuis des décennies : selon les statistiques de l’OCDE, le revenu médian annuel disponible au niveau national d’un citoyen français - en prenant en compte les impôts ainsi que les transferts sociaux – est inférieur à celui d’un Scandinave, d’un Allemand, d’un Belgique ou d’un Suisse (1). Le Canada, les USA (Louisiane exceptée), l’Australie se classent largement au-dessus. Pas étonnant que d’aucuns nous prédisent un automne troublé !
- Le revenu médian correspond à celui pour lequel 50% des Français ont le plus de ressources et 50% des Français ont le moins. Ne pas confondre revenu médian et salaire moyen : le salaire moyen est obtenu grâce à la moyenne de l’ensemble des salaires d’un échantillon national de classes actives. Cette masse de tous les salaires versés par les employeurs est divisée par le nombre total de salariés que l’on dénombre dans le pays. Selon les chiffres de L'Institut National de la Statistique et des Études Économiques (INSEE), le salaire moyen en France est de 2 340 euros net par mois, soit 39 300 euros brut par an (juillet 2022).
Marie-France Poirier
Dépenses sociales : Coup de pouce ou coup de frein au revenu médian ?
Le mouvement des Gilets Jaunes de novembre 2018 – qui se voulait une révolte contre « le niveau révoltant de la pauvreté endémique en France » - couve de façon larvaire aujourd’hui. Que nous réservera octobre 2022 ? Les budgets dédiés aux prestations sociales – sous la présidence du président Macron extensibles à souhait - constituent-ils la clef pour améliorer le niveau de vie des foyers les plus démunis ? Ou bien s’avèrent-ils d’avantage une arme électoraliste et populiste « pour faire quelque chose » ? Et ce, sans que l’Exécutif s’attaque au problème de fond que sont les bas salaires ou les charges sociales et les taxes très élevées dont les employeurs ont à s’acquitter… Selon l’OCDE, la France occupe le leadership en termes de dépenses sociales publiques : soit 31% du PIB. Contre 27% en Suède, 19,7% en Suisse ou 19,3 % aux USA. L’économiste américain Ryan McMaken d’en conclure dans l’une de ses études : « Ce sont les économies les moins productives qui auront les taux de dépenses sociales les plus élevées. La seule véritable solution serait de faire tout ce que l’Etat français se refuse à faire : alléger les réglementations, adopter une politique de libre échange vis-à-vis du monde, briser le pouvoir des syndicats, couper les subventions visant à favoriser les groupes d’intérêt les plus puissants au détriment du reste de la population ».
M-F. P
Avis de tempête
Quel économiste n’a pas comme mètre-étalon les Trente Glorieuses - la période de forte croissance économique et d'augmentation du niveau de vie qu'a connue la grande majorité des pays développés ? De 1945 à 1973, le pouvoir d’achat des Français a été multiplié par 4,5. C’est également l’époque, comme l’avait écrit le grand historien Ferdinand Braudel, qui bascula le pays dans l’ère industrielle - 40 ans d’ailleurs après les USA. Durant ce laps de temps marqué par l’ascendance fulgurante du pouvoir d’achat, la part consacrée à l’alimentation ainsi qu’aux achats de première nécessité n’avait cessé de baisser en comparaison de postes de dépenses, tels que l’électroménager, la voiture, les loisirs etc… Les différentes crises pétrolières - qui ont orchestré depuis la fin du XXe siècle la perte de la suprématie européenne, puis aujourd’hui les différentes vagues du Covid ou la guerre en Ukraine, trouvent leur aboutissement dans un flux inflationniste inédit. Or, le poids de l’alimentation dans un budget familial se révèle d’autant plus élevé que le niveau de vie est faible. Les 10 % des ménages les plus modestes consacrent 22% à 24% de leur budget à l’alimentation, alors que ce poste de dépenses se situe à 12% pour les classes aisées. En mai dernier, les ménages français ont dépensé 46,7 milliards d’euros (chiffre Insee) pour leurs achats de biens, soit 0,4% de plus sur ce mois-là. Mais-mais… l’Institut observe une chute de l’ordre de 3,6% de moins sur un an.
Certains économistes redoutent le pire, même si la France s’en tire jusqu’ici plutôt mieux que d’autres pays européens. Pourquoi ? L’économiste Aurélien Duthoit explique qu’il faut en chercher la raison dans les centrales d’achat ou dans la grande distribution de notre pays bien mieux structurées : elles sont ainsi dotées d’un plus large pouvoir de manœuvre face à « des industriels du secteur agroalimentaire européen qui ont augmenté leurs prix de 14 %, depuis le début de l'année 2021. A l'heure actuelle, moins de la moitié de cette hausse des prix de production a été répercutée sur les consommateurs » ! Jusqu’à quand, cette « bonne affaire »? Nos chariots de courses vont-ils entrer en zone de forte turbulence ? La menace d’un probable coup de torchon nous guette.